Incredible India !

Dix jours sans écrire, le temps que les émotions, les sensations, les rumeurs et les couleurs, lentement, se transforment en mots. Comme les feuilles de thé infusent.

Incredible India, qui à chaque voyage me ravit. Qu’année après année je retrouve avec le même plaisir. La curiosité intacte.

Ici, au Tamil Nadu rien ne change et tout change.
Immuable, le temple Sri Ranganathaswami de Trichy, ses souriants fidèles, crânes rasés recouverts de curcuma, femmes en sari jaune venues des campagnes pour prier Vishnou et l’éléphant impassible qui bénit les visiteurs en échange d’une roupie qu’il dépose ensuite dans la main du cornac, impassible lui aussi, la barbe en éventail et la bedaine rebondie. Le brahmane local, s’il officie au temple, est bien portant. Le front marqué du symbole du dieu des lieux, un V séparé en deux d’un trait vertical, le torse nu sous les colliers, les reins ceints d’un lunghi blanc sale ou orange fané, la mine altière, il verse quelques gouttes d’eau dans les mains brunes qui se présentent respectueusement à lui. La foi est palpable, profonde. Les corps, comme des arcs, se tendent vers l’autel, les têtes s’inclinent, les mains se joignent, les regards implorent. Une grâce divine, une faveur, la guérison d’un proche, une rentrée d’argent, la naissance d’un enfant, un bon mariage pour la fille. Quels que soient les dieux les requêtes sont les mêmes et les croyants baissent le front. La prière ne changera rien à la loi du karma mais, qui sait, le grand Vishnou accordera peut-être une douceur.

Autour du temple la ville rugit, fourmille, bâtit.  Les bus bondés klaxonnent à tout-va, les motos ses faufilent, les autorickshaws pétaradent. Le bazar regorge de marchandises, étoffes colorées, casseroles étincelantes, montagnes de savates en plastique, colifichets variés, guirlandes de jasmins que les femmes accrochent à leur chevelure et dont le parfum enchante. Dans les échoppes, le préposé au café, d’une main sûre, verse des jets de liquide brûlant couleur caramel du pot à la timbale en fer et vice versa pour que le sucre se mélange et que le lait mousse. A la périphérie de la ville, la foule se presse devant un grand hôtel. On filme les sélections d’une version locale de « nouvelle star ». C’est Johny qui s’est occupé de l’organisation de l’événement. Il est fier et il y a de quoi. Belle réussite pour un jeune homme de 23 ans !

Sur la promenade de Pondy les familles défilent, assis sur le muret, les rajahsthanis de l’Alliance Française reluquent les jambes dénudées des touristes, les beaux tamouls aussi qui baguenaudent sur leurs motos. Royal Enfield, la classe ! Dans la ville blanche les ashramites, juchés sur leurs vélos, pédalent d’un air hautain, sans un regard pour les touristes occidentaux en sueur. De l’autre côté du canal la ville noire grouille. Les petites mains du marché aux tissus cousent en vitesse les vêtements commandés par les blancs voyageurs, les poissonnières hèlent les clients et le petit marchand de légumes dort sur un monticule d’oignons.

Dans son autorickshaw flambant neuf, Guna parcourt les rues de Chennai. Pour être conductrice il ne suffit pas d’enfiler une chemise kaki sur son sari. Il faut savoir se laisser porter par le flux incessant du trafic et ne pas avoir peur. Quand Bevahni panique, elle tourne trop la poignée d’accélération et le véhicule cale. Alors elle appelle « Guna ! Guna ! » et son amie, attentive, s’arrête, fait demi-tour, revient à sa hauteur et crie  à nouveau les instructions. Au soir elles rentrent dans leur slum. Si la journée a été bonne, le repas le sera aussi. Sinon, il faudra attendre un jour meilleur mais quoiqu’il en soit, demain matin, ses quatre fillettes, impeccables dans leurs uniformes, les cheveux soigneusement nattés sortiront de sa cabane pour aller à l’école.

Ce soir, à Madurai, les chauves souris géantes planent dans le ciel clair. Grisée par les effluves de ghe brûlé et d’encens, la foule se presse dans le temple de Meenakshi, où comme, chaque soir, Siva honorera la déesse poisson. Les vendeurs interpellent les passants pour vanter la qualité de leurs cotonnades et de leurs soieries. Les mendiants tendent les mains vers les touristes, au coin de la rue un dealer moustachu propose aux occidentaux de la marijuana frelatée et dans la gare, cachés derrière des cartons, les enfants de personne, serrés les uns contre les autres rêvent d’un monde où ils auraient une place.

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