Khajuraho, les temples

Dans la lourde chaleur nocturne embaumée de jasmin la belle Hemawati, allongée nue sur sa couche, ne trouvait le sommeil. Un irrésistible désir parcourait sa chair, qui tendait ses seins et lançait dans son ventre vierge d’étranges frissons.
Comme un appel, venu du plus profond de son corps, un appétit intime et brûlant que les caresses qu’elle se prodiguait d’une main fiévreuse ne parvenaient à satisfaire.
Elle pensa à la fraîcheur du fleuve dont elle percevait clapoter les eaux paisibles. Enveloppant son corps aux douces lignes cambrées dans une longue étoffe de soie claire piquée de cabochons d’or, elle franchit silencieusement la porte de la demeure de son père et marcha vers le fleuve.
La lune dans sa plénitude la suivit du regard et intensifia son éclat afin que la belle ne blessât point ses pieds nus aux pierres aigues du chemin.

Arrivée sur la grève, Hemawati libéra langoureusement son corps de la soie claire qui moulait ses seins ronds. Comme de l’argent fondu l’eau brillait sous la lune. Elle y pénétra lentement pour mieux en goûter la fraicheur. De ses mains en forme de coupe elle versa de l’eau sur son corps et les gouttes qui ruisselaient en soulignaient la grâce.
Du haut du ciel la lune, ravie par ce spectacle enchanteur n’en pouvait plus n’en pouvait mais.
La tentation se fit trop forte d’aller soulager cette belle enfant de ce désir qu’aucun mortel n’aurait su satisfaire.
De lune elle devint homme aux larges épaules, à la voix douce, aux mains caressantes, au sexe dressé.
Qui enlaça Hemawati et longuement lui fit l’amour.
Mais aux premières lueurs de l’aube, déposant sur ses lèvres un dernier baiser il lui dit adieu.
« Non, dit la jeune femme, ne pars pas, je ne suis pas mariée, si tu t’en vas je vais mourir ».
La lune lui sourit et répondit :
« Ne t’en fais pas, va à Khajuraho, donne naissance à l’enfant qui désormais grandit dans ton ventre. Il deviendra très important et tu vivras auprès de lui. »
Ainsi fut fait et l’enfant né de l’union de la lune et d’Hemawati, devint le premier des Chandelas.

C’est l’histoire que nous raconte Sudesh (plus sobrement il est vrai) lorsque qu’il nous fait visiter les temples de Khajuraho.
Sudesh est un futur élève d’espagnol d’Ana. Récemment il a étudié l’italien à Delhi pour pouvoir exercer la profession de guide. Il n’a pas encore commencé. Cette visite avec nous est en sorte une répétition générale. Il est très content de pouvoir s’exercer, et nous de l’aider à trouver les mots qui lui manquent.

Les temples sont superbes. Destinés à représenter l’univers ils dressent vers le ciel leurs architectures décorées d’une infinité de statues.
Les bas reliefs représentent des scènes de la vie quotidienne : défilés d’éléphants, batailles, musiciens et danseurs mais aussi fornication. Et de manière très crue : à deux, à trois, debout, assis, oral, par devant, par derrière et même avec un cheval tandis qu’une spectatrice, choquée se voile la face.
Ailleurs, un éléphant rigolard, occupé à torturer un malheureux d’une trompe puissante, regarde baiser un couple, plus loin, un guru tantrique ventru enseigne à des jeunes filles dénudées.

La partie moyenne des temples est réservée aux représentations divines ou royales. On s’y envoie en l’air avec délectation, dans des poses parfois acrobatiques. Les apsaras ondulent, se masturbent, cambrent leurs fesses rondes sous le regard égrillard des dieux. Elles dansent, écrivent, se peignent la plante des pieds avec du henné. Des femmes portent des enfants. Sculptées avec finesse, riches de détails, ses statues sont véritablement splendides.

Il est extraordinaire de penser qu’aux Xème, XIème et XIIème siècle, quand ces temples ont été édifiés, la moins osée de ces statues aurait envoyé illico presto n’importe quel sculpteur occidental en prison à vie. La sainte église n’aimait guère le sexe.

De nos jours, par contre, alors que chez nous règne enfin la liberté sexuelle, l’Inde est devenue pudique, voire même pudibonde. Les couples n’affichent en aucun cas leur tendresse et les pratiques sexuelles ne franchissent pas les alcôves. Mais peut-être y accomplit-on encore des prouesses, c’est quand même le pays du Kamasoutra.

L’autre chose qui me frappe est la reconnaissance du désir féminin, et là, pour le coup, je trouve les Chandelas particulièrement admirables.
C’est qu’il en a fallut des siècles en occident pour reconnaître la sexualité féminine, des millénaires !

Outre l’histoire d’Hemawati, particulièrement significative (et qui n’est qu’une légende parmi d’autres expliquant la naissance de Khajuraho), d’autres éléments attestent de ce respect du désir féminin.
Pour exprimer l’excitation sexuelle d’une femme, les sculpteurs gravaient un scorpion sur sa cuisse, plus celui-ci était haut plus le désir de celle-là était vif.

Nous flânons longtemps dans les temples, j’effleure de la main les ventres ronds des apsaras, leurs seins volumineux, leurs hanches pleines. J’imagine les jeunes femmes qui, jadis, leur ont servi de modèles.

On ne devait pas s’ennuyer dans les ateliers de sculpture !

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