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31.08.2006

Une journée avec Sasikala

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Nous partons au Tamil Nadu pour la journée. Dans Macaroni : Valeria, Rama, Sasikala et nous. Objectif : inspection par Sasikala de l’école maternelle, négociations en vue de l’achat d’un terrain pour la construction d’un dispensaire et visite du tout nouveau village des intouchables. Du chappatti sur la planche !
Notre destination est seulement à une centaine de kilomètres, mais vu l’état des routes (nids de poules géantes, vaches vagabondes, bus déjantés, camions poussifs) il faut compter deux bonnes heures de trajet dans la chaleur et l’incessante rumeur des klaxons (tuuuuuuuut ! pouet pouet ! tou-tou-toum tou-tou-toum). Mais Sasikala s’en fiche, une journée au Tamil Nadu, c’est partir en vacances.
Si l’on considère les exigeants canons de beauté occidentaux on dira que Sasikala a une dizaine de kilos en trop, pour les canons indiens, par contre, elle est superbe. Grande, la démarche fière, le pan du sari flottant dans son dos, quelque chose en elle vibre que d’autres n’ont pas, ce doit être la grâce. Mais au-delà de sa beauté, sa vivacité d’esprit fascine. Valeria dit d’elle qu’elle est la femme la plus intelligente qu’elle connaisse, celle dont la réflexion est la plus proche de la pensée occidentale.
Pourtant sa vie n’est pas une partie de plaisir.
Née hindoue dans une famille de caste supérieure mais peu argentée, son père meurt quand elle est enfant. Grâce à de nombreux efforts et sacrifices de la part de sa mère Sasikala parvient à étudier et devient enseignante dans une « English medium ». C’est alors que l’amour se manifeste sous la forme d’un chauffeur de bus scolaire catholique. Qu’à cela ne tienne Sasikala est un être libre et le mariage, contre vents, marées, pressions familiales, anathèmes religieux, poids des traditions et qu’en dira-t-on, se fait. Elle se convertit au catholicisme, «  Mais, dit-elle, dans mon cÅ“ur je suis hindoue ».
Hélas, parfois la chance ne sourit pas aux audacieuses, et le chauffeur de car catholique se révèle être un piètre mari, jaloux, possessif, violent. Sans parler de la belle famille, la belle-mère acariâtre, le beau-père alcoolique. Trois médiocres qui se sont acharnés contre elle pour la soumettre, pour éteindre le feu de joie qui brûle en elle.
En Inde, les femmes ne divorcent pas, surtout si, comme Sasikala, elles ont deux enfants. Elles s’adaptent et souffrent en silence.
En rencontrant Valeria, qu’elle a aidée à créer Namaste, un espace de liberté s’est ouvert à elle. Bien qu’irascible et d’une jalousie maladive le mari, intéressé par les espèces sonnantes et trébuchantes, ne s’est pas opposé à ce qu’elle travaille au sein de l’association. Il est par contre d’une totale et odieuse intransigeance sur les horaires. Quand elle dépasse l’heure par lui fixée il la viole. Mais Sasikala ne renonce à rien et certainement pas à d’autres frissons.
Les enfants sont presque grands et si l’occasion de partir se présente elle bouclera ses valises. En attendant elle relève la tête, ajuste son sari et illumine Namaste de sa présence.

Dans Macaroni elle plaisante avec Rama, comme peu d’Indiennes peuvent le faire. Elle ne minaude pas, elle éclate d’un rire si contagieux que nous rions nous aussi sans avoir rien compris.

medium_namaste53.jpgLa classe maternelle du Tamil Nadu est un enchantement. Seize adorables marmots, entre trois et cinq ans, nous fixent de leurs immenses yeux noirs. Ils sont calmes et sereins. Les bébés indiens ne pleurent jamais. C’est étonnamment vrai, ce n’est pas l’amour qui m’emporte, c’est une constatation. Entrer dans une classe maternelle petite section en France ou en Italie, est une épreuve. Pleurs intarissables, hurlements, cris de désespoir « Mamaaaaaan !!! » bagarres, griffures, morsures, enfants qui se roulent sur le sol et font pipi dans leur culotte est le quotidien de l’institutrice. Pour un quart d’heure de tranquillité, deux heures de galère. Je le sais, dans une autre vie, j’ai été maîtresse.
Rien de tout cela ici. Et pourtant, la salle est minuscule, traversée sans arrêt par les femmes de l’atelier d’apprentissage de la couture situé au-dessus, pas de coin dînette ou petites voitures, pas de lego géant, rien de tout le matériel dont regorgent nos écoles et que nos charmants bambins détruisent avec une stupéfiante énergie. La jeune enseignante, un peu gourde quand même et du genre ennuyeux, ne les emmène jamais dehors et passe la journée à leur apprendre à lire et à compter, en malayalam et en anglais, conformément aux programmes scolaires en vigueur. medium_namaste54.jpgSasikala lui explique que les enfants ont besoin de sortir, de jouer, de courir. Et voilà qu’elle se met à chanter et à danser devant les petits fascinés qui bientôt cherchent à imiter ses gestes. Puis elle les entraîne dans la cour et joue avec eux avec un naturel et une énergie incomparable : leçon de pédagogie !
En deux minutes, tchic tchac, elle fabrique une petite hélice avec une feuille  de palmier, qui tourne quand on court. C’est magique.

medium_namaste55.jpgElle rit, elle s’amuse. Merci Namaste !

(… à suivre)

India, le 25 aout 2006

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28.08.2006

Le jour des « Ammachi »

medium_namaste46.jpgUne fois par mois les nonnine (mémés), sont accueillies à Namaste. On s’inquiète de leur santé et de leur bien être et elles reçoivent un peu d’argent. Ce sont généralement des veuves qui n’ont pas eu d’enfants ou ceux-ci sont morts ou partis et elles sont pratiquement sans ressources. Le système de retraite n’existe que pour les fonctionnaires, les autres doivent économiser, mais quand il n’y a pas assez de roupies pour manger à sa faim, allez donc en mettre de côté ! Dans le hit parade des pays les plus riches du monde l’Inde figure désormais à la douzième place, belle remontée, mais 79,9% des Indiens vivent avec moins de deux dollars par jour. En ce qui concerne les nonnine, c’est encore bien moins. Parmi les petites vieilles ratatinées, édentées, tordues, bossues qui attendent sur le perron de Namaste il y a aussi quelques hommes âgés gravement malades ou invalides. Ceux ou celles qui savent écrire (rares), signent le registre les autres laissent une empreinte digitale et repartent clopin-clopant.medium_namaste47.jpg
L’après-midi nous faisons une petite tournée des family house. Dans celle de Laskhmi il n’y a que des garçons qui fréquentent l’English Medium (l’école privée où l’enseignement se fait en anglais). La maison est grande et belle, les garçons intelligents et respectueux, plutôt sérieux, un gisement de premiers de la classe. Avant Laskhmi était professeur à l’English Medium, mais les salaires des enseignants du privé sont tellement bas qu’elle a préféré devenir house keeper. Quand les garçons rentrent de l’école elle les aide à faire leurs devoirs, et elle a du temps pour s’occuper de ses deux enfants. Chez Mary Serafine onze garçons et filles jouent dans la cour avec son bébé qui passe joyeusement de bras en bras. medium_namaste48.jpgTout le monde rit et s’amuse, l’ambiance est très gaie, comme chez Helen qui s’occupe avec sa mère de neuf enfants des deux sexes. La dernière family house que nous visitons est tenue par un homme Suresh et ses parents, un couple âgé, que les dix enfants appellent affectueusement grand mother et grand father.
Partout les enfants sont joyeux, propres et visiblement en bonne santé. Visiter ces maisons les unes après les autres est un véritable plaisir. Bien sûr de temps à autre il ya quelques problèmes, mais pas grand-chose, des petits riens vite résolus. Pour avoir parcouru les ruelles de Poonthura et de Pozhiyoor  nous savons d’où viennent ces enfants et pouvons apprécier ce que Namaste leur apporte. Ces fillettes rieuses ne connaitront pas le sort de Mary, la petite bonne aux grands yeux craintifs de chez Rajesh.medium_namaste49.jpg

Eran, le grand Israélien aux yeux bleus est toujours là et nous partons avec Valeria et lui rendre visite à la mère supérieure d’un couvent avec qui Namaste entretient de bons rapports. Elle connaît peut être des familles en détresse dont les enfants pourraient venir vivre dans la Family House d’Eran.medium_namaste50.jpg
Le couvent, maison basse entourée de palmiers, est une oasis de paix. Les chants des sœurs, un peu répétitifs il est vrai, et pas extraordinairement mélodieux, mais touchants de sincérité s’élèvent dans le soir tombant. Une minuscule sœur à lunettes nous accueille, son visage rayonne de bonté et de douceur. Puis arrive la mère supérieure qui ne l’est pas par la taille. Elle est encore plus petite que sa consœur, ronde et douce comme de la guimauve. Elle nous embrasse l’un après l’autre. Et Eran, le grand israélien aux yeux bleus, le juif errant silencieux qui cherche des enfants à aimer, se plie en deux pour tendre sa joue au léger baiser de la petite mère.
Dans la salle à manger du couvent une collation nous attend. Et que vois-je sur la table, sagement alignées dans un plat, fourrées au sucre et à la noix de coco râpée ? Des crêpes! Des vraies crêpes, comme chez nous ! Pendant que je m’en empiffre trois en me demandant comment diantre leur recette a atterri dans ce couvent perdu des collines du Kerala, la discussion roule autour de la demande d’Eran, sur laquelle les petites sœurs promettent de faire des recherches. Puis elles sollicitent l’aide de Namaste pour acheter quelques machines à coudre. Elles organisent un programme de formation à la couture destiné aux femmes, mais une fois le cours terminé les femmes n’ayant pas à leur disposition l’indispensable outil elles ne peuvent pas travailler. Valeria accepte de financer l’achat d’une demie douzaine de machines (des Singer à pédale comme celle de ma grand-mère couturière).

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Nous buvons du thé, je digère mes crêpes, et la petite sœur à lunettes dit de Valeria qu’elle est une sœur sans robe. « Je ne suis pas croyante, dit cette dernière, elle le sait, nous nous connaissons depuis longtemps et nous nous estimons. Namaste n’a aucune vocation religieuse, nous travaillons avec tout le monde ». Murmures approbateurs autour de la table. « Si Dieu existe, ajoute Valeria, il apprécie ». Et tout le monde se met à rire.

India, le 25 aout 2006

(... a` suivre)

27.08.2006

Misère et Espoir

medium_namaste40.jpgEran, le grand Israélien aux yeux bleus, veut créer sa propre « Family House ». Il a déjà loué la maison, maintenant il faut trouver ses futurs occupants. Les enfants en situation difficile ne manquent pas, mais Eran a des idées très précises. Il voudrait généreusement offrir le bien être, la sécurité et une bonne scolarisation à des enfants petits (quatre ans) et orphelins. A plusieurs reprises Valeria lui a expliqué que son souhait est quasiment impossible à exaucer car en cas de décès des parents, soit les enfants deviennent pupilles de la nation et il est hors de question que le gouvernement les confie à Namaste, soit ils sont adoptés par d’autres membres de la famille et il faut alors que ces derniers fassent une demande d’aide auprès de l’association, mais, si ils ont choisi de recueillir un petit cousin orphelin cela signifie généralement qu’ils ont les moyens de l’élever et qu’ils n’ont pas besoin d’être secourus. Mais Eran est têtu et il persiste dans son choix en expliquant qu’il considère qu’un enfant est toujours mieux avec sa mère, qu’en cas de difficulté il faut aider les deux sans les séparer, et ce n’est pas ce qu’il a envie de faire. D’où ses exigences.
A Poonthura une famille vient de vivre un drame sordide. Ivre, le mari a battu sa femme à mort, puis il s’est suicidé. C’est la grand-mère qui a recueilli les deux fillettes du couple, âgées de 3 ans et de 18 mois, mais elle est très pauvre et n’arrive pas à assumer cette charge. La Family House d’Eran pourrait être une bonne solution pour la plus grande des deux filles.medium_namaste41.jpg
Debout devant sa petite masure sombre et endommagée, la grand-mère, d’une douloureuse maigreur, serre le bébé contre sa poitrine décharnée. La petite s’accroche à elle, recroquevillée, vêtue de guenilles tachées.
Ça fait mal.
La tante des fillettes, qui habite la maison voisine, nous invite à rentrer chez elle pour nous parler. Son mari et elle partagent avec leurs enfants deux petites pièces obscures. Dans ce qui peut être la chambre un garçon d’une douzaine d’années étudie, assis par terre, le cahier posé sur les genoux. La femme nous explique que l’aînée des orphelines a été placée dans un couvent depuis déjà un mois. « Est-ce qu’elle s’y trouve bien ? » fait demander Eran. « Oui, répond la femme, mais on peut être la reprendre ». « Non, dit Eran, si elle est habituée au couvent et qu’elle est contente, il faut la laisser en paix ».
Quant au bébé, elle est trop jeune pour la family house. Il faudra penser à une autre forme  de soutien.
J’ai le cœur serré, la petite lève vers nous de grands yeux apeurés et nous repartons, inutiles et bouleversés.

medium_namaste42.jpgPlus loin nous faisons halte chez Léon. Les premiers protégés de Namaste sont aujourd’hui de jeunes adultes qui prennent départ dans la vie. Valeria est particulièrement heureuse de la réussite de deux d’entre eux : un jeune homme qui sera bientôt médecin et Léon, qui fréquente une école des beaux arts locales et va prochainement exposer ses œuvres à Trivandrum.
medium_namaste43.2.jpgSolidement campé sur ses deux jambes, l’œil brillant de sensualité, Léon rayonne de joie de vivre et il a du talent. Ses tableaux en portent la marque.
Aujourd’hui sa famille a surmonté les difficultés et n’a plus besoin d’aide. Teresa, la ravissante petite sœur, sautille gaiement dans l’entrée, les parents plaisantent avec Valeria et Léon tape affectueusement dans le dos de Thomas.
Sans l’aide de Namaste, Léon ne serait certainement le jeune peintre (et footballeur me précise-t-on) qu’il est maintenant.

Misère et Espoir

India, le 24 aout 2006

(… à suivre)

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26.08.2006

Jour de fête

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15 août, fête de l’Indépendance. Il y a 59 ans les Anglais ont plié bagages, embarqué sur des paquebots et quitté à regret le sous continent. Avant de partir, incapables de faire entendre raison à l’inébranlable Jinnah, le père du Pakistan, ils avaient chargé un obscur géomètre, fraîchement débarqué de la perfide Albion, de tracer la frontière entre les deux nouveaux états souverains. D’un trait de crayon l’homme coupa en deux des villages, sépara des familles et des communautés. Quand sonna l’heure de la liberté des millions de musulmans se précipitèrent en train, camion, voiture, charrette, vers le Pakistan. Ils croisèrent sur leur route d’immenses foules d’hindous et de sikhs qui effectuaient le chemin inverse.
Tous, la peur au ventre.
Et ce fut le carnage. Des milliers de morts. Des hommes exécutant leur femmes et leurs filles, d’un coup de sabre ou de poignard, pour ne pas qu’elles subissent les outrages des mâles de l’autre camp. Des enfants abandonnés. Des villes entières livrées aux flammes. Des pillages. Des viols. L’horreur.
Le sang a séché.
Le temps est passé.
Aujourd’hui toute l’Inde fête fièrement le jour de l’Indépendance.
Et nous, avec Valeria et Thomas, nous partons célébrer la liberté à Pozhiyoor, où les autorités locales et le curé, décidément sportif, ont organisé un tournoi de foot.
Sur place nous retrouvons Eran, un grand et silencieux Israélien aux yeux bleus qui veut créer sa propre « House Family » sous la houlette de Namaste.
Le curé, robe au vent, nous accueille devant l’inévitable école privée catholique du village, juste derrière l’église, comme il se doit. Les enfants sont alignés dans la cour, prêts pour les discours et les chants. Pas de chance, il se met à pleuvoir et une opération de repli est improvisée dans une grande salle judicieusement munie d’une petite scène. Il va sans dire que nous y prenons place en compagnie du curé. Discours. Chants. Arrivée d’un Gandhi de onze ans, plus vrai que nature derrière ses lunettes rondes, et d’un Nehru du même acabit, calot en papier blanc et longue kurta, entourant une charmante petite Inde fardée comme une poupée.medium_namaste39.2.jpg
Là-dessus mes compagnons de scène m’abandonnent :  Fabio pour aller filmer et Valeria pour papoter avec Eran. Etant désormais la seule personnalité occidentale disponible, c’est à moi que revient l’honneur de distribuer des prix aux élèves les plus méritants. Encouragements et serrements de mains. Le curé, qui, je ne sais toujours pas pourquoi, m’agace, hoche la tête et fronce le sourcil.
La cérémonie terminée nous voilà embarqués dans l’inévitable défilé de fête nationale. Les enfants agitent des petits drapeaux, des groupes d’hommes se joignent au mouvement, les femmes nous sourient sur le pas de leurs portes et il tombe une petite pluie traîtresse et même pas chaude. Interminable le défilé. Tout ça pour arriver dans un no man land d’une tristesse absolue, boueux, jonché de détritus, puant la crotte, sur lequel on a aménagé le terrain de foot.
Le tournoi va-t-il commencer ?
medium_namaste36.jpgApparemment non car le curé nous explique que nous devons retourner à l’église. Patience et chemin inverse. Les hommes qui nous emboîtent le pas, les femmes qui nous sourient sur le pas de leurs portes, les enfants qui nous crient « Hello, wheerredoyioucomefrrrom – whatsssyiuorrrmaime ? ».
medium_namaste35.jpgEn chemin nous faisons un détour par le village de huttes, une grande partie de celui-ci sera bientôt détruite car des maisons financées en partie par Namaste sont en construction. Sur le seuil d’une cabane un couple appelle Valeria. Ils sont très pauvres. Grâce à Namaste la femme vient d’être opérée du dos, mais l’homme est malade, il ne peut pas travailler et ils doivent faire face à d’autres problèmes insolubles. Je ne comprends pas bien de quoi il retourne. Nous continuons notre chemin.
Retour à l’église. Le curé nous fait rentrer dans le presbytère (ou la sacristie, va savoir !). L’homme de la hutte est à nouveau là, avec son fils, un bambin d’une dizaine d’années. Il supplie le curé qui visiblement ne veut rien savoir car il ouvre ostensiblement un journal et se met à lire. L’homme s’adresse alors à Valeria, Thomas traduit. Il a un urgent besoin d’argent. Peu à peu je reconstitue l’histoire. La construction des maisonnettes est en partie financée par l’église et Namaste, mais les nouveaux propriétaires doivent en payer une part. Cet homme a déjà réglé l’essentiel de la somme, mais il doit encore donner 4000 roupies (75 euros) au curé, il ne les a pas et le digne représentant de la charité chrétienne refuse d’attendre. Si l’homme ne paie pas il perdra ses droits  sur la maison.
Atteint de tuberculose il est maigre, sa voix est rauque et son souffle difficile, il tremble. Au nom de Namaste Valeria décide d’aider l’homme, nous vidons nos porte-monnaie pour réunir la somme. Elle tend l’argent au curé qui l’empoche sans un mot ni un regard pour  l’homme dont le visage émacié s’est éclairé d’un sourire.
Arrive un autre officiel qui nous enjoint de retourner au stade. « Again ?!! » s’exclame Valeria.
Et oui, again ! Cette fois en compagnie des joueurs de foot. Les hommes grossissent les rangs, les femmes sur le pas de leurs portes rigolent de nous voir passer une troisième fois et même les enfants renoncent à nous interpeler. Par contre il pleut encore et toujours.
Au stade, suivant un rituel désormais rôdé, nous défilons devant les joueurs pour leur serrer la paluche et les encourager.
Le coup d’envoi du match est donné, Arsenal en maillot rouge affronte le Lazio en blanc et azur.
Et nous, trempés, en catimini et accompagnés d’Eran, le grand Israélien aux yeux bleus, nous nous enfilons dans notre macaroni que Sheebu a eu la bonne idée de conduire jusqu’au stade.

En route vers Poonthura !

(… à suivre)

India, le 23 aout 2006

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25.08.2006

Le coup des parapluies

medium_namaste30.jpgC’est la première matinée à Namaste. Nous participons à l’activité ambiante en traduisant pour les sponsors les lettres des enfants qu’ils aident. Ceux-ci rédigent leur missive en malayalam. Laquelle est tout d’abord traduite en anglais par un des membres du staff, puis en italien par moi. Les finesses stylistiques des auteurs n’en finissent pas de se perdre, mais l’essentiel, identique dans toutes les lettres, subsiste : remerciements pour les aides, assurance de s’appliquer à l’école, actualité familiale (malheureusement souvent douloureuse) désir de rencontre avec le sponsor, prières, your lovely…
Pendant que je m’évertue à transformer de l’anglais en italien sans déranger Fabio (qui filme le staff en action) toutes les deux minutes, une réunion se prépare dans le bureau voisin ; je remets mon labeur à plus tard et pars en observation.
Valeria a convoqué ce matin un groupe de femmes de Poonthura dont les enfants sèchent souvent la « Tuition school ». Elle les reçoit en compagnie de quelques collaborateurs. Ceux-ci font aussi office de traducteurs car les femmes parlent en malayalam. Avant d’entrer dans le vif du sujet Valeria laisse les femmes s’exprimer. Elles sont inquiètes car leurs maris pêcheurs vont souvent au Tamil Nadu où sévit depuis peu une étrange maladie qui serait, d’après leur source, due aux fosses communes où ont été enterrées les victimes du tsunami. Pris de fortes fièvres les malades souffrent de douleurs articulaires et il y a déjà eu quelques décès.
Regards interrogateurs entre les membres du staff.medium_namaste31.jpg
Je me souviens alors avoir lu dans l’Indian Express de la veille que des cas de Chikunkaya avaient été signalés dans le sud de l’Inde. J’en fais la remarque à Valeria. Une fois traduite elle se révèle pertinente car un des éducateurs se rappelle avoir déjà entendu ce nom là.
Je fais spécifier que la maladie est transmise par les moustiques et qu’elle a fait des ravages dans une île française où il n’y a pas de fosses communes.
Soupir de soulagement de l’assistance.
Valeria passe à l’offensive. Elle explique que l’école est fondamentale, qu’on ne peut la manquer que si on fournit un certificat médical et que pas d’école = pas de sponsors. Ensuite elle aimerait bien savoir le pourquoi de ces absences intempestives.
« C’est à cause de la pluie ! » s’exclament les femmes.
« Qu’à cela ne tienne, rétorque Valeria imperturbable, Namaste offre un parapluie à tous les enfants ». Bien vu le coup des parapluies, les mamans en restent coites. Pas pour longtemps, elles ont des revendications : deux uniformes scolaires par an au lieu d’un, des chaussures, un compas pour les petits aussi… « Pas question, répond Sasikala, ils n’en ont pas besoin à l’école, c’est du gaspillage ! ».
Enfin les mamans déplorent que certains sponsors réclament des lettres de leurs enfants alors qu’eux-mêmes ne sont pas fichus d’envoyer trois lignes de temps en temps. Les enfants sont déçus et finalement rechignent à écrire.
Valeria leur donne entièrement raison, elle est déjà intervenue auprès des sponsors et promets de récidiver de manière plus explicite.
La réunion se poursuit par diverses doléances, entre autre une concernant une bonne sœur de « l’English médium » qui aurait réclamé de l’argent pour des livres alors que Namaste les a déjà achetés.
Valeria s’assure que les mamans rencontrent souvent les professeurs de la « Tuition School » et qu’un suivi pédagogique est effectué.
La séance se termine dans la bonne humeur, je retourne à mes traductions, en espérant que cette fois les sponsors auront la bonne idée de répondre, et la journée continue.

(… à suivre)

India, le 22 aout 2006

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24.08.2006

Le tournoi de Volley

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Un généreux, et sportif, donateur italien avait exprimé à Valeria son désir de sponsoriser des équipes de volley dans les villages les plus pauvres afin d’occuper les adolescents, de les distraire de l’ennui, de leur inculquer des règles simples, et, éventuellement, de leur ouvrir, par le biais du sport, de nouveaux débouchés. Quatre terrain ont été aménagés et quatre équipes formées, trois au Kerala et une au Tamil Nadu. Aujourd’hui, pour la première fois, l’équipe de Pozhiyoor reçoit l’équipe tamile. L’enjeu est d’importance.
Pozhiyoor est un village de pêcheurs, tellement pauvre que le reste de l’humanité semble l’avoir oublié. medium_namaste23.2.jpgLes petites maisons aux murs sales n’ont pas l’eau courante, et les femmes remplissent leurs amphores en plastique coloré aux différents points d’eau. Bien sûr les habitations n’ont pas de sanitaires et Namaste a fait construire des toilettes et bains publics car les indiens se lavent continuellement. En ce qui concerne leurs corps ils sont d’une extrême propreté, même si leurs vêtements sont tachés ils sont toujours lavés de frais. Je me souviens, quand j’étais enfant, des écœurantes odeurs corporelles, des relents de crasse qui remplissaient les maisons des plus pauvres fermiers de mon village berrichon. Rien de tel ici. L’intérieur sombre des habitations ne sent ni le vieux caca ni la graisse refroidie, il faut dire que souvent les femmes cuisinent dehors, à côté de la porte, sur un feu de bois, la casserole en équilibre sur trois pierres. Les besoins naturels se font dans la nature, les hommes déposant leurs étrons n’importe où et les femmes, pudiques, dans un espace réservé.
medium_namaste24.jpgLa plupart des maisonnettes sont en dur, mais il reste encore des huttes de palme à l’orée du village. Le gouvernement avait accordé un terrain aux plus pauvres mais celui-ci étant en permanence inondé durant la mousson les constructions n’avaient jamais commencé et ceci pendant des années. Les nouveaux propriétaires du terrain sont restés entassés dans leurs huttes, à deux pas de là où ils auraient dû avoir des maisons de briques. Jusqu’au moment où Valéria s’est avisée que le terrain voisin, propriété de la paroisse et de nature semblable, avait été comblé avec du sable ce qui avait mis fin au problème de l’eau. Personne avant elle n’avait eu l’idée, pourtant simple et évidente, d’appliquer le même traitement à l’espace réservé au futur lotissement. Depuis le terrain a été comblé et les maisons sont en construction, financées en partie par Namaste et en partie par l’église.
medium_namaste25.jpgL’église, qui se dresse fièrement sur le sable, en concurrence directe avec la mosquée voisine et le temple hindou, paraît par contre nettement moins pauvre que le village. Elle est tenue par un jeune et fringant curé, qui, malgré sa beauté, a un je ne sais quoi dans l’expression et les attitudes qui ne me plaît guère. Il est le maître de cérémonie car propriétaire du terrain de volley. C’est lui qui nous accueille en compagnie de quelques autorités locales.
Avant le début du match nous défilons devant les joueurs pour leur serrer la pince, de manière tout à fait officielle et sous les applaudissements du public.
Côté kéralais, c’est une équipe de bric-à-brac, jambes courtes, musclées ou tordues, épaules étroites, tenues rouges trop grandes et sourires éclatants dans des visages hétéroclites et enthousiastes.
Coté tamil, belles tenues orange, longues jambes, épaules carrées et sourires non moins éclatants dans des visages concentrés. Valeria nous explique que, dans leur village, le terrain de volley étant situé juste à côté d’une école privée, les joueurs viennent de familles beaucoup plus fortunées. La différence entre les deux équipes est flagrante. Les tamils sont venus pour gagner et ils gagnent malgré une belle défense des rouges encouragés par les cris du nombreux public, masculin, venu assister au tournoi.medium_namaste27.jpg
Masculin ? Presque, mais pas tout à fait car, seule au milieu des hommes, Suzanna Ma joue des coudes pour parvenir jusqu’à nous.
Nous l’avions connue l’année dernière car elle était « aya » (servante, aide maternelle) à l’école maternelle Namaste du village et nous avions sympathisé avec cette forte femme au verbe haut et au rire éclatant, bien différente de ses discrètes et soumises consœurs. Mais un an les choses ont changé, après avoir martyrisé la maitresse d’école au point de l’envoyer à l’hôpital et commis d’autres indélicatesse envers Namaste, elle a été licenciée par Valeria. A regret, nous confie cette dernière qui a un faible pour les femmes qui marchent la tête haute. Car elle est fière Suzanna Ma et ne baisse pas les yeux, même lorsqu’elle pleure et supplie. Sa vie ? Un mari qui la frappe avant de l’abandonner (peut être en a-t-il eu marre qu’elle lui rende ses coups en hurlant à la cantonade) avec deux enfants que, désormais, elle élève seule, par tous les moyens, y compris en louant sa maison à des couples illégitimes et semble-t-il en monnayant parfois ses charmes. Namaste lui donne un travail et une maison, à peine installée elle s’endette jusqu’au cou pour en acheter une autre. « Pour la dot de ma fille » dit-elle. La jalousie grandit chez les villageois qui grognent à l’injustice. Pourquoi tant de faveurs pour cette créature de mauvaise vie ? Valeria tient bon, jusqu’au moment où Suzanna Ma dépasse les bornes et mérite son licenciement.
La voilà qui se lamente et fait mine de pleurer, le visage tordu et l’œil sec « You are my mother, you are my mother » répète-t-elle à Valeria. Elle explique que sans travail elle n’a pas d’argent pour payer son crédit. « Vend ta maison », lui répond Valeria en s’engouffrant dans la voiture. Une foule d’hommes aux regards hostiles se presse autour de la rebelle, de celle qui ne joue pas le jeu de la soumission.

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Sur le trajet du retour je m’inquiète de cette hostilité. Valeria dit qu’il ne lui arrivera rien, elle sait se défendre, mais Namaste ne peut plus l’aider, se serait injuste vis-à-vis des autres, elle a franchi les limites en maltraitant la maitresse et c’est évidemment inexcusable.

Le soir je pense encore à elle qui se bat comme une lionne dans cet univers désolé où les hommes s’accrochent à leur dérisoire pouvoir.

India, le 21 aout 2006

(… à suivre)

23.08.2006

Namaste : mode d’emploi

L’année dernière nous avions séjourné à Vellanad, au siège de Namaste qui était alors dans une petite maison sombre à flanc de colline. Valeria n’était pas là et nous avions passé la semaine en compagnie des deux frères, Thomas et Taddeus, du silencieux John, du malicieux Muthu et du sérieux Pushparaj. Ces trois derniers étant aussi des protégés de Namaste, enfants presque abandonnés, élevés dans des « Family house » puis employés comme « social worker ».

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Cette année une grande maison neuve abrite l’association. Belle, mais simple et fonctionnelle, elle héberge les bureaux administratifs où travaillent une dizaine de personnes, les garçons que nous avions connus l’année dernière (à part Pushpraj qui est retourné vivre à Poonthura  chez ses parents gravement malades) et Valeria qui par chance est présente, enfin, deux chambres sont à la disposition des amis, sponsors où stagiaires italiens venus apporter leur aide pour quelques jours ou semaines.
Les garçons sont chargés de contrôler quelle part de vérité se cache dans les déclarations souvent fantaisistes, voire même hautement exagérées, des nombreux plaignants qui se succèdent du soir au matin à l’accueil de Namaste. Les demandeurs sont essentiellement des demandeuses, l’une veut un sponsor pour ses enfants, l’autre a un trou dans son toit, le mari de la troisième l’a abandonnée il y a dix ans, bizarre, son fils en a huit, «Oh, dit-elle, il revient de temps en temps », la suivante n’a pas de maison, et celle d’après, toute vieille et ratatinée a un mari atteint de la tuberculose (qui fait encore des ravages) et n’a pas d’argent pour payer les médicaments. C’est un défilé ininterrompu de misères et de douleurs, visage hébétés, corps difformes, enfants aux yeux tristes, mais aussi femmes souriantes, reconnaissantes à Namaste pour le secours obtenu. Certaines ont parcouru une longue distance et se sont levées avant l’aube pour venir quémander un peu d’aide.
Toutes leurs requêtes sont soigneusement consignées par Sunitha, la timide secrétaire, puis contrôlées, traduites en anglais et expédiées via Internet à Valeria, quand elle n’est pas présente. C’est elle qui « in fine » décide de la pertinence des aides. Rude tâche, Namaste n’a pas les moyens d’aider tout le monde, il faut donc décider, trancher, avec toujours le doute d’avoir peut être commis une injustice.
A la cuisine s’affairent Ramani, une cuisinière hors pair, qui maîtrise aussi bien l’art de la cuisine kéralaise que celui de la « pasta » italienne et Padmini, nouvellement engagée car la chef s’est récemment mariée et arrêtera de travailler d’ici peu. Padmini a une fille de 19 ans qui fait battre follement le cœur de John, mais chut, c’est un secret. Les tourtereaux indiens sont condamnés à la clandestinité.

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L’équipe comprend aussi une responsable des affaires scolaires, la superbe Sasikala, une comptable très discrète, Sreeja, des correspondants attachés aux différents villages où intervient l’association dirigée sur place par Vinod, son président, et Rama, son trésorier, enfin Shebu, qui rêve d’aller travailler à Dubai, est le chauffeur du van baptisé « Macaroni ». Tous les matins il fait le tour des house family pour accompagner les enfants dans les écoles. Ceux-ci s’entassent à dix ou quinze dans le véhicule, guillerets dans leurs uniformes à l’anglaise.
Quand Valeria est là, l’équipe travaille à son rythme c'est-à-dire rapide, efficace et infatigable. Quand Valeria n’est pas là le rythme se ralentit nettement, perd en efficacité et gagne (façon de parler) en fatigabilité. Tout fonctionne, mais au ralenti, à l’indienne. C’est ce que nous avions vu l’année dernière.

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Cette année, par contre, notre séjour démarre sur les chapeaux de roues, à peine avons-nous défait nos valises que Macaroni nous emporte avec Valeria et Taddeus vers le village de Pozhiyoor pour assister à un tournoi de volley.

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(… à suivre)

India, le 20 aout 2006

22.08.2006

Valeria et les deux frères

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Thomas et Taddeus sont nés à Poonthura, un village de pêcheurs situé entre Trivandrum et Kovalam. Le plus mauvais emplacement qui soit, d’un côté la grande ville et ses turpitudes, de l’autre la station touristique, repaire d’occidentaux donnant l’illusion de l’argent facile.
Leur père pêchait et buvait, buvait et pêchait. Il embarquait la nuit, avec deux compères, sur une fragile pirogue. Tantôt debout à tirer sur le filet, tantôt assis à ramer, les nuits étaient longues, les poissons capricieux et les revenus faibles et irréguliers. Quand la mer était grosse il restait au village, jouant aux cartes assis sur le sable entre les bateaux et il buvait et buvait encore.
medium_namaste07.jpgDans la misérable hutte de feuilles de palmier, qui ne protégeait ni de la fournaise de la saison sèche, ni des inondations de la mousson leur mère agonisait lentement. Quand elle est morte Taddeus avait quatre ans et Thomas deux ans. Deux bébés.
On les a placés chez une grand-mère, dans une autre hutte et le père est allé vivre dans la tombe d’un anglais, un original qui s’était fait construire un petit mausolée au milieu de son terrain. Quelques mètres carrés au sec au-dessus de la pierre tombale.
Plus tard il s’est remarié, a construit une nouvelle hutte et les deux frères sont revenus. Pas pour longtemps, méchante et avide (et certainement victime elle aussi de circonstances qui ne laissent guère place à la compassion) la belle-mère a eu tôt fait de les expédier au couvent de Frère James, dans les collines, loin de Poonthura.
medium_namaste08.jpgEt là ils ont grandi, avec les petits orphelins, avec leurs frères de misère, parmi des prêtres indifférents.
Puis Valeria est arrivée.
Elle a adopté Thomas. « A l’époque, dit-elle aujourd’hui, je n’avais pas encore la sensibilité suffisante pour comprendre que je ne devais pas séparer les deux frères, je n’y ai pas pensé, j’étais tellement heureuse d’avoir trouvé Thomas. »
Elle lui a offert des cadeaux, des livres et des cahiers pour étudier, une belle montre. Il restait toujours un peu méfiant. Quand à douze ans on a déjà tant souffert à cause des adultes c’est bien difficile d’accorder sa confiance.
Mais Valeria ne s’est pas découragée, quand elle venait au couvent elle préparait la « pasta » pour tous les petits pensionnaires. Un soir elle leur a fait la spécialité de Bologne, appréciée dans le monde entier, les pâtes au ragù, et bien ils n’ont pas aimé du tout, il y en a même un qui a vomi, comme quoi, les goûts et les couleurs…
Elle leur donnait des cours d’anglais aussi, avec Thomas assis au premier rang. Mais, pas de chance, les autres avaient plus de dispositions que lui pour la langue de Shakespeare et il a cru que Valeria les préfèrerait à lui. Alors il s’est levé, tout pâle, il enlevé la belle montre neuve, l’a posée sur la table et est sorti de la pièce. Malgré l’inquiétude Valeria n’a pas bougé, elle a continué la leçon.
Quand elle l’a rejoint dans sa chambre il était brulant de fièvre. Pas un médicament dans tout le couvent, pas de médecin joignable, pas de téléphone, pas de voiture, Frère James en goguette à Trivandrum et la fièvre qui montait. Elle l’a veillé toute la nuit, lui ruisselant de sueur, agrippé à sa main. Au matin la fièvre était passée et Thomas, dans un anglais balbutiant lui a dit « Maintenant, je sais que tu m’aimes ».
Dans les mois qui ont suivi Valeria a crée Namaste et pris Thomas et Taddeus.
Aujourd’hui ils ont 24 et 22 ans et ils habitent au siège de l’association, avec deux autres garçons comme eux. Taddeus travaille pour Namaste, Thomas non, il est installateur de climatiseur, mais ça ne lui plaît pas, il veut devenir masseur. Il a appris à faire les massages ayurvédiques et rêve de venir exercer en Italie. « Plus tard, dit Valeria qui a peur pour lui, plus tard, quand tu seras plus grand ». Et Thomas balance la tête en souriant. Il ne sait pas encore que tous les Italiens ne sont pas comme Valeria, ni comme les amis et sponsors qui viennent passer quelques jours ou semaines à Namaste.
Plus tard dit Valeria.

(… à suivre)

India, le 19 aout 2006

http://www.namaste-adozioni.org

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21.08.2006

Namaste Valeria !

medium_namaste1.jpgQuand elle était petite, dans la grise et pieuse plaine bolognaise, Valeria voulait être sœur missionnaire pour s’occuper des enfants pauvres. Elle rêvait d’Afrique, de terres lointaines brûlées par le soleil, là où les bébés meurent de faim.
Puis en grandissant elle s’est défaite de la religion mais a gardé l’amour des enfants et la volonté d’aider les plus miséreux d’entre eux.
Souvent, quand on aime les enfants, on devient enseignant, c’est la voie qu’a choisie Valeria. Professeur d’italien dans un collège, voyageuse le reste du temps, elle a sillonné le monde. Elle a aimé un Français, puis un Italien. Aucun bébé n’est venu mais elle avait depuis toujours rendez-vous avec ceux qui souffrent, ceux qu’on maltraite, ceux que les mamans épuisées par la vie abandonnent, ceux que personne ne cajole, ceux qui ne vont pas à l’école parce que celle-ci coûte trop cher, ou parce qu’elle est trop loin, ou parce qu’ils travaillent.
Elle a essayé les adoptions à distance et à chaque fois s’est rendue sur place, pour aider, pour contrôler, pour être sûre que le petit être à qui elle voulait donner son affection existait bien et recevait effectivement les subsides et cadeaux qu’elle envoyait.
De l’Afrique à l’Amérique latine en passant par l’Albanie elle a tout vu : les associations catholiques qui pratiquent des fausses adoptions pour avoir des fonds pour la construction d’une église, les curés richissimes vivant luxueusement au frais des adoptants, les ONG trop bien organisées qui n’acceptent aucune aide et bloquent tout contact direct entre les enfants et leurs parents adoptifs, du bien, du moins bien et du franchement nul.medium_namaste2.jpg
Et puis un jour, il y a neuf ans, elle a trouvé dans sa boîte aux lettres un courrier qui lui proposait d’adopter à distance un petit garçon indien, pensionnaire d’un couvent tenu par Father James, au fin fond du Kerala.
Elle a bouclé pour la énième fois sa valise et pris l’avion pour Trivandrum.
Le couvent était triste et des enfants misérables la regardaient en écarquillant leurs yeux sombres, parmi eux, il y avait Thomas.
Elle l’a aimé tout de suite, tout petit et maigre malgré ses douze ans, doux et candide.
Puis elle est repartie et revenue très vite impatiente de le retrouver. Et lui, peu à peu lui a accordé sa confiance. Mais à fréquenter de trop près l’orphelinat de Father James, ses multiples défauts lui sont apparus les uns après les autres : hygiène approximative, encadrement sans chaleur, soins sanitaires inexistants, scolarité en dent de scie. Alors le vieux rêve venu de l’enfance a refait surface et Valeria a décidé de monter sa propre association.
Elle a loué une maison, cherché des collaborateurs indiens et ravi à Father James, Thomas et Taddeus, son frère aîné.
Dans la maison, elle a installé les deux garçons et une « house keeper », puis elle a rencontré la belle Sasikala et « Namaste, Wings to fly » est née.
Elles ont commencé par créer des « Family House ». Le principe est simple et efficace : une dizaine d’enfants très pauvres, venant généralement des familles de pêcheurs du littoral, sont confiés durant toute l’année scolaire, à une famille de house keeper, dans une maison louée par Namaste, les enfants sont sponsorisés (adoptés à distance) par des familles italiennes qui assument tous les frais de scolarité, santé etc. Durant les vacances, quand les conditions familiales le permettent, les petits pensionnaires rentrent dans leurs villages. Dans les « family house », tout est contrôlé par Namaste, ce qui fait qu’elles fonctionnent très bien.medium_namaste3.jpg
Ensuite Valeria a trouvé des sponsors pour ouvrir des « Tuition School », autrement dit des cours de soutien scolaires, elle en a installé plusieurs, dans un village de dalits (intouchables), chez lez pêcheurs et un au Tamil Nadu tout proche.
Les écoles maternelles ont suivi, trois, entièrement prise en charge par des sponsors. Puis d’autres projets ont vu le jour : aide aux « nonnine » les grands-mères veuves et esseulées, formation de couturière pour les femmes, fabrique de cordes en fibre de noix de coco, construction de maisons pour les intouchables, équipes de volley pour les adolescents et aide aux victimes du tsunami.
Aujourd’hui Namaste gère 13 family house et aide 650 enfants. Sacré boulot !
Mais tout n’a pas été facile, loin de là ! Valeria a dû lutter contre les curés, toujours prêts à récupérer les actions charitables et contre les élus du BPJ, le parti nationaliste hindou qui n’acceptait pas qu’une femme, étrangère de surcroît se mêle d’aider les pauvres sans passer par leur contrôle. Des sbires sont venus, baraqués et menaçants, elle les a flanqués dehors vite bien fait, et menacé de porter plainte. Ils ont compris la leçon et désormais l’ignorent.
Sans dieu ni maître, elle poursuit patiemment son œuvre. Quand elle rentre en Italie elle cherche de nouveaux sponsors car la demande est forte et que malgré le tout nouveau développement de l’économie indienne le nombre de miséreux ne faiblit pas.

Namaste veut dire : honneur à la divinité qui est en toi. Si au fond de chacun de nous il y a un dieu alors nous sommes tous égaux et n’avons pas besoin de ceux dont on nous vante les mérites et aux noms de qui on s'entretue.

Namaste Valeria !

India, le 18 aout 2006

Site web : www.namaste-adozioni.org

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20.08.2006

La Venise du Kerala

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A Allepey il y a des canaux dans la ville, comme à Venise, à Allepey des marins d’eau douce proposent de coûteuses promenades sur les eaux, comme à Venise. La comparaison s’arrête là, pour le reste Allepey est une ville indienne, bruyante, chaotique et modérément propre.
A Allepey les touristes s’embarquent sur des house boat qui les emmènent à la découverte des « back waters », les célèbres canaux kéralais.
Notre « resort » est charmant, quelques bungalows presque confortables dans un jardin planté de palmiers. Il est tenu par Mercy, une jeune femme d’une trentaine d’années et son mari Matthew. Ils vivent avec leurs deux enfants et les parents de Matthew. Tout cela est très traditionnel, ce qui l’est moins c’est le rôle prépondérant de Mercy dans l’entreprise familiale. medium_mercy1.jpgMercy a le regard vif, la démarche rapide et elle parle un bon anglais, visiblement, bien qu’étant seulement la belle-fille, c’est elle qui gère le « resort » et  surtout qui s’occupe de la clientèle. Elle nous explique qu’elle vient d’une famille de propriétaires terriens, que d’ailleurs sa belle famille possède aussi des terres et que c’est il y a seulement huit ans qu’ils ont décidé d’exploiter la filière touriste en parsemant leur jardin de bungalows. Bien leur en a pris, de décembre à mars l’affaire tourne à plein régime et en juillet et aout l’affluence est moyenne mais régulière. Grâce aux revenus ils viennent d’ouvrir un nouveau « resort » dans la ville.
Mercy est très contente de son travail, elle trouve le contact avec les « westerns people » enrichissant et pas seulement du point de vue monétaire. Ses clients sont principalement Français, Allemands et Anglais, de temps à autre un Italien ou un Américain pose son sac, mais c’est rare. Ce qu’elle pense des européens ? « Ils sont très honnêtes, ils ne mentent pas tout le temps comme les indiens ». Bien qu’à priori je n’aime pas les généralisations je conviens que son analyse est pertinente : c’est vrai,  les indiens mentent, pour tout ou pour un rien, pour dissimuler ou faire plaisir, pour donner la réponse ou le renseignement que l’autre attend, pour profiter d’une situation ou la tourner à son avantage. Leur rapport à l’honnêteté est fluctueux. Menteurs invétérés ils sont aussi naïfs. Prêts à croire des mensonges similaires à ceux qu’eux-mêmes pratiquent. La corruption est un des fléaux de l’Inde. Elle sévit dans tous les secteurs, y compris la santé et l’éduction, et à tous les niveaux, mais bien sûr elle pénalise surtout les pauvres, incultes et sans défense. Une lutte de sensibilisation est actuellement menée dans tout le pays, à grand renfort de spots publicitaires et témoignages de ceux qui ont su se rebeller contre cette pratique.medium_mercy2.jpg
Les enfants de Mercy fréquentent une « English Medium School » privée catholique. Leur père a de grandes ambitions pour eux plus tard, il veut les envoyer étudier aux USA. Mercy est  différente, elle souhaite seulement qu’ils aient un bon métier, qui leur permette de bien vivre et d’être heureux. « Et si votre fille tombe amoureuse d’un touriste allemand (ou français) et veut aller vivre avec lui en Allemagne ? » Elle se met à rire « Oh la la, ce sera un problème, les occidentaux sont différents et on ne saura rien sur sa famille, j’espère que ça n’arrivera pas ». Et si ça arrive ? Mercy ne ferme pas la porte, si ça arrive et que c’est plus fort que tout, on verra.

En fin de journée nous faisons une balade en pirogue sur les canaux. Les femmes lavent le linge ou la vaisselle dans leurs eaux, les enfants nous suivent en courant sur la berge. Ils crient « School pen ! School pen ! ». Le touriste moyen, c’est bien connu, se promène avec une douzaine de stylos au fond de son sac de façon à les distribuer généreusement aux gamins du cru. Du moins il semblerait que ça se passe comme ça, à chaque fois que nous arrivons dans un endroit touristique les enfants se précipitent, les pauvres comme les moins pauvres : « School pen, school pen ». En cas de refus on essuie des mines renfrognées, et des airs déçus. Certains nous plantent là sans cérémonie, d’autres, indifférents au stylo, continuent la conversation, ou deviennent franchement insistants, ça dépend…
La balade est superbe, le soleil couchant se reflète dans les eaux, les martins pêcheurs tourbillonnent, et la pirogue glisse silencieusement.medium_mercy3.jpg

Le lendemain, par contre, nous embarquons bêtement sur l’house boat du touriste moyen. Et ce n’est pas le meilleur plan des vacances. Pour une somme non dérisoire, nous avons certes droit à une illusion de luxe (nuit sur le bateau, service attentionné), mais le trajet, fixe, se cantonne à parcourir les canaux les plus importants et les moins animés, rien à voir avec la balade en pirogue, simple et économique. De plus, il pleut !!!

Moralité : les petits plaisirs sont souvent les meilleurs !!

India, le 17 aout 2006

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