La monstrueuse extension du domaine de la faim

925 millions de personnes dans le monde souffrent aujourd’hui de la faim.

Le nombre de personnes sous-alimentées avant la flambée des prix de 2007-2008 était de 850 millions. Ce nombre a augmenté au cours de la seule année 2007 de 75 millions, atteignant le chiffre de 925 millions“, a déclaré hier Jacques Diouf, le directeur général de l’agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),  au cours d’une audition devant les Commissions des Affaires étrangères et de l’Agriculture du Parlement italien.

A titre de comparaison, notre planète compte actuellement  6 726 808 382 habitants.

Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Pendant que certains s’empiffrent et gaspillent d’autres meurent de faim dans des souffrances terribles.

Avoir faim, à en mourir, tel est le lot de millions d’êtres humains à travers le monde.

Et pourtant ce n’est pas la nourriture qui manque, encore faudrait-il pouvoir l’acheter.

Selon la Banque mondiale, depuis trois ans, les prix des aliments ont grimpé de 83 %. Le prix du blé a augmenté de 181 % et en deux mois celui du riz, aliment de base de 3 milliards de personnes, a grimpé de 75 %.

Pour Jacques Diouf, la catastrophe, inévitable, est due à la diminution des investissements. La part des prêts de la Banque Mondiale à l’agriculture a été divisée par 5, tandis que le FMI (il y a qui déjà à sa tête ?) recommandait de ne pas investir dans l’agriculture, car non rentable.
Les petites exploitations en mesure de garantir la subsistance des populations ont été négligées.

Afin de permettre aux grandes entreprises agricoles de gagner plus en dépensant moins grâce à une  réduction drastique du nombre d’employés nécessaires,  l’investissement s’est concentré sur les grandes cultures d’exportation.
Jacques Diouf estime qu’aux USA, la production annuelle de biocarburants entame de 100 millions de tonnes (soit d’un quart) le stock de céréales. « Qu’a-t-il manqué pour éviter les émeutes de la faim ? », demande-t-il. Pas grand-chose : seulement un milliard de dollars d’investissements dans l’agriculture vivrière.

Jean Ziegler, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, affirme lui que continuer à subventionner la production d’éthanol est un « crime contre l’humanité ».

Il faut investir 30 milliards de dollars par an pour doubler la production alimentaire et éliminer la faim“, a annoncé Jacques Diouf, un chiffre qu’il qualifie d’ “assez modeste” par comparaison avec les sommes dépensées par les pays membres de l’OSCE pour soutenir leur propre agriculture (376 milliards de USD) ou les dépenses en armements (1.204 milliards en 2006).
Lors de leur sommet en juin à Rome, les pays membres de la FAO se sont engagés à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici 2015.

Mais M. Diouf avait estimé à l’époque qu’« avec les tendances observées actuellement, cet objectif serait atteint en 2150 au lieu de 2015 ».

D’autre part, le Stockholm International Water Institute (SIWI), le Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) et l’International Water Management Institute (IWMI)  estiment que dans le monde 50% de la nourriture produite est jetée.
D’énormes quantités de nourriture sont jetées durant le traitement, le transport, par les supermarchés et dans les cuisines. Cette nourriture gaspillée est aussi de l’eau gaspillée.
Aux Etats-Unis, par exemple, pas moins de 30 % de la nourriture, représentant quelques 48.3 milliards de dollars, sont jetés.
« Au moins la moitié de l’eau employée pour cultiver la nourriture dans le monde est sans doute perdue ou gaspillée», indique le Dr. Charlotte de Fraiture, chercheur à l’IWMI.

Tous les habitants de la planète devraient donc pouvoir manger à leur faim.

Non seulement ce n’est pas le cas mais la situation s’aggrave de jour en jour.
La FAO prévient que le pire est probablement encore à venir.
Etant donné la hausse continue et drastique des prix des céréales de base et de l’huile au cours de l’année 2008, le nombre de personnes souffrant de faim chronique a probablement augmenté encore, par rapport aux 925 millions annoncés ».

Et ce n’est certainement pas la dégringolade de l’économie américaine et ses conséquences inévitables sur l’ensemble de la planète qui vont arranger les choses.

Voila le donc le monstrueux résultat du libéralisme occidental.
Le triomphe de la bêtise, de l’égoïsme, de la cupidité.

Sommes-nous pour autant prêts à accueillir sur nos terres ces populations que nous affamons ?
Non, bien sûr.

« Les moyens humains, financiers et technologiques que l’Europe des Vingt-Cinq déploie contre les flux migratoires africains sont, en fait, ceux d’une guerre en bonne et due forme entre cette puissance mondiale et de jeunes Africains ruraux et urbains sans défense, dont les droits à l’éducation, à l’information économique, au travail et à l’alimentation sont bafoués dans leurs pays d’origine sous ajustement structurel. Victimes de décisions et de choix macroéconomiques dont ils ne sont nullement responsables, ils sont chassés, traqués et humiliés lorsqu’ils tentent de chercher une issue dans l’émigration. Les morts, les blessés et les handicapés des événements sanglants de Ceuta et de Melilla, en 2005, ainsi que les milliers de corps sans vie qui échouent tous les mois sur les plages de Mauritanie, des îles Canaries, de Lampedusa ou d’ailleurs, sont autant de naufragés de l’émigration forcée et criminalisée” (Aminata Traoré, intervention au Forum social mondial, Nairobi, 20 janvier 2007.)

Nous, la faim, nous ne savons pas encore ce que c’est.

« Les plus terribles des souffrances provoquées par la sous-alimentation sont l’angoisse et l’humiliation. L’affamé mène un combat désespéré et permanent pour sa dignité. Oui, la faim provoque la honte. Le père ne parvient pas à nourrir sa famille. La mère reste les mains vides devant l’enfant affamé qui pleure. Nuit après nuit, jour après jour, la faim diminue les forces de résistance de l’adulte. » Jean Ziegler « L’Empire de la honte ».

Sources : AFP, Gaboneco, Radio Canada (tout un dossier, très intéressant)
A lire aussi : un article de Serge Halimi et un article de Jean Ziegler parus dans le Monde Diplomatique

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