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30.11.2006

Nice, le nez en l’air

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Aujourd’hui, l’air était doux à Nice.

Nice-matin, à qui j’attribuerais volontiers la palme du plus mauvais journal régional qui soit, précise même que les températures dépassent « allégrement » les normes saisonnières. L'événement fait d’ailleurs la première page, en compagnie de Sarkozy, candidat de la « rupture tranquille ».

Rupture tranquille, fichtre, il fallait oser.

Que le karcheriseur préconise la rupture, ça nous l’avions capté depuis fort longtemps, même si, étant donné qu’il appartient déjà à l’appareil gouvernemental actuel, on est en mesure de se demander avec quoi il veut rompre, mais j’avoue goûter particulièrement ce « tranquille » mitterrandien.

Toujours en première page, rubrique fait divers, la mésaventure d’un patron de bar niçois enterré vivant dans un ossuaire, en compagnie de squelettes. Les enquêteurs enquêtent. Laissons-les.

En bas de la page, le billet du jour de Philippe Bouvard, inutile de s’attarder !

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Page deux, la météo en long et en large et en travers, car les niçois vivent actuellement l’automne le plus chaud depuis 1950.
Serait-ce une bonne nouvelle ?
Et bien, non, pas vraiment, il pourra s’agir, mais on n’en est pas sûr, Nice-Matin se garde bien de toute affirmation, d’un effet du réchauffement climatique.
Un horticulteur est plutôt content, mais pas un autre, qui geint, car les œillets et les roses qu’il attendait pour Noël sont en avance, ce qui fait qu’au lieu de les vendre au prix fort pour les fêtes, il doit les écouler maintenant et donc son bénéfice sera moindre.
Pas content !
Mais j’imagine que les amateurs de fleurs le sont, le malheur (très relatif) des uns faisant le bonheur des autres.

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Dans les pages suivantes Nice-Matin s’attarde longuement sur l’affaire Agnès Le Roux, sale histoire d’argent et de pouvoir qui a provoqué il y presque 30 ans la mort d’une jeune femme qui voulait être libre. Du moins c’est ce que j’ai retenu de l’affaire.

Et, en page 5, le récit du procès d’un photographe escroc. Spécialisé dans les mariages, il encaissait l’argent, assistait à la cérémonie et à la fête, cliquant à qui mieux mieux « Encore une ma petite dame, avec Monsieur, ah c’est beau l’amour ! Oui, oui, avec les belles-mères, souriez… parfait ! »
Mais, point de pellicule de l’appareil, donc point de photos et une fausse adresse… disparu !
Bon, finalement il s’est fait pincer et a pris deux ans de prison, dont un avec sursis.
Mais je sens bien au ton indigné de Nice-Matin qui plaint les tourtereaux privés de photos de mariage, que le journal trouve la punition un peu… légère !

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Quoi d’autre ?
Une Ferrari carbonisée, tiens ça brûle aussi ces trucs là ?
Quelques accidents de la route.
Les travaux à Nice. Ras la casquette, 3 ans que ça dure.
La chronique des quartiers.
Et des villes voisines.
Je passe vite, rien de palpitant !
Nicolas Estrosi présidera le comité de soutien à Nicolas Sarkozy et déclare « L’heure du grand rendez-vous avec la France est arrivé ». Rien que ça ! Finalement je me demande si il a envie d’être élu Sarkozy, parce que pour choisir Estrosi !!!!
Tiens, la page Monde, est consacrée à l’anniversaire de Chirac qui a fêté ses 74 ans !
L’heure de la retraite a sonné, hein Jacquot ! La re-trai-te !
Et à la visite du pape en Turquie.
Le reste de la planète n’intéresse visiblement pas Nice-Matin.
Que leur chaut l’Irak, le Soudan ou la Palestine, hors de France, point de salut !
Comme par hasard un petit sondage nous indique que les français préfèrent avoir plus d’argent que de temps libre et que les 35 heures ça ne leur plaît pas du tout.
Triste société qui préfère l’argent à la liberté.
Nice-Matin par contre est entièrement d’accord, oui, il faut travailler plus, bande de feignasses !
Je saute les pages France dédiées au candidat qui déclare que « Tout peut devenir possible ».
Et les pages sports dans la foulée.
Rien à dire sur les programmes télé non plus.
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Nice-Matin a un avantage, c’est qu’il est très vite lu !

Après cette plongée journalistique en rase mottes, j’ai eu envie de regarder vers le haut, de chercher la beauté, la présence des artistes dans le quotidien.
Et j’ai trouvé, comme en témoignent les photos.

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28.11.2006

Mandala

 

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Ce matin une chape de nuages pèse sur Bologne.
Le soleil est bien loin.
Alors pour lutter contre la grisaille.
Pour ne pas se laisser piéger par le stress.
Pour oublier les soubresauts stériles des politiques français.
Pour se sentir faire partie d’un tout qui est l’univers.
Pour se sentir, encore et toujours, reliés aux autres.

Quelques photos de mandalas hindous que nous avons prises dans le temple Sri Meenakshi de Madurai.

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En sanscrit, mandala signifie cercle magique, et il sert de support à la méditation, on l’appelle aussi yantra. Il est issu de la tradition tantrique.Comme les ondes sonores, le mandala est formé de cercles concentriques déployés autour d’un centre unique qui est l'essence du mandala, où les opposés se réconcilient, et où les contraires sont abolis.

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Entrelacs de formes géométriques dont les lignes s’enchevêtrent les unes aux autres, il représente le tout, l’univers. Il symbolise aussi le chemin de l’initiation, un labyrinthe ou chacun cherche sa propre voie, un voyage vers l’intérieur, là où le cosmos, les dieux et les hommes ne font plus qu’un.« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers. » SocrateSelon Jung le mandala symbolise, après la traversée de phases chaotiques, la descente et le mouvement de la psyché vers le noyau spirituel de l'être, vers le Soi, aboutissant à la réconciliation intérieure et à une nouvelle intégrité.

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Chacun des éléments d’un mandala possède sa propre symbolique :
- le cercle : l'univers
- le carré : le temps qui passe
- le triangle : l'union, l'harmonie, pointé vers le bas, il symbolise le Yoni
- le bleu : l'immortalité
- le jaune : la lumière
- le noir : la réincarnation
- l'or : la connaissance
- l'orange : le bien-être
- le rouge : la vie
- le blanc : l'unité
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Bon, je ne suis pas spécialiste. Pour écrire ce billet, j’ai effectué diverses recherches, n’hésitez pas à ajouter des précisions.

Et, en prime, une vidéo sur les temples hindous du Tamil Nadu: Madurai, Trichy, Thanjavur, Kumbakonam.

 

26.11.2006

Dimanche…

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Bologne se réveille lentement, moi aussi.
Une flaque de soleil sur le plancher, un reflet sur mon écran.
L’odeur du café qui glougloute dans la « macchinetta ».
Cette journée sera calme.
Peut-être irons-nous marcher, peut-être pas.
J’écrirai l’histoire de Radha et Krishna.
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L’autre jour sur une radio italienne, une émission du matin posait à la sagacité de ses auditeurs une question sanglante :
« Préféreriez-vous être déchiqueté et mangé par Polyphème, ou par le Minotaure ? »

Polyphème, c’est le cyclope, dix mètres de haut, un seul œil vous regarde, l’haleine d’un camion poubelle et des mains comme les pinces d’un excavateur.
Il a faim, sous la pierre le vin est frais, et le goût de la délicate chair humaine le fait saliver.
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Le Minotaure, produit des amours de Pasiphaé et d’un taureau blanc envoyé par Poséidon, tête de taureau sur un corps bestial, velu et musclé, énorme et rugissant qui se repaît d’adolescents candides.
Il attend, tapi dans un  « labyrinthe (qui) recélait en ses murs aveugles le lacis de ses couloirs et la ruse de ses mille détours ». Virgile, Enéide.
Il est la rage, la violence et la douleur. De ses naseaux jaillissent des flammes.
Il a faim, et peu lui importe la saveur de la chair qu’il dévorera sans la goûter.
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A choisir, je préfèrerais être mangée par le cyclope qui est un gourmet que par une brute haineuse.

Et vous ?
Ah, oui ! Pourquoi ?

Pour compenser la cruauté du jour, une petite vidéo sur Gili Air :

The smoking Island, Yeah !

 

24.11.2006

Gili Air, il suffira d’un rien…

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Dans le jardin du « resort » nous croisons Daddy, tout de blanc vêtu, qui inspecte son bien en mâchant du bétel. Nous lui demandons un insecticide car une colonie de fourmis rouges-qui -piquent a décidé de traverser le bungalow et la salle de bains. Il hoche la tête « Ok, ok ! »

Nous passons par l’intérieur de l’île pour rejoindre la grande plage. Le bord de mer est réservé aux touristes, mais ceux-ci s’aventurent rarement dans le village qui est resté traditionnel. Les maisons dressées sur pilotis voisinent des constructions basses un peu plus modernes.

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Sur le terrain de foot se dispute une partie contre une équipe de Lombok, l’enjeu est important et les supporters crient des encouragements. A côté de l’école, où nous sommes allés l’autre jour pour faire la connaissance des enseignants, des gamins imitent leurs aînés.

Entre les cocotiers le ciel semble de feu.

Puis le soleil disparaît dans l’horizon devenu rose au dessus du bleu profond de l’océan.

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A Gili Air, quelque soit la période de l’année, le soleil se couche à six heures.

 

Nous allons dîner chez Harry, un autre fils de Daddy. Sur l’île on mange tôt, de poissons grillés qui sont exposés devant les restaurants, et que des gamins éventent pour éloigner les mouches.

Depuis peu Harry est marié, avec une fille du village. Sous la pression de la famille, qui a organisé le mariage, le séducteur s’est rangé.

Un Don Juan, Harry !Il y a deux ans, il était amoureux d’une parisienne, Magali. Elle venait souvent, lui envoyait des cadeaux. Pour la séduire, il avait prétendu être masseur. Puis Magali lui a demandé de venir vivre avec elle en France, et il a refusé. Qu’aurait-il fait à Paris ?

D’autant qu’il a déjà tenté l’expérience de l’expatriation. Avec une japonaise qu’il aimait et qu’il a suivie en terre nipponne. Au bout de quelques mois, son île a commencé à lui manquer, puis de plus en plus, elle envahissait ses pensées.

L’hiver est arrivé, il faisait froid.Et que faire de toutes ces journées, sans amis, sans la mer ?Alors quand elle lui a annoncé qu’elle était enceinte il a eu tellement peur d’être coincé à vie dans ce monde ennuyeux qu’il a pris un taxi pour l’aéroport, il est monté dans un avion et a fui à jamais.

Pourtant elle était belle et riche.

Elle vient de temps en temps sur l’île, avec un petit garçon, qui l’appelle « Daddy ».

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Tout là-haut, un croissant de lune à l’envers éclaire faiblement la cime des palmiers.Quelques oiseaux nocturnes se parlent en chantant.C’est la nuit sur Gili Air.

 

Depuis quelques années le sort s’acharne sur l’archipel indonésien. La population connaît de grandes difficultés.A Bali, à Lombok, le tourisme, qui pendant longtemps a représenté une source de revenus importante, est en baisse, pourtant les lieux sont paradisiaques.

Les prédictions des scientifiques concernant l’avenir de la planète sont loin d’être optimistes.Les émissions de gaz des pays industrialisés provoquent un effet de serre, entraînant une augmentation de la température de la planète.Si le phénomène s’accélère, les calottes polaires fondront et le niveau des océans montera.

Gili Air est une île toute plate.

Il suffira d’un rien, quelques dizaines de centimètres, pour qu’elle disparaisse à jamais sous les flots.

Et ses habitants paieront au prix fort les conséquences d’abus, que d’autres, très loin de leur île, auront commis, par égoïsme, par bêtise, pour alimenter un système économique dont les indonésiens ne tirent aucun bénéfice.

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23.11.2006

Gili Air, encore une journée au paradis

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Après les vendeurs de colifichets arrivent les vendeuses de fruits, qu’elles portent sur leurs têtes, dans un grand panier, savoureuses petites bananes, mangues juteuses, ananas sucrés qu’elles préparent en deux minutes, de trois coups de couteau experts.Certaines sont accompagnées de leurs enfants qui les suivent en sautillant, et parfois s’arrêtent pour jouer avec d’autres.Là encore il faut négocier, ne froisser aucune susceptibilité en achetant à l’une plus qu’à l’autre, ne pas promettre impunément d’acheter plus tard, car sinon elles reviennent, la mine suppliante pour provoquer la compassion.

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Nous ne pouvons pas manger plus de deux ananas et quatre mangues par jour, quand même!

J’aime particulièrement Urya, au sourire éclatant, je guette sa silhouette gracieuse, son pas dansant malgré la lourde charge. Son mari l’a abandonnée, elle a trois enfants à élever, sa vie est dure. Urya est généreuse, parfois elle nous offre une mangue, comme ça, par amitié, moi je lui ai donné une de mes robes qui lui plaisait.

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Vers une heure nous reprenons le chemin du bungalow. Aujourd’hui, nous déjeunons chez Miss Gili Air. Sur son menu, elle propose, ô merveille, des « panzerotti », chaussons en pâte à pizza fourrés de tomates et de mozzarella, frits dans l’huile, spécialité des Pouilles, plus précisément, de Bari, la ville natale de Fabio qui a été ébahi par cette surprenante découverte.En plus, les « panzerotti » sont bons, croustillants à souhait.

 

Quelques semaines plus tard, nous nous rendrons chez la mère de Fabio, à Santeramo, la bourgade des Pouilles où il a passé sa jeunesse. Au hasard d’une promenade nous rencontrerons Sonia, une amie perdue de  vue de puis trente ans. Et Sonia nous racontera qu’elle a vécu dix ans à Gili Air, qu’elle y a eu un restaurent italien, et qu’elle y a enseigné l’art du panzerotto, de la pizza et des spaghettis bien cuits.

C’est vrai que parfois le monde est petit!

Fabio aussi a  laissé sa trace dans le menu, en suggérant à la jolie Miss de cuisiner des pâtes Saracena, tomates fraîches et mozzarella. Depuis, le plat figure sur la carte.

 

Après le déjeuner, une sieste s’impose. L’île sereine et calme, somnole.

Vers quatre heures, tiré de la torpeur par les rires des nombreux enfants qui jouent au bord de l’eau ou ramassent des coquillages, nous retournons à la plage. Quand il nous voit, Bihi court joyeusement vers nous.

Bihi, l’enfant de la plage, il dit qu’il ne va plus à l’école car il a quatorze ans, je sais que ce n’est pas vrai, il en a douze, c’est Kartini, sa mère, qui me l’a dit, et l’école ? Elle a levé les yeux au ciel, elle a d’autres soucis, alors Bihi passe ses journées sur l’île.

Le mari de Kartini est volage, tantôt chez elle, tantôt ailleurs.Enceinte de son dernier passage, elle arpente la plage, son gros ventre en avant, pour proposer des massages et des soins manucures.

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Elle arrive elle aussi, comme je n’ai aucune envie d’un massage huileux et éventuellement sableux, je lui tends mes mains et elle dessine sur mes ongles des petites fleurs roses.

« School beach, school beach! » réclame Bihi qui s’impatiente.

Ok, school beach!

Nous lissons le sable et comme chaque jour, je lui apprends à faire des additions et des multiplications, simples, car Bihi se lasse vite.D’autres enfants arrivent, je joue à la maîtresse. Les vendeurs et les vendeuses qui passent s’arrêtent et nous regardent en souriant, l’une pose son bardas et participe, elle compte vite et bien, mieux que les enfants. Elle est contente, elle rit en calculant.

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Avec tout ça le temps passe, nous avons juste le temps de retourner nous doucher au bungalow, avant d’aller de l’autre côté de l’île regarder le soleil se coucher dans la mer.

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à suivre... 

21.11.2006

Gili Air, une journée au paradis (suite)

 

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La plage est encore vide, nous nous installons à notre place habituelle - c’est fou ce qu’on prend vite des habitudes - à l’ombre du grand arbre.Elle n’est pas extraordinaire la plage, pour qui n’a pas succombé au charme de l’île et la gentillesse de ses habitants, elle peut même sembler banale.Je sors ma boite d’aquarelle pour tenter, une fois de plus, de peindre la côte de Lombok : le vert olive délavé, le beige et le gris des collines, le vert cobalt des palmiers, le jaune pâle de la plage… et la mer, qu’il est difficile de peindre la mer ! Tout me pose problème, ses camaïeux de bleus, qui vont du cobalt au turquoise, veines d’émeraude, blanche écume, sans parler de l’impression de mouvement.
C’est un défi impossible, d’ailleurs ai-je vraiment envie de figer cette beauté ?

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Dix heures, les premiers vendeurs ambulants débarquent sur la plage, ils viennent tous de Lombok, par le même bateau. Les hommes proposent des colliers de petites pierres, turquoise, jade, œil de tigre, ou de perles, des objets artisanaux, des tissus, des chemises, des tee-shirts. Ils vendent tous plus ou moins la même chose. Les premiers jours ils ont été très insistants, depuis l’attentat de Bali, la fréquentation touristique a baissé, moins de clients, moins de ventes, moins d’argent. Nous avons acheté un peu à l’un un peu à l’autre, maintenant ils nous connaissent, ils s’asseyent près de nous à l’ombre du grand arbre et nous discutons, de leur vie et de la nôtre, nous comparons les prix, ils sont surpris par ce que je leur explique, tant d’argent pour ne même pas être riche !

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Jan est notre préféré, contrairement aux autres qui sont des revendeurs, il fabrique lui-même ses bijoux, avec l’aide de sa femme. Il est toujours de bonne humeur et les questions qu’il pose dénotent une grande curiosité et une grande ouverture d’esprit. Il va au-delà des questions matérielles, il m’interroge sur la religion telle qu’elle est pratiquée en Europe, sur l’éthique, sur la finalité du développement économique qui passe très loin au-dessus de Lombok.
Hier il nous a invités chez lui, à Pemalang, sur Lombok. Il habite avec sa femme et Agama, leur bébé, une petite maison de bois qu’il a construite avec ses amis, dans une ruelle animée. Ils ont l’électricité, mais pas l’eau qu’il faut aller puiser.
Le quartier est très modeste, les égouts sont d’étroits canaux à ciel ouvert, mais les ruelles ne sont pas pour autant sales, les cabanes sont peintes, il y a des fleurs, on entend jouer les enfants dans la cour de l’école voisine.
Nous nous sommes assis dans le jardinet, d’autres garçons sont arrivés, ils nous ont posé plein de questions. Jan se fait du souci pour le futur, si le nombre de touristes baisse encore, il devra changer de travail. Il nous a raconté qu’à 14 ans, ses parents l’avait envoyé dans la montagne, pour être bucheron, il y est resté plusieurs années, le travail était très dur. Il aimerait avoir un poulailler, pour élever et vendre des poules au marché, d’après lui, c’est d’un bon revenu, alors, quand il le peut, il met de l’argent de côté.
Ils sont pauvres, mais ne sont en rien misérables et ils aiment la vie qu’ils mènent, même si souvent ils souhaiteraient avoir un peu plus d’argent.
Ils ne connaissent ni le froid, ni la solitude, entre membres d’une même famille, entre habitants d’un quartier la solidarité est de mise.

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Jan nous a raconté le mariage de sa sœur, la cérémonie, la fête. Je lui ai demandé si il y a eu un repas, si le jeune couple avait reçu des cadeaux, il a répondu en riant que oui, ils ont mangé ensemble, partageant ce que chacun avait apporté, un régime de bananes, un poulet, des ananas, c’était ça, les cadeaux.
Il nous aussi parlé du peu de confiance que les indonésiens accordent à leurs politiques, de la corruption, omniprésente. Comme l’immense majorité des indonésiens, Jan est musulman. L’islam pratiqué en Indonésie a toujours été très modéré, très ouvert et l’attentat de Bali est très mal perçu par la population.

Puis il nous a accompagnés à l’embarcadère et, après avoir acheté nos billets, nous avons attendu le bateau régulier. Assis sur un banc au milieu des femmes. Pour que le bateau parte, il faut qu’il ait un nombre de passagers suffisant, plus exactement que la compagnie fasse un bénéfice. L’attente s’est prolongée car le nombre de clients ne permettait pas de remplir la condition et nous avons patienté plus d’une heure, jusqu’au moment ou quatre touristes nordiques, chaussures de montagne et sac à dos, sont arrivés, le guichetier leur a vendu, en omettant probablement de le leur expliquer, quatre billets dont le prix a représenté la somme manquante. Petite entourloupe qui a permis au bateau de partir.

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à suivre... 

19.11.2006

Gili Air, une journée au paradis

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A Gili Air, quelle que soit la période de l’année, le soleil se lève à six heures, normal, l’île indonésienne est proche de l’Equateur. De la terrasse du bungalow, je le regarde s’élever entre les palmiers, au loin Lombok émerge de la brume. Dans le silence de l’aube, le chant du muezzin monte vers le ciel et les cocoricos des coqs se répondent en écho.

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Sur l’île, rien ni personne ne bouge, il est encore trop tôt et je retourne m’allonger dans le lit, sous la moustiquaire grise et trouée, dans laquelle une araignée géante a filé sa toile. Daddy et ses fils ne sont guère à cheval sur l’entretien.

C’est la deuxième année que nous séjournons à Gili Air, il y a deux ans, nous étions restés deux semaines, incapables de prendre la décision de partir. Nous avions même envisagé d’acheter un terrain pour y construire une maison de bois et de palme. Mais tout étant compliqué nous avions renoncé.
Deux heures plus tard, nous nous décidons enfin à nous lever. Entre temps les premiers bateaux, longs et effilés, ont déjà quitté l’île, emmenant à leur bord les femmes qui se rendent au marché à Pemenang ou encore à Mataram, la capitale, et les hommes qui vaquent de Gili Air à Lombok et de Lombok à Gili Air.

Sur la terrasse du « resort », assis face à la mer nous attendons que les garçons prennent conscience de notre présence pour leur commander le petit déjeuner, pancakes caoutchouteux et café soluble, Daddy et ses fils ne sont pas non plus regardants sur la qualité de la restauration matinale.
Shakiro, le fils aîné, qui est officiellement le gérant des lieux, allongé dans son hamac favori, impassible, roule consciencieusement son premier pétard de la journée. Bob Marley en fond sonore.
« Smoking Island yeah ! » lance Shakiro en nous apercevant.
Il y a une semaine il nous a aimablement proposé son joint matinal. Après la première bouffée j’ai compris que la sagesse exigeait qu’elle soit aussi la dernière, Fabio non, il a gaillardement partagé le pétard avec Shakiro.
Aussi quand deux heures plus tard, alors qu’il était allongé sur la plage et que je tentais, sans grand talent, de peindre le rivage de Lombok à l’aquarelle, il m’a dit « Je sens un tremblement de terre ! », moi qui n’avais rien noté de particulier, j’ai répondu « C’est ça, c’est ça… » en rigolant.
Et bien le lendemain nous avons reçu le mail d’une copine « Comment ça va ? J’ai lu dans le journal qu’il y avait eu un petit tremblement de terre en Indonésie ». Et là c’est Fabio qui a rigolé.
Bon, quand même, maintenant quand Shakiro, de son hamac, nous tend le pétard nous  répondons : « No, thanks, later »

Vers neuf heures et demie nous prenons le chemin du bord de mer pour aller à la plage. Une carriole tirée un poney, seul moyen de transport de l’île, nous double dans un bruit de clochettes, elle ramène à l’embarcadère des touristes qui ont fini leur séjour. Pour la plupart, ils font une halte de deux ou trois jours, mais il y a aussi les habitués, comme cette dame suisse que nous avons rencontrée et qui, depuis vingt ans, passe le mois d’aout sur l’île où tout le monde la connait.
Nous aussi tout le monde nous connaît. En passant devant les restaurants, les boutiques et les bars, nous échangeons des « Hi ! », « Hi ! ». Ils sont alignés le long du chemin sablonneux et tous cherchent à convaincre le client qui passe.


Chez Han’s, la ravissante Miss Gili Air (c’est nous qui l’avons surnommée ainsi) ne nous voit pas passer, elle est en grande discussion avec un jeune allemand, côte à côte accoudés au bar, les yeux dans les yeux. Miss Gili Air semble être une jeune femme très émancipée, sur cet ilot musulman, il est habituel, voire même souhaitable que les garçons séduisent les belles, ou moins belles, étrangères, pour les filles il en va certainement différemment.

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Une dizaine d’échoppes plus tard, le frère de Shakiro, lève la main de son hamac pour nous saluer. Apparemment la propension à la pratique accrue du hamac serait génétique. On nous a raconté son histoire. Il y a une dizaine d’années, il s’est marié avec une allemande, une beauté blonde qui faisait saliver les mâles de l’île. Elle s’est installée avec lui, dans une maison de palme et ils ont eu deux enfants. Ce sont eux qui ont en premier attiré mon attention, un garçon et une fille, à la peau mate et aux cheveux dorés, jouant avec les autres, pieds nus dans la poussière.

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Mais un jour, ou un soir, le frère de Shakiro a surpris la belle dans les bras d’un autre. Pour les fils de Daddy, le pardon n’existe pas et il l’a chassée, confiant les deux petits à ses parents. Elle est retournée en Allemagne, puis elle a erré dans divers lieux de l’Indonésie, avant de revenir sur l’île où elle a emménagé dans une modeste cabane. Peu a peu, elle a perdu la raison, on la voit parfois arpenter le chemin, maigre et hagarde, parlant seule et personne ne la regarde. Je ressens pour elle une infinie tristesse, ces amours de vacances que l’on veut transformer en unions connaissent souvent des fins cruelles. Plus loin, le restaurateur guitariste, qui le soir, quand les petites terrasses sur pilotis se vident et que la journée est finie, chante des standards de Bob Dylan et des Beatles, accompagné de sa femme et de sa fille qui a huit ans, nous serre la main en nous disant « Tonight, I have very good fish » et nous, passant notre chemin « Maybe, maybe ! »

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à suivre ... 

16.11.2006

Krishna, un dieu humain.

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Comme vous l’avez sans aucun doute compris au fil de mes écrits, je suis athée et la croyance en un, ou plusieurs dieux, m’est totalement étrangère.Néanmoins, j’ai de l’affection pour certains dieux du panthéon hindou, car ce qu’ils  démontrent de profondément humain, me touche.

L’hindouisme n’est pas à proprement parler une religion polythéiste, dans la mesure ou les diverses divinités et avatars adorés par les hindous sont considérés comme différentes formes de l’Un, le dieu suprême, Brahman.Les différentes formes adoptées par Brahman, sont les seules accessibles aux humains, qui peuvent, à leur gré, s’identifier aux uns ou aux autres. Il est par contre des aspects de l’hindouisme, comme le système des castes, qui me sont insupportables. Mais il suffit de regarder la société occidentale pour constater, avec tristesse, que même si le mot « caste » n’est pas utilisé, les divisions sont bien réelles et les possibilités de passer d’un groupe social à un autre, très limitées.Donc un système de caste, hypocrite, qui ne dit pas son nom, mais qui se porte très bien, merci, et même de mieux en mieux, les inégalités allant en s’aggravant.Revenons à l’hindouisme, dans le panthéon de ses dieux, j’ai un préféré : Krishna, le dieu de l’amour, et pas seulement l’amour éthéré, non l’amour charnel, orgasmique, joyeux, qui glorifie la chair et ses plaisirs.
Il y a fort longtemps, le roi Kansa, régnait sur Mathura. Pire qu’un despote, ce roi cannibale et d’essence semi divine, semait la terreur dans son royaume. Horrifiés par ses continuelles  exactions, les dieux, Brahma en tête se rendirent en délégation chez Vishnou pour lui demander d’intervenir. Conscient de l’étendue du problème, Vishnou conçut alors un plan très élaboré.

Ayant prêté une oreille complaisante à une voix venue d’ailleurs, (d’aucuns diraient « céleste »), qui lui prédisait funestement que le fil de sa vie serait tranché par le huitième enfant de sa sœur Devaki et de son époux Varudesa, le curry monta au nez de Kamsa qui ordonna au couple de lui remettre dès la naissance les futurs fruits de leurs ébats nuptiaux.
Les six premiers nouveaux nés furent donc livrés sans hésitation au tyran qui les élimina prestement.
A la naissance du septième, le couple, qui désormais n’était plus si jeune, ne supportant plus ces sacrifices et ignorant probablement l’art de la contraception, décida de passer outre l’injonction fraternelle et de confier l’enfant à une autre épouse de Vasudeva.
Il était temps pour Vishnou de passer à l’acte. Il s’introduisit secrètement dans l’utérus de Devaki et y laissa sa semence, puis il fit de même dans l’utérus de Yasoda, une jeune gopi  (vachère). Puis il fit en sorte que les deux femmes accouchent ensemble dans l’obscurité d’une chambre et opéra une rapide substitution, le garçon que mit au monde Devaki fut glissé entre les jambes de la vachère, tandis que la fillette de Yasoda prenait place entre celles de la princesse.

Le garçon devint donc le fils de Yasoda et on le nomma Krishna, terme sanskrit signifiant bleu, ce qui explique qu’il ait, généralement, été représenté de cette couleur.

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La fillette considérée nièce de Kamsa, fut remise au tyran qui l’élimina sur le champ, mais, avant de disparaître, la petite déesse, fille de Vishnou ne l’oublions pas, probablement furieuse de tout ce va et vient inutile, glissa dans l’oreille du roi « Fais gaffe à toi, ton meurtrier vient de naître ! »
Ivre de rage, le roi fou ordonna la destruction de tous les nouveaux nés de la contrée, mais, comme dans toute bonne légende religieuse qui se respecte un seul y échappa : Krishna.

L’enfant grandit à la campagne où sa force, sa vigueur et sa beauté valurent bientôt d’être admiré de tous, et surtout de toutes.
Lorsqu’il sortait sa flûte, les donzelles se pâmaient.
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S’avisant de l’étendue de son succès et des nombreux avantages charnels qu’il pouvait en tirer il utilisa alors sans vergogne son art de la flûte pour pratiquer celui d’une autre qui, bien qu’enchantée, n’avait rien de musical.
Farceur et jamais repus par les délices de la chair, par un bel après-midi d’été, il cacha les vêtements d’un groupe de jeunes vachères qui se baignaient nues dans un étang. Suite à quoi il grimpa dans un arbre et obligea les jeunes filles à venir le supplier, dans le plus simple appareil.
Une autre fois, comme en témoignent divers tableaux, dont un se trouve dans un musée de Kochi, il réussit à satisfaire de concert et à lui tout seul, huit jeunes gopis avides qui, charmées par le doux chant de sa flûte, s’étaient jetées sur lui.
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Parmi ces jeunes femmes, une eut sa préférence, la belle Radha, qui bien que mariée céda a ses charmes. De leur union naquit l’intellectuel universel, conscience de Krishna.

Lorsqu’il ne lutinait pas les gopis, Krishna menait de nombreuses batailles, contre les dieux indo-européens tout d’abord, en persuadant les vachers de renoncer Indra, le dieu de la pluie, mais de vénérer les vaches. Les bovins indiens, qui jouissent encore aujourd’hui d’un total et respect et de maintes attentions de la part de hindous, lui en sont, soyons en sûrs,  éternellement reconnaissants.
Il détrôna ensuite le cruel Ramsa, libérant ses sujets de son despotisme.

Puis il parvint à convaincre Arjun, le beau prince pandava qui avait des penchants pour le pacifisme, de prendre part à la fameuse bataille de Kurukshetra évoquée dans le Mahâbhârata.
Il conduisit lui-même le char du héros et lui enseigna les bases du karma yoga (le yoga de l’action).
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Enfin, chose étrange pour un dieu du panthéon indien, il mourut, bêtement, atteint par la flèche d’un chasseur qui le prit pour un daim et qui se ficha dans son talon, seul endroit vulnérable de sa personne.
Chose encore plus étrange il resta sans sépulture, et la légende raconte que l’océan sortit de son lit pour inonder la forêt où reposait son corps.

Les spécialistes de l’hindouisme situent la naissance de Krishna bien avant celle de Bouddha car il est mentionné dans des écritures prébouddhiques notamment dans la Chandogya-Upanishad.
C'est-à-dire vers le  9ème siècle avant J.C.

Krishna est un dieu humain, imparfait, séducteur, joueur et son histoire rappelle en bien des points d’autres mythes religieux ou épiques, Hérode faisant massacrer les bébés, l’enfant conçu directement par l’être divin dans le ventre d’une mortelle, le héros au talon fragile.

C’est en cela qu’il me plaît, il est universel, il ne condamne ni ne juge, ne réclame pas l’obéissance aveugle.
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Il est un Dieu parmi les autres.

Ou un humain parmi les autres, suivant ce que l’on en pense.

 

En cette époque troublée, où monte la haine monte, où grandit l'intolérance, où les contempteurs de la chair et les obscurantistes grondent leur rage à dominer le monde, à contraindre, à étouffer la liberté, les libertés, regardons ce qui nous rassemble, nous les humains, au lieu de focaliser sur sur ce qui nous différencie.

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Pour raconter l'histoire Khrisna je me suis inspirée de diverses sources, j'ai retenu ce qui me paraissait le meilleur, mais d'autres versions sont possibles.

12.11.2006

Morts pour la France

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11 novembre 1966

Et zut ! Le défilé va commencer et nous sommes encore à la maison. Par la fenêtre du cagibi je vois les élèves de l’école, endimanchés, se regrouper dans la cour. Les filles ont des bouquets de fleurs. Moi aussi, j’en ai un, des dahlias du jardin que je suis allée ramasser ce matin, avant de nous préparer. Ils étaient humides de rosée glacée. Et j’avais les doigts gelés.
Moi je suis prête, si on est retard, ce ne sera pas à cause de moi. J’ai mis l’ensemble veste robe beige et jaune que ma grand-mère nous a fabriqué l’année dernière, à Annie et à moi. Toujours habillées pareil, « Comme des jumelles » dit mémère.
Le problème c’est qu’on n’est pas jumelles, elle a deux ans de plus que moi et elle aimerait bien que ça se voit peu plus. De toute façon, si on m’avait demandé mon avis, je n’aurais pas mis l’ensemble de mémère non plus. Il ne me plaît pas et en plus, il gratte.
Enfin, ce n’est pas moi qui décide, en attendant, les chaussettes bien remontées sur les mollets, la queue de cheval impeccable, ou presque, j’attends impatiemment le début du défilé.
Il faut dire qu’à Parnac, 1000 habitants dans la commune, 149 dans le village, il n’y a pas beaucoup de distractions, pour être exacte, en dehors de la fête de l’école, il y en a que deux, la fête du village, avec un manège, et encore pas tous les ans, l’année dernière il n’est pas venu, et le défilé du 11 novembre.
Ce serait quand même dommage de manquer le départ, surtout qu’il a lieu sous la fenêtre.

Mon papa, lui, est déjà dans la cour, en costume, avec une cravate et son écharpe de maire en travers de la veste. Il discute avec des hommes, serre des mains. Mon papa est quelqu’un de très important, non seulement il est maire-de-Parnac, mais en plus, il est directeur de l’école de deux classes, l’une tenue par lui et l’autre par ma maman. Ce qui fait qu’Annie et moi sommes à la fois les filles du maire et les filles du directeur d’école et de la maîtresse, et c’est pas tout les jours facile à porter, faut pas croire ! Enfin, on descend, ma maman a mis son beau tailleur en laine-méchée-à-chevrons couleur feuille d’automne, avec des boutons dorés, qu’on a acheté dans le magasin chic d’Argenton et des chaussures à talons.
Et c’est parti. Les anciens combattants ont pris la tête du cortège, leurs décorations accrochées aux vestes du dimanche, la casquette plate posée sur leurs cheveux blancs ou leurs crânes à demi chauves. Leurs visages ridés et rougis par les ans sont graves et leur pas pesant. L'un deux, un grand maigre, a une jambe de bois et un autre, qui me fait tellement peur que j'ai du mal à le regarder, a une énorme cicatrice de l'oeil droit au menton, et sa bouche est toute déformée. En deuxième position, les élus bombent le torse autour de mon papa le maire. Les enfants suivent se donnant la main, par deux ou par trois. Moi j’ai celle de Jacqueline dans la mienne, c’est la fille de la postière et elle est née un jour avant moi, alors forcément, on est copines.

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Trois minutes plus tard, exactement, on est déjà arrivés au but : le monument aux morts, juste devant l’église.
Là, comme tous les ans, la foule (50 personnes) se répartit en arc de cercle, toujours dans le même ordre, autour de la stèle biseautée entourée de gravier.

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Le plus âgé des anciens combattants, celui qui a une jambe de bois, sort du rang, enlève sa casquette et commence à lire les noms gravés dans la pierre :
«-Baritaud Fernand
- Mort pour la France, répond un autre
- Dejoie René
-Mort pour la France
- Dejoie Henri
-Mort pour la France ».
Et ça continue, ça continue…
Et de penser à ces hommes « morts- pour-la-France, morts-pour-la-France », je me sens toute triste.
Et je me demande ce que ça veut dire, finalement « mort-pour-la-France ».
Est-ce qu’on est vraiment obligés de la faire la guerre ?
D’aller y mourir à 20 ans, comme Labesse Ludovic, « mort-pour-la-France » à 20 ans.
Comme le premier mari de ma grand mère qu’est morte quand ma maman était petite et que j’ai jamais connue. Tout ce que je sais c’est qu’elle s’est mariée à 15 ans, qu’elle a eu le demi-frère de ma maman à 16 ans et que son mari est « mort-pour-la-France » quelques mois plus tard.
Et d’abord à quoi ça sert la guerre, à part à faire des « morts-pour-la-France » ?
Pourquoi est-ce des grandes personnes intelligentes, encore plus importantes que mon papa, décident de faire des guerres ?
Et après il y a des millions de « morts- pour-la-France » et de « morts-pour-l’Allemagne ». Mon papa a dit l’autre jour que pour la première guerre mondiale (celle dont fête l’armistice), il y a eu presque 9 millions de morts, dont 1,5 millions de français, que 6,5 millions de soldats ont été blessés, que 3 millions de femmes ont perdu leur mari et 6 million d’enfants sont devenus orphelins. Chapeau !

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La liste est finie, nous posons nos fleurs au pied du monument et tout le monde fait une minute de silence. Pas tout à fait tout le monde, Jean-Michel Maillochon et Gérard Laroche, deux grands du certifs pas futés futés, font exprès faire des bruits avec leurs bouches. Alors ma maman de ses yeux bleus leur balance son regard noir qui fait peur et ils arrêtent net. Avec ma maman ça rigole pas.

Là-dessus toute l’assemblée se dirige vers l’église pour la messe, sauf nous !
Car, non seulement mon papa est le maire du village et le directeur de l’école et ma maman la maîtresse, mais en plus nous sommes athées. Les seuls à 20 kilomètres à la ronde.
Quand je vous dis que ma vie n’est pas facile !
Je suis privée de messe, privée de catéchisme, privée de communion. J’en rêve. Je quémande des images pieuses à mes copines. J’adresse à leur Dieu des prières enflammées : « Faites que je puisse aller à la messe et au cathé, je vous en prie merci ».
Peine perdue, la vague d’envie mystique passée, je resterai athée et heureuse de l’être.

Une heure plus tard, passée à la maison, nous récupérons le défilé à hauteur de l’église où le curé, en soutane crasseuse, bénit les tombes pendant que les ouailles entonnent  « Ce n’est qu’un aurevoooooir, mes frères". et le choeur chante tellement faux, qu'avec Annie, on a du mal à ne pas éclater de rire.

Enfin, arrive le clou de la fête : la galette chez Delaune.
Elle est croustillante, la limonade pique le nez, les hommes lèvent le coude au comptoir et les garçons nous font de l’œil.

N’empêche, je sais que ce soir, quand je fermerai les yeux pour m’endormir, j’entendrai « mort-pour-la-France, mort-pour-la-France » et que j’aurai envie de pleurer.

Alors je me promets à moi-même, de toujours, toujours être contre la guerre.

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10.11.2006

De l’Art

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Il y a des choses que je n’arrive pas à comprendre, ni même à admettre.

Attrapant au vol le journal de France 2 de jeudi soir, j’entends David Poujadas (David Poujadas, l’ex chouchou de la maitresse, qu’on imagine assis au premier rang, qui lève la main pour répondre alors qu’à l’arrière on crie la bonne réponse, toujours bien coiffé et poli).
Bref, de la bouche du chouchou de la maitresse, j’apprends que le tableau le plus cher du monde « Le portrait d’Adèle Bloch-Bauer », a été vendu hier à New York, par Christie’s, pour la somme de 135 millions de dollars.

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Cent-trente-cinq millions de dollars !!
Pour un tableau !

Dans une grande partie du monde, pour 1 dollar, on peut donner à manger à au moins deux personnes : si nous faisons le calcul, on aurait pu, pour la même somme, nourrir environ 270 millions d’affamés.
On aurait pu aussi, bien sûr, construire des hôpitaux, des écoles, des maisons.

D’aucuns diront que je mélange tout et que l’argent attribué à l’un ne serait de toutes façons pas allé aux autres, etc… etc.

Ou encore que l’Art c’est l’Art, pas touche !

Mais qu’est-ce donc que l’Art, justement ?

Que Klimt soit un des précurseurs de la peinture du XXème siècle, j’en conviens.

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Cet érotisme morbide, ces corps verdâtres et décharnés, ces femmes anorexiques aux grands yeux vides, on ne les a que trop vus, on ne les voit que trop, nés du pinceau des peintres, ou réels, vivants, maigres de n’avoir rien à manger ou maigres pour suivre une mode dont les diktats économiques visent à l’effacement des êtres.

Mais cela justifie-t-il ces prix exorbitants ?
Aux yeux des marchands d’art, oui, sans aucun doute. Les marchands d’art sont ces gens qui ont laissé mourir Van Gogh dans la misère avant de se repaître de ses œuvres, de son sang.
Je cite Van Gogh, à titre d’exemple, il n’est pas la seule victime de ce marché, loin s’en faut.

Le marché justement qui envahit tout, pourrit et corrompt tout ce qu’il touche.

Moi j’aime l’art dans la rue, l’art au quotidien, j’aime lever les yeux et découvrir une corniche finement sculptée, une frise gracieuse et colorée qui court le long d’un mur, un tag éclatant, un trait harmonieux qu’un anonyme a tracé et que personne n’appellera jamais « un artiste ».

J’aime aussi les musées, mais ils sont chers, de plus en plus chers et encore plus chers.

Permettre à quelques uns de s’enrichir de telle manière avec les œuvres des autres est choquant.

Il faudrait au contraire libérer la créativité de tous, le monde en serait plus beau et plus pacifique.

Mais les intérêts de l’économie sont ailleurs, dans l’asservissement des peuples, pas dans leur émancipation.

« Qu’advienne une sécession qui rematérialise le monde, le réenchante, le revivifie – loin de tout ce qui, depuis cent ans, consacre le triomphe de la pulsion de mort, de l’odeur fade des boucheries, âcre des charniers, écœurante des carnages, en remède, justement à toutes ces catastrophes, pourvoyeuses des cimetières annoncées par les corps de Klimt. »
Michel Onfray « L’archipel des comètes »

Jusqu’à maintenant, en Inde, les affiches et les volets des boutiques étaient peints à la main, par des artisans, modestes et peu payés. Et pourtant, à mon avis, c’est de l’art, qu’en pensez-vous ?

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