La solidarité, pas la charité !

Quand il s’arrête devant moi, je suis assise à une terrasse, d’une main je tiens une tigella, chaude et croustillante, de l’autre un couteau nappé d’une délicieuse crème d’artichaut que je m’apprête à tartiner sur ladite tigella. Je le regarde sans le voir. Il tend la main, les miennes sont occupées. Sans un mot il renonce et se dirige vers la table voisine.

« No ! » aboie un homme. Un « no » méchant, violent comme un crachat, une gifle, si violent que j’en laisse tomber ma tigella et mon couteau et que je m’écrie :

« Aspetti! Vieni, ti do qualcosa ! »

Il se tourne vers moi et j’extirpe une pièce de mon porte-monnaie. Je la lui tends, j’esquisse un sourire. Il me remercie, humblement et la tristesse que je lis dans ses yeux me transperce.

Je sens sur moi les regards haineux que me lance la tablée voisine.  Une haine profonde, non seulement j’ai donné à un pauvre venu les importuner pendant leur repas mais, de plus, la peau du quémandeur est noire !

Qu’importe, ce n’est pas la première fois !

Il y a quelques temps, alors que je déposais quelques piécettes dans le chapeau d’un vieil homme, probablement rom, assis sur un trottoir de Nice, un tonitruant «  Connasse ! Comme ça ils seront encore plus nombreux ! » a retenti derrière moi. J’ai fait volte face et répondu : « C’est un geste de solidarité et personne ne m’empêchera de le faire ! Et si vous continuez à m’insulter, je porte plainte, le commissariat est au coin de la rue ! »

Ce à quoi l’individu, chemise ouverte sur une bedaine poilue, bermuda et claquettes, m’a traitée de sale pute avant de s’éloigner en grommelant.

Parmi les maux de notre époque et ils sont terriblement nombreux, le sort des sans-abris me bouleverse particulièrement.

A Bologne, ils sont des dizaines à errer dans la ville : Italiens, Roumains, Roms, Africains, la fatigue, la faim, le froid, le désespoir au fond des yeux.

Car comment ne pas être désespéré quand tout vous est refusé ? Quand autour de vous la ville bourdonne et que les passants accélèrent le pas à votre vue en serrant plus fortement leur sac ?

Quand on n’a nulle part pour se reposer, se laver, déféquer ?

Quand on essuie à longueur de journée des regards de mépris, des paroles de haine ?

Quand toute dignité est niée ?

Quand on n’existe plus pour personne ?

Et cela crée chez moi un douloureux malaise. Mon impuissance me taraude. Oui, j’ai mauvaise conscience. Honte d’appartenir à une société si égoïste, cruelle, indifférente à la souffrance.

Chaque jour, avant de sortir, je mets quelques pièces dans ma poche, l’équivalent d’un euro, parfois un peu plus, parfois un peu moins, et je les distribue.

Mais à qui ? Et pourquoi à lui ou à elle plutôt qu’à un autre ?

Je ne sais pas. Comment et pourquoi devrais-je évaluer le degré de misère et de souffrance de qui demande un peu d’aide ?

Je donne toujours à la dame roumaine qui mendie devant le super marché, elle est là tous les jours, parfois avec ses enfants, en ce moment ils sont à l’école, alors elle est seule. Nous échangeons quelques mots.

Je donne aux personnes âgées, je donne aux femmes, je donne aussi aux autres. Mais quand ma poche est vide et que je n’ai plus rien à donner, comment pourrais-je dire avec désinvolture ou compassion « Ah désolée, c’est trop tard, je n’ai plus de pièces, fallait me croiser avant ! Pas de bol ! » ?

Alors j’adresse un vague sourire et je continue mon chemin.

Quand la charité remplace les aides que les états ne fournissent pas aux plus fragiles, c’est le règne de l’injustice et de l’arbitraire.

J’aime la solidarité, je n’aime pas la charité ! Je ne n’aide pas l’autre pour obéir à de quelconques préceptes religieux et encore moins pour gagner une place dans un illusoire paradis, je l’aide parce que qu’il est humain, comme moi, que je ressens sa souffrance et que je ne peux pas y être indifférence. L’humanité est un tout.

Et ceux-là, crétins ou hypocrites, qui  déclarent sur un ton sentencieux : « Ah moi, je ne donne jamais parce que j’ai lu (ou entendu peu importe) qu’en fait ces gens qui mendient ils gagnent plein d’argent et, au choix : ils vont manger au restaurant, ils l’envoient dans leurs pays, ils se font construire une maison… et autres âneries » ou encore « Je sais qu’il y en a (des mendiants) qui en réalité sont vraiment riches ! »

Et alors ?

D’abord, je suis absolument sûre que celles et ceux que je croise ne roulent pas sur l’or, le vois à leurs vêtements, à la fatigue sur leurs traits, je le lis dans leurs yeux.

Et ensuite, quand bien même je donnerais par erreur à plus nanti que moi, quelle importance !

Je préfère et de loin me tromper en aidant quelqu’un qui n’en a pas besoin que d’ignorer la détresse de qui n’a d’autre recours que de mendier.

« La solidarité, c’est ce qui succède à la charité en démocratie » Pierre Leroux (1840)

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