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Super Daddy

Vers 19 heures nous prenons le bus pour aller chez Priya, nous souhaitons interviewer les filles pour notre documentaire.
En plus de la famille il y a la voisine, qui est l’amie de Janaki, son fils, un garçon de 13 ans et plusieurs enfants du quartier. L’impression de vaste communauté que j’ai eu le premier jour se confirme, toutes les portes étant ouvertes en permanence les occupants des divers appartements sont très proches les uns des autres. Apparemment le sectarisme religieux n’a pas cours, les voisins musulmans de Priya ont eux aussi la porte ouverte et vont et viennent d’un logement l’autre.
Bien qu’elle soit majeure et appelée à se marier l’année prochaine, Priya ne veut pas commencer l’interview avant d’avoir l’autorisation de Daddy qui accepte immédiatement.
Maintenant que les connais mieux, je relève certains traits de caractère :

Avec la voisine et son fils

Priya a toujours un pet de travers (comme on dit dans le Berry), elle a chaud, elle a froid, elle est fatiguée ou elle a mal quelque part, ce soir c’est aux dents, par conséquent m’explique-t-elle, elle ne va pas être capable de beaucoup parler. Pour ses 20 ans elle semble très immature, très petite fille, qui se dispute sans arrêt avec sa sœur et fait des caprices, mais dans un an tout cela sera fini et elle devra, vaille que vaille, s’adapter à une nouvelle famille, à un mari et peut-être aux exigences d’une belle-mère. En fait elle correspond exactement à la jeune héroïne indienne, maintenue longtemps en enfance, sous la domination totale d’un père adulé, et formatée pour reporter cette adulation sur un autre mâle dominant : l’époux.
Dans le film de Karan Johar, « Khabhi Kushi Khabhi Gham » (« Une famille indienne ») Amitav Bacham et sa femme Jaya, interprètent un couple richissime qui traverse des difficultés affectives avec un de leurs fils. La mère souhaite la réconciliation, mais le père, fier et ombrageux, ne veut s’y résoudre, elle lui lance alors cette extraordinaire réplique : « Pour moi jusqu’alors mon mari était Dieu, mais je m’étais trompée, il n’est pas Dieu, seulement un homme » avant de tourner les talons et de sortir dignement de la chambre.

Être Dieu n’est pas chose facile mais Daddy s’y emploie avec énergie et bonne humeur. Etant le seul à travailler son salaire doit subvenir à tous les besoins de sa famille, à payer les écoles privées des filles et à économiser pour leurs dots. Officiellement interdite mais systématique dans les faits la tradition de la dot perdure. Elle est généralement élevée, pouvant représenter un an de salaire des parents, ce qui est considérable. Elle est supposée être utilisée pour permettre au couple de s’installer, mais ce n’est pas toujours le cas, parfois les nouveaux époux s’installent chez les parents de Monsieur et la jeune Madame doit mettre la main à la pâte pour soulager sa belle-mère des travaux ménagers. De toute évidence Daddy assume, il interprète brillamment son rôle de pater familias et ne rechigne pas être un Dieu. Heureusement, Janaki tempère ses élans car je le soupçonne d’être un tantinet soupe au lait.

La gracieuse Janaki commence ses journées à 5 heures du matin. La première levée, elle prépare les petits déjeuners et les déjeuners que les filles emporteront à l’école. La famille étant végétarienne, la préparation des repas est longue : préparation et cuisson des légumes, élaboration des sauces, fabrication des iddlies (galettes de riz) ou des chappattis. Une fois partis les occupants de l’appartement elle vaque au ménage, au rangement, à la vaisselle ou au lavage – il n’y a pas de machine à laver. Elle s’occupe aussi probablement des courses. Ensuite j’imagine qu’elle se repose ou qu’elle papote avec ses voisines avant de retrouver les siens et d’à nouveau les aider à régler leurs différends. Il émane d’elle une autorité douce mais efficace mais qui lui permet d’être complice avec ses filles et d’apaiser Daddy.

Priya et le fils de la voisine

Vishnu doit sa surcharge pondérale à un excès de pâtisseries et autres sucreries. Elle semble discrète mais rien ne lui échappe. Elle porte un regard tendre et amusé sur le monde, elle est gentille et studieuse. Elle aussi attend un futur un mari qui l’emportera dans un autre foyer, dans une autre ville. Elle aime ses parents, ses copines, étudier.

On étale des nattes sur le sol, Fabio commence à filmer et moi à poser des questions. Priya et Vishnu sont assises à mes côtés, Daddy et Janaki en face, hors champ et le public (la voisine, les enfants de l’immeuble) tout autour.
Je demande à Priya et Vishnu de se présenter. Silence. Daddy prend la chose en main et leur explique ce qu’elles doivent dire. Elles répètent docilement.
Première question : « Qu’est-ce qui vous rend heureuses ? » Panique à bord, regards interrogateurs vers Daddy qui ne se fait pas prier pour intervenir en suggérant: être avec sa famille et respecter les anciens. Bien que ses propos soient partiellement hors sujet, ils sont à nouveau répétés fidèlement.
Et ainsi de suite, même quand les filles ont des velléités de parler Daddy intervient.
Finalement Fabio tourne la caméra vers lui et nous recommençons l’interview.
Puis je pose des questions à tout le monde et tout le monde s’amuse.

Encore une belle journée.

India, le 26 juillet 2006

Daddy

Plus de photos: Priya et sa famille
   
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Claudine Tissier & Fabio Campo