La nursery de Poonthura

La mousson est suspendue, le soleil est revenu. Beaucoup trop tôt pour la nature. Le sol est sec. Les récoltes sont maigres.

La mousson, c’est aussi une pause pour les paysans. La terre se gorge d’eau, les plantes croissent, il y a peu à faire dans les champs.
Cette année, il n’a pratiquement pas plu. Avant, il y a quelques années encore, la mousson commençait en juin et se terminait en septembre. Maintenant, c’est différent. Il pleut parfois pendant la saison sèche et on attend en vain les pluies pendant la saison humide.

A Poonthura, c’est la crise, pas de poisson. Personne ne sait pourquoi. Les pêcheurs tournent en rond. Pas de poisson, pas de roupies.

Les hommes bavardent ou ravaudent les filets, les femmes triment dans les maisons. Le linge sèche sur le sable, les corbeaux tournoient, les ordures se balancent entre les bateaux.

Les élèves de l’école maternelle nous accueillent joyeusement. Ils chantent très bien, en anglais comme il se doit. Je jette un coup d’œil sur les cahiers, comme à Vellanad des pages et des pages d’écriture. Sasikala, la responsable des « nursery » de Namaste, nous accompagne. Pour me montrer que les enfants dessinent, elle demande aux maitresses de sortir les cahiers de coloriage. Je la connais depuis longtemps et je l’aime bien. Elle déteste qu’on lui fasse la moindre suggestion et a toujours réponse à tout.
Elle devance une remarque que j’avais décidé de ne pas faire et m’explique :
« Ils n’ont pas de cahiers de dessin, on leur donne des feuilles ! »
Je dis « Ok ! Nice ! »

Problème, il n’y a pas de feuilles !

Quand le premier coloriste a terminé son travail, une des maîtresse sort un cahier neuf et propose à l’enfant de dessiner. Il la regarde d’un air surpris. Elle insiste, en malayalam. Je ne comprends rien. L’enfant me jette un coup d’œil.
Pas de doute, je suis l’emmerdeuse de service, merci Sasikala !
Finalement il dessine la pomme qu’il vient de colorier.

Je m’extasie et lui demande de faire son portrait. Il acquiesce en souriant.
Trois coups de crayons.
« Mummy ? », « Daddy ? »
Hop hop hop…en quelques minutes il croque sa famille, maman a des cheveux et papa une moustache !
Superbe !

Je complimente chaleureusement les maîtresses. Je suis sincère. Les enfants sont calmes, souriants, attentifs, appliqués. Ils connaissent de nombreuses chansons, ne se disputent pas, ne crient pas et ne pleurent pas (Sauf un malheureux qui n’arrive à pas à colorier correctement sa pomme car son crayon de couleur s’est cassé).

Et pourtant, nous sommes à Poonthura, la pire ville de la côte kéralaise. La police locale évite d’y mettre les pieds. Une communauté de pêcheurs, chrétiens. Dans le sud de l’Inde quand les pêcheurs ne sont pas chrétiens, ils sont musulmans, des ex intouchables, convertis au fil du temps.

Un taux d’homicides particulièrement élevé. Activité principale des hommes quand ils ne sont pas en mer, se saouler, se battre, frapper leurs femmes. Quand ils sont au bout du rouleau, ils se suicident. Les femmes restent seules avec les enfants. Elles vendent le poisson, montent de minuscules commerces. Lutent, chaque jour, pour survivre, multiplient les sacrifices pour permettre à leurs enfants d’étudier.
Casser la fatalité, être fières de leurs enfants.
Ne plus être des victimes.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 commentaires sur “La nursery de Poonthura”