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Courage les filles !

Publicité indienne :

« Payez 500 roupies aujourd’hui pour en économiser 50 000 demain »

De quoi s’agit-il ?
D’une banque qui cherche des investisseurs ? D’un organisme d’épargne ?

Non, c’est le slogan du service échographie d’une clinique privée indienne. Pour 500 roupies (10 euros), on peut connaître le sexe d’un fœtus et si, par malheur, il s’avère que c’est une fille, pratiquer un avortement.
Oui, par malheur. Dans beaucoup de foyers indiens la venue au monde d’une petite fille n’est pas souhaitée, pire, elle est indésirable et tout sera mis en œuvre pour empêcher la naissance.
Pourtant, comme nous le signale le terrible documentaire diffusé mardi sur Arte, la loi indienne interdit aux médecins d’indiquer aux futurs parents le sexe du fœtus.
Mais la corruption est telle qu’il est aisé de contourner la loi, 6 millions de fœtus féminins sont éliminés chaque année et tous les acteurs sociaux concernés y trouvent leur compte.
Le pire n’ayant pas de limites, si l’échographie n’est pas pratiquée et que naît une fillette, il arrive fréquemment que, sous la pression familiale, la mère tue l’enfant de ses propres mains, ou la laisse mourir par manque de soins, ou de nourriture.

Dans le sud de l’Inde, la situation est moins dramatique et nous avons rencontré de nombreux couples, parents heureux et aimants de petites filles. Et je dois dire qu’à chaque fois j’ai éprouvé pour eux une tendresse accrue, justement parce qu’ils n’avaient pas suivi cette horrible coutume.

Coutume ancestrale, mais dont la pratique, au lieu de disparaître, s’est amplifiée durant les dernières décennies, à tel point qu’aujourd’hui, dans certains états indiens, les hommes ne trouvent plus d’épouses et qu’il existe des villages de célibataires ou l’alcoolisme et la violence servent de défouloirs à la frustration sexuelle.
En témoigne le film « Matrubhoomi : un monde sans femmes », réalisé par un jeune Indien de 26 ans, Manish Jhâ. Dans un village du nord de l’Inde où plus aucune femme ne vit, une jeune fille est vendue à prix d’or, par son père à un homme et à ses cinq fils. La suite est horrible.

Pourquoi cet acharnement, cruel, stupide, qui prive le pays d’avenir et contraint les hommes à la solitude?

Un dicton indien dit « La femme est sa propre dot », mais ce n’est qu’un dicton, dans la réalité la dot, bien qu’interdite depuis 1960 coûte cher, très cher aux familles et sa pratique est systématique.
Un autre dicton dit « Elever une fille c’est arroser le jardin du voisin » et celui-ci correspond mieux à la réalité. Quand une fille se marie, elle part définitivement, elle change de famille pour se mettre, trop souvent encore, au service de sa nouvelle belle-mère, qui va reproduire, sans pitié, sur elle, les exactions dont elle a été la victime lors de sa jeunesse.
En Inde, le patrimoine des parents revient au fils aîné, qui, en échange, assumera la charge de ses parents vieillissants.
Le système de retraite n’existant que pour les fonctionnaires, les parents qui n’ont pas de fils risquent de finir leur vie dans la solitude et le dénuement.

Tout cela a toujours existé, alors pourquoi le phénomène s’est-il amplifié ?

L’autre soir sur Arte, Isabelle Altané, démographe, a livré des éléments de réponse, dont celui-ci: « La libéralisation économique tend à s’accompagner d’un accroissement du fossé entre les hommes et les femmes, lorsqu’il y a des progrès, les progrès bénéficient d’abord aux hommes » et elle ajoute que les femmes ici, là bas, et partout, sont les premières victimes du chômage et de la discrimination à l’embauche.

Le spectaculaire développement économique de l’Inde ne profite pas à tout le monde et, à Bangalore par exemple, les injustices sociales m’avaient particulièrement frappée.

Le mariage, institution fondamentale de la société indienne a donné naissance à un marché, énorme, gigantesque. Pour payer les dots et les frais de la cérémonie, les familles doivent s’endetter pour des années.
Alors de nombreuses familles, toutes classes sociales confondues, choisissent de ne pas avoir de filles.
Et pourtant comme elles sont mignonnes ces petites filles aux cheveux tressés et aux grands yeux noirs. Comme elles sont douces et souriantes ces femmes bafouées, méprisées, contraintes à l’infanticide, parce que, dit un autre dicton « En éliminant une fille le prochain enfant sera un garçon. »

Et ce libéralisme galopant qu’on nous impose, dans toute son horreur économique, ce libéralisme qui ne parle pas d’être humains mais de ressources humaines, qui ne parle pas de partage mais de profit, ce libéralisme qui tue, qui enchaîne, qui contraint les indiennes, les pakistanaises, les bengalaises, les chinoises, à ne pas mettre au monde, ou à tuer des fillettes, frappe aussi en Occident.

Alors nous, femmes occidentales, sommes-nous vraiment à l’abri ?

Après des siècle de soumission nous pensions avoir enfin conquis l’égalité avec les hommes, mais sommes-nous vraiment sûres qu’elle ne soit pas qu’un éphémère feu de broussailles ?

Si les difficultés économiques se multiplient, dans un monde devenu sourd et aveugle, ne serons-nous pas les premières victimes ?

Nous pouvons aider nos sœurs en poussant nos états à faire pression sur les gouvernements des pays concernés.
Nous pouvons œuvrer par le biais d’associations, il en est qui font un travail remarquable.

Les aider, c’est nous aider nous-mêmes, un monde trop déséquilibré n’est viable pour personne.

Courage les filles !

   
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Claudine Tissier & Fabio Campo