Udaipur, le palais des fils du soleil

De la terrasse de l’hôtel, je contemple le lac. Des perroquets folâtrent d’un toit à l’autre en papotant, un rapace impassible tournoie au ralenti dans le ciel, plus haut, les cigognes filent vers l’horizon.
Il y a –t-il encore des crocodiles dans le lac ?


Du temps des maharajahs, les fiers rajpoutes, descendants du soleil, ils dévoraient les indésirables, les voleurs, les menteurs, les femmes infidèles, les traîtres, réels ou supposés.
Car les rajas n’étaient pas de gentils philanthropes soucieux du bonheur de leurs sujets.
Sanguinaires, avides de batailles, de conquêtes et de gloire, leur splendeur se nourrissait de la misère, de la mort, des infinies souffrances des humbles.

Le superbe palais d’Udaipur, dressé au bord des eaux et couronné de dômes, est né des mains, de la sueur et du sang des artistes, des artisans, des miséreux contraints de charrier et de bâtir.
C’est à eux que je pense et à qui je rend hommage, en parcourant les innombrables pièces, les chambres ornées de verre coloré et de miroirs, les galeries, les jardins et les cours agrémentées de colonnes.

Sur les peintures, délicates miniatures typiques du Rajasthan, j’observe les détails des vêtements et des attitudes.

J’admire le talent des artistes, ployés durant des heures sur leurs tables de travail pour peindre, avec une incroyable précision, des scènes religieuses ou quotidiennes : audience royale, bataille, chasse au tigre : deux fauves coincés dans une faille de la forêt par des centaines de serviteurs et le maharaja, assis, bien en sécurité sur son éléphant qui vise et tire. Pan ! Pan ! Deux tigres en moins !
Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire indien il n’en reste que 1700.

Exquis raffinement de la dentelle de pierre des moucharabiehs.


Délicate cruauté, le moucharabieh permettait aux femmes, recluses dans le zénana, de voir sans être vues, d’observer, non pas la rue mais la cour du château et les eaux du lac.
Des centaines, des milliers de femmes prisonnières.

Si les premières épouses et les favorites, les mères des princes, jouissaient de certains avantages, participant parfois à la gouvernance du royaume et vivant dans un luxe inouï, entourées de servantes, les innombrables concubines, fillettes raflées dans les campagnes, ou prises de guerre, caprices d’un soir d’un souverain, dépérissaient la vie entière derrière les murs du palais, dans la promiscuité et l’oubli.
Soumises aussi aux volontés politiques des souveraines. Au XIVème siècle, pour sauver le royaume de Chittorgarh des attaques mogholes, la reine Rani Padmini Karnawati, entrainant à sa suite des milliers de femmes, concubines, courtisanes, épouses de guerriers et servantes se jeta dans un brasier. Ce sacrifice porte un nom : le johar.
Il fut reproduit au XVIème siècle, deux fois. Dix mille femmes, puis treize mille se précipitèrent dans les flammes. Ce qui n’empêcha pas Akbar de gagner la bataille et de saccager le fort. Pendant que leurs épouses grillaient, les guerriers rajpoutes combattaient, jusqu’à la mort.
Un seul a survécu, Udai, le maharana. Dès le début de la bataille finale, escorté par ses plus fidèles serviteurs et accompagné d’éléphants et de chameaux chargés d’or, il s’est sauvé.
Et il a fondé Udaipur.
Ses sujets se sont sacrifiés pour rien.

A nouveau, pour construire un palais éblouissant, symbole d’une hypothétique gloire (usurpée en fait), le roi a exploité la force de travail des pauvres.

Détruit des hectares et des hectares de forêt, contribuant au bouleversement de l’écosystème du Rajasthan en amplifiant les zones désertiques, provoquant la famine, l’exode des populations.
Des régions entières ont été déboisées pour cuire les céramiques bleues qui ornaient les façades des palais, les briques, la chaux, pour sculpter des poutres, des colonnes, les meubles.
Pour alimenter les bûchers mortuaires aussi, des tonnes de d’arbres, partis en fumée et dont les cendres se mêlaient à celles des humains.

Tout beau soit-il, ce palais d’Udaipur ne m’évoque pas la magnificence, l’intelligence ou le génie humain mais la vanité, l’orgueil, la cruauté.

Au même titre que Versailles, il symbolise l’oppression et l’injustice. Il témoigne de la folie des puissants. Celle dont le peuple, toujours, doit se protéger.

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