Communiquer, le ventre vide

Entendu hier sur NTV, une chaîne d’info indienne :

Le gouvernement envisage de dépenser Rs 7000 crore (environ 106 000 000 euros) afin de fournir un téléphone mobile à chaque famille en dessous du seuil de pauvreté (BPL below the poverty line). L’Inde peut-elle se permettre ces aumônes ? »

C’est le genre de nouvelle qui me hérisse le poil et sur laquelle je peux ruminer pendant des heures.

Est-il vraiment utile et intelligent d’offrir des téléphones portables à des gens souffrant de malnutrition, logés dans des cabanes sans eau ni électricité, sans sanitaires, cela va de soi, vivant de petits boulots mal payés et n’ayant parfois pas la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école ?
836 millions d’Indiens vivent avec moins de 30 centimes d’€ par jours alors que 70 milliardaires cumulent 250 milliards de $…

Chaque jour, dans le pays, 3000 enfants meurent de malnutrition.
C’est une honte nationale!” a récemment déclaré le Premier ministre, Manmohan Singh, celui-là même qui, gravement soupçonné de corruption mais protégé par la présidente du parti du congrès Sonia Gandhi, est chargé de tenir bien calé sous ses fesses le siège ministériel afin qu’il glisse tout naturellement sous celles de Rahul Gandhi, l’héritier de la dynastie Nehru, quand le fiston sera prêt.

Quelques instants avant l’indépendance, le 14 aout 1947, Jawaharlal Nehru déclarait :
« Il y a de longues années, nous avons pris rendez-vous avec le destin, et maintenant le temps est venu de tenir notre promesse, le plus parfaitement possible. Quand sonneront les douze coups de minuit, alors que le monde entier dormira, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté. L’instant approche, rarement offert par l’histoire, où un peuple quitte le passé pour entrer dans l’avenir, où une époque se termine, où l’âme d’une nation étouffée pendant longtemps, retrouve son expression… »
Et dans un autre discours : « Nous sommes aujourd’hui un peuple libre et souverain débarrassé des fardeaux passés. Nous regardons le monde avec des yeux limpides et amicaux et l’avenir avec espoir et confiance. »
Serait-il fier de ceux qui gouvernent son pays aujourd’hui ?

Et Gandhi, trouverait-il lui aussi judicieux de distribuer des téléphones portables à des gens qui dorment à même le sol, sur les trottoirs, sous des auvents de fortune ?
Qui, une fois épuisées les unités offertes en prime avec l’appareil, n’auront pas de quoi en acheter d’autres, ou, déjà contaminés par la folie de la communication, seront prêts à sacrifier un autre budget pour réactiver la machine ?
Sans électricité, comment recharge-t-on un téléphone ? En pédalant ?

Par contre, qui va faire de bons gros bénéfices ?
Les sociétés téléphoniques qui déjà s’engraissent de façon éhontée, harcèlent constamment les clients en les bombardant de messages publicitaires, sans compter les innombrables murs et les façades barbouillés à leur gloire dans tout le pays.
Qui va encore s’enrichir ? Les firmes et leurs actionnaires.

En fin d’après-midi mon indignation vire à la colère quand nous allons rendre visite à Sunitha et à ses enfants, Vivek et Vineeth.
Nous les aidons depuis des années. Chaque fois que la situation économique de la famille va mieux, maintenant le père travaille, une nouvelle tuile leur tombe dessus ! Cette fois, c’est la maison qui s’est écroulée. Au Kerala, quand on possède un bout de terrain, l’Etat aide à construire la maison. Quand on n’a pas de terrain, on n’a droit à rien.

Depuis un an, Sunitha et sa famille vivent sous des toiles tenues par des piquets, pas d’électricité, pas d’eau.

Mais, bonne nouvelle, si la mesure est adoptée, ils auront bientôt un téléphone portable !

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