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Les Rajpoutes de Pondy

Nous avons choisi d’inviter nos Rajpoutes dans un restaurant en dehors du quartier français de Pondichéry, dans celui-ci les tables sont bonnes mais la nourriture, concoctée pour des palais occidentaux, aurait risqué de leur paraître bien fade.
Nous traversons la ville à pied en leur compagnie. Un canal sépare la zone « française », belle propre et calme de la zone «indienne », belle, nettement moins propre et très animée. Chacune a son charme et il vrai que, parfois, se reposer loin du bruit ininterrompu des klaxons (les conducteurs tamil sont des maniaques de l’avertisseur sonore : c’est pouét-pouét-tut-tut du matin au soir), dans de larges rues ombragées, est plaisant.
Seul à mes côté, les autres garçons sont devant avec Fabio, Vikendra me parle. Je soupçonne des petites tensions entre lui et les autres - sauf avec Himat qui est son ami - car en leur présence il reste muet. Il fut, en juillet, celui qui vint courageusement nous parler le premier et je me demande s’il n’avait pas conçu quelque dépit quand les autres s’étaient joints à nous.

Pondichéry, la promenade du bord de mer

Il est attendrissant Vikendra, amoureux fou de sa fiancée lointaine. Ayant commencé le cours après les autres il a plus de mal à s’exprimer, mais en presque deux mois il a fait des progrès remarquables. Je l’en félicite et il m’inonde de questions grammaticales. Puis, quand nous rejoignons le petit groupe, il retombe dans le mutisme.
Je commence à les connaître. Himat doux rêveur, affectueux et discret contemple le monde. Ranjeet est brillant, plein d’humour et d’initiative. Le petit Bhupender (petit par l’âge et non par la taille) semble léger et joueur, mais ses remarques sont sensibles et intelligentes. Vikendra déborde d’affection mais il est un poil susceptible. Govinder, sérieux et passionné, est probablement le plus rigide du groupe, il me pose méthodiquement des questions sur les français, comme il devra travailler avec eux il souhaite avoir la meilleure préparation possible.

Pondichéry

J’ai de la tendresse pour ces garçons, exilés pour des mois en terre tamil, mais vraiment exilés, leur langue, leur coutume et leur nourriture sont différentes et le Rajasthan à des milliers de kilomètres. Les cours de l’Alliance française ont la réputation d’être excellents, mais coûteux. Nos Rajpoutes logent dans des « hostel » bon marché et n’ont d’autre distraction que de papoter avec les Français de rencontre. Le reste du temps, ils étudient et ils étudient et ils étudient encore. En leur donnant la possibilité d’apprendre le français, les familles ont investi sur l’avenir et elles attendent des résultats professionnels.

Au restaurant, les végétariens : Himat, Vikendra et Govinder, se regroupent à un coin de table, les carnivores, dont nous faisons partie, s’installent de l’autre côté.
Carnivores façon de parler, ils ne consomment que du poulet. Tout en mangeant la discussion continue, prenant un tour plus intime.

Vikendra et Himat

« Mais, demande Fabio, quand le soir des noces, vous vous retrouvez face à face avec une fille que vous ne connaissez pas, vous n’avez pas peur ? » Ils hésitent, puis Himat dit : « Si, un peu ».
« Justement, continue Fabio, toi tu es marié, qu’est-ce que tu as fait le premier soir ? » Himat sourit et répond : « On a parlé… comment s’appellent nos parents, ce que font nos pères… » Ils ne sont pas mal à l’aise, je crois qu’ils comprennent nos interrogations. En Juillet je leur avais longuement expliqué le mode de vie occidental, les divorces, les remariages, les familles recomposées. Ils n’avaient pas jugé mais s’étaient étonnés ou avaient ri.
« Nous quand on se marie, c’est pour la vie » précise Govinder.
« Quand un homme meurt, dit Himat, sa veuve n’a pas le droit de se remarier, une femme ne peut avoir qu’un seul homme dans sa vie ».
Fabio demande : « Et la lune de miel ? »
« La lune de miel, répond Ranjeet en éclatant de rire, c’est faire le ménage ! » Il n’est pas cynique, il s’amuse simplement des différences. Et tout le monde rit, moi y compris.

Bhupender et Ranjeet

J’aborde le délicat sujet des relations sociales en leur demandant s’ils ont des amis d’autres confessions.
« Musulmans, jamais ! » s’écrie Govind qui se montre aussi rigide que je l’avais pressenti. Mais il est le seul à réagir ainsi, les autres n’ont pas à proprement parler des amis musulmans, mais ils en fréquentent sans problème.
« Mais pas à la maison, dit Ranjeet, à la maison c’est impossible ! »
Et avec les autres castes, avec les intouchables ?
« Intouchables, jamais ! » s’écrie devinez qui.
« Si, c’est possible, tempère Ranjeet, mais comme pour les musulmans, en dehors de la maison, et si on parle avec un intouchable, après on doit aller se purifier au temple »
Et moi je pense que c’est une sacrée complication et qu’elle doit sérieusement limiter les échanges.

Je leur demande s’ils aimeraient changer quelque chose dans leur vie.
« Les traditions, dit Bhupender, elles sont trop lourdes, on ne pourra pas progresser. Et la superstition aussi, chez nous quand quelqu’un a un cancer il va voir le sorcier, et évidemment, le sorcier ne sait pas le guérir »
Les autres se rangent plus ou moins à son avis, sauf Govind qui est très content comme ça merci et qui n’entend rien changer.

Govind

Quand le serveur propose des desserts, tous déclinent poliment la proposition. Je me tourne vers Vikendra, j’insiste pour qu’il choisisse une glace et je vois ses yeux briller de plaisir. Du coup tout le monde en commande une.

Sur le chemin du retour ils nous parlent du Rajasthan, de ses monuments somptueux, de ses palais.
Et Govind me dit : « Mais vous, Madame, ce qui vous intéresse le plus c’est les gens ».
Bien vu petit mec !

Le lendemain matin nous quittons Pondy et les Rajpoutes sont là, en bas de l’hôtel, qui nous offrent en au revoir des « laddoo » parce que, la veille, nous avions dit que c’était notre gâteau favori.

Nous agitons les bras, la voiture démarre et Chennai se rapproche.

India, le 26 aout 2006

   
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Claudine Tissier & Fabio Campo