T’en fais pas…

Arraché.
Ils t’ont arraché à moi.
Arraché à mon corps, à mes bras, à ma peau.
Ma peau si blanche sur l’ébène de la tienne.

Je posais au réveil ma tête sur ton ventre soyeux .
Nous restions ainsi, suspendus à la douce léthargie matinale.
Tu caressais mes cheveux, mes doigts jouaient sur ta peau.

Parfois tu te dégageais doucement, roulais sur moi. J’arrimais mes jambes à tes hanches pour t’accueillir dans ma chaleur et nous ne formions plus qu’un seul corps qui tanguait et roulait.
Comme une feuille sur l’onde.
Et je croyais alors que rien ni personne ne pourrait nous séparer.

Arraché.
Ils t’ont arraché à mon corps.

Devenu béance inutile, mon ventre vide de toi se chiffonne et se tord.
Des spasmes glacés me transpercent, révulsent mon estomac, hachent mon souffle. Les larmes ont tracé des rides sur mes joues et mon sourire s’est éteint.
Hier nous étions deux. Aujourd’hui je suis seule.
Et ton nom que je crie rebondit sur les murs, lacérant le silence.

Arraché.
Ils t’ont arraché à mes bras.

Je t’ai attendu au-delà des heures, au-delà du temps. Je t’ai cherché dans les rues. J’ai sillonné la ville et interpelé des passants. J’ai sonné aux portes de tes amis. Ils m’ont parlé de la rafle.
Une banale descente de police, des immigrés sans papiers jetés dans des camions. Embarqués dans des avions.
« Retour à l’envoyeur, m’a dit un policier indifférent. C’est comme ça ma petite dame. C’est la loi ! »

Arraché.
Ils t’ont arraché à moi pour t’expédier vers un pays où t’attend la prison ou la mort.

J’ai mal à hurler, à me cogner contre les murs, à labourer mon corps de mes ongles pour avoir l’illusion que cette douleur là me fera un instant oublier l’autre, insoutenable, celle de ta disparition.

« T’en fais pas, disais-tu,  je suis en France depuis longtemps, j’ai fait toutes les demandes, je serai bientôt régularisé. »

J’ai écrit ce texte pour tous les couples que l’Etat français sépare, envoyant souvent vers l’enfer ceux qu’elle a rejetés.

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