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31.07.2006

Manju et Vinod

medium_manju-vinod1.jpgManju est une jeune femme de 30 ans, informaticienne de haut niveau, elle travaille dans le software pour le compte d’une entreprise internationale basée à Bangalore. Nous ne la connaissons pas encore. Un ami italien travaillant pour la même société l’a rencontrée lors d’un séjour professionnel en Inde et lui a demandé si elle accepterait de nous recevoir afin que nous puissions l’interviewer pour notre documentaire.
Nous sommes très intéressés par cette rencontre car Manju fait partie de ces fameux prodiges de l’informatique indiens qui suscitent l’admiration des occidentaux.

Manju et Vinod, son mari, nous ont invités à dîner. Ils habitent dans une zone résidentielle de Bangalore que nous n’avions pas encore découverte. Les villas sont entourées de verdure, les rues sont calmes, plutôt bien entretenues et l’aisance financière des habitants du quartier évidente.
Manju, Vinod et Christopher, leur bébé d’un an et demi, viennent nous chercher en voiture au lieu de rendez vous. Ils sont les premiers indiens que nous rencontrons à posséder une voiture, neuve de surcroit.
Ils habitent un joli appartement au rez-de-chaussée d’une villa. La vieille dame qui nous ouvre la porte est une bonne qui s’occupe du bébé et de l’appartement.
Nos hôtes sont très sympathiques et la discussion est vite passionnante. Pendant que nous parlons la télé nous montre des images du dvd de leurs fiançailles et de leur mariage. Ils ont fait un mariage arrangé mais qui est aussi une histoire d’amour.
Conformément aux vœux de son père, un riche entrepreneur kéralais, Manju n’a pas souhaité se marier avant d’avoir terminé de longues études scientifiques et d’avoir trouvé un emploi intéressant. Elle gagne actuellement environ 1000 euros par mois, ce qui est considérable.
Quand l’heure de trouver un mari est arrivée la famille et les proches ont entamé les recherches. Le futur époux devait être catholique, comme Manju, et d’un niveau social, (économique et professionnel) équivalent au sien. On a donc recherché une compatibilité maximale. Plusieurs postulants sont entrés en lice et parmi eux, Vinod. Mais celui-ci souffrait d’un sérieux handicap : la distance. Jeune ingénieur, il travaillait à Singapour. Qu’à cela ne tienne, les deux futurs tourtereaux ont commencé à communiquer via Internet. Se prenant au jeu, ils se sont, pendant des mois, écrit des centaines de messages. Le temps passant la certitude d’être destinés l’un à l’autre a fait jour. Mais, prudente, la famille de Manju, lui préférait un autre candidat, résidant au Kerala et qu’elle aurait pu rencontrer avant le jour de la demande officielle.
Les amoureux virtuels ont tenu bon et Vinod a pris l’avion pour simultanément rencontrer une jeune femme qu’il n’avait vue qu’en photo et la demander officiellement en mariage.
Pour Manju le risque était important, une déconvenue, une déception de la part de l’un ou de l’autre en se rencontrant aurait pu faire capoter les projets de mariage. La nouvelle de l’échec se serait immédiatement répandue au sein de la communauté, les bonnes âmes se seraient longuement interrogées sur les motifs de la rebuffade et les chances de Manju de trouver un « bon » mari se seraient trouvées considérablement amenuisées.
Mais conformément à leurs espoirs tout s’est bien passé. Les longs messages échangés avaient crées entre lieu les prémices d’un amour qui ne demandait qu’à s’épanouir. Deux semaines plus tard on célébrait en grandes pompes les fiançailles, puis après un nouveau délai de deux semaines, le mariage.
Deux ans plus tard Manju et Vinod vivent ensemble une vie calme et harmonieuse. Malgré quelques difficultés Vinod a trouvé un travail à Bangalore, leur bébé est adorable et Manju est à nouveau enceinte.
Quand je lui pose l’inévitable question du sexe du bébé à venir, Manju me répond qu’elle l’ignore. A la suite des innombrables avortements destinés à ne pas mettre au monde des petites filles, bouches inutiles pour lesquelles il aurait fallu un jour ou l’autre payer une dot, le gouvernement a interdit aux médecins d’indiquer aux parents le sexe des fœtus. Bien entendu il y des médecins qui se laissent corrompre, mais en cas de dénonciation la note est particulièrement salée, et dans l’ensemble la loi est respectée.medium_manju-vinod2.jpg

Manju et Vinod sont très attachés à leur foi et aux traditions. Leur mode de vie est simple, harmonieux et joyeux. Ils ne font en aucun cas partie de ces nouveaux riches arrogants rencontrés dans les cafés branchés de MG Road. Dans le futur ils souhaitent avoir du temps pour œuvrer pour les plus démunis.

Si Manju avait pu changer quelque chose dans sa vie, elle serait devenue cosmonaute, mais c’était inconciliable avec la vie de famille.

Le héros personnel de Vinod est Abdul Kalam, le président de l’Inde, un scientifique de très haut niveau, un visionnaire « Il ne voit pas l’Inde d’aujourd’hui, il voit l’Inde de demain » nous dit-il.

Et tous deux nous parlent de l’amour universel, du bonheur d’être ensemble, d’une idéale Inde future où les exclus d’aujourd’hui auront leur place.

Encore une belle rencontre.

India, le 31 juillet 2006

30.07.2006

Opulence et misère

medium_bangalore4.jpgNous continuons l’exploration de Bangalore. Au hasard des rues nous arrivons à Commercial Street, une rue commerçante (comme son nom l’indique), mais qui, contrairement à MG road a gardé un cachet indien.
En Inde, comme en France il n’y a pas si longtemps, (je me souviens encore de la rue des chaussures à Limoges) les quartiers, ou les rues, sont spécialisés: quartier du mobilier, de la ferraille, des chaussures et des sacs, des bijoux ou du textile comme la Commercial Street.
Les boutiques regorgent de tissus somptueux, féériques. C’est la caverne d’Ali Baba version chiffon, et je suis au bord de l’apoplexie devant tant de merveilles. Tout me tente, tout m’attire et je ne suis pas la seule, des centaines de femmes se bousculent dans les échoppes, tâtent les étoffes et négocient les prix. Elles achètent rarement des vêtements prêt-à-porter, préférant confier la fabrication du « suit shalwar », du corsage du sari (appelé blouse), ou de la jupe longue que certaines portent pour les mariages, aux bons soins des tailleurs. Ceux –ci œuvrent dans les rues voisines, penchés sur leurs Singer à pédale. D’autres brodent des motifs en fil de soie brillant sur de longues et fluides écharpes en crêpe.
Les lourds saris de soie incrustés d’or sont les plus prisés, destinés à représenter le statut social et la richesse de la famille, ils sont très coûteux, un peu comme la fourrure en occident mais en infiniment plus beau.medium_bangalore5.jpg

En sortant d’un magasin où je me suis offert le cinquième « suit shalwar » de la saison, une petite merveille en coton orange brodé assorti d’une dupatta en mousseline piquée de sequins dorés, je rejoins Fabio qui regarde sur le trottoir d’en face un mendiant qui le regarde. Ils échangent des sourires. Chaque fois qu’un passant le contourne sans même considérer sa présence il hausse les yeux au ciel, affichant un air fataliste, quand au contraire une obole tombe dans son escarcelle il manifeste sa joie en balançant la tête en direction de Fabio qui balance la sienne par solidarité. C’est un mendiant bien mal en point, estropié des deux jambes, qui gisent inutiles et ratatinées sous son corps difforme, en un mot c’est un cul de jatte.
Bangalore pullule de ces pauvres hères estropiés, aux membres amputés, tordus, brisés, inutilisables. Ils doivent probablement leurs blessures à de sordides maîtres de mendiants qui estropient les enfants afin de solliciter la pitié généreuse des passants. Déposés chaque matin sur un coin de trottoir, récupérés chaque soir, ils reversent leurs gains à leurs tortionnaires.
Comme beaucoup d’occidentaux, projetant en ces créatures disgraciées mes propres angoisses et mes propres peurs, j’ai eu longtemps beaucoup de mal ne serait qu’à les regarder. Je jetais ma piécette précipitamment, sans m’attarder, submergée par une vague et inutile culpabilité. Puis mon regard sur eux a évolué, notamment grâce à l’extraordinaire roman de Rohinton  Mistry, « L’équilibre du monde » qui donne la parole à ces êtres différents, qui les fait rire, se disputer et s’amuser d’un rien, qui me permet aujourd’hui de leur parler, de leur sourire, de reconnaître leur dignité.

La mendicité est une institution en Inde, pour les hindous elle est normale, le mendiant, le pauvre, l’intouchable ont mérité cette disgrâce en se comportant mal dans leurs vies antérieures. Point n’est donc besoin de les secourir, leur misère actuelle alliée à un comportement honorable les aidera pour leurs vies futures.

« L’hindou mendie, froidement, avec conviction, avec culot. Considérant cet emploi comme sa destinée. Les hindous, ni bons ni charitables, passent leur chemin et le laissent  parce que c’est sa destinée », Henri Michaux « Un barbare en Asie ».

 Ce n’est pas cruel, c’est inéluctable. Et il faudra de profonds changements dans les mentalités avant que le sort de ces malheureux ne change.

India, le 30 juillet 2006

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29.07.2006

Bangalore

medium_bangalore1.jpgArriver dans une ville inconnue par le train c’est en découvrir en premier le pire. Bangalore n’échappe pas à la règle. Pendant des kilomètres nous traversons de tristes banlieues, ici et là de hauts immeubles en construction où des ouvriers aux corps noueux s’affairent sur d’invraisemblables échafaudages en bois tandis que des femmes, vêtues de blouses déchirées et les cheveux cachés sous des foulards crasseux, accomplissent les tâches les plus humbles : porter les seaux sur leurs têtes ou tamiser le sable. Au pied de ces futurs immeubles appelés à abriter les bureaux de la « Silicon Valley » indienne et les appartements des jeunes prodiges de la « high tech », des masures de toile plastifiée et de palmes tressées servent d’abri à toute une population pauvre, sale et affamée qui ignore probablement tout du monde aseptisé de l’informatique.
Plus loin des femmes, assises sur une montagne d’ordures, trient des déchets dont la puanteur parvient jusqu’aux fenêtres de notre train.
Des ruelles sombres et encombrées de détritus vomissent des enfants presque nus qui agitent la main à notre passage.
Les immeubles neufs scintillent de verre et d’acier.
Les taudis miséreux grouillent de rats et de vermines, comme des blessures gangrenées dans la chair de l’orgueilleuse Bangalore, si fière de sa réussite, de ses boutiques de luxe, de ses fast food à l’américaine et de ses jardins.
Pour la première fois depuis que nous voyageons en Inde je ressens un malaise.
Nous passons l’après-midi à sillonner les rues de la ville.medium_bangalore2.jpg
Sur la fameuse Mahatma Gandhi road, qui porte bien mal le nom du petit homme au rouet, celui là même qui préconisait de « vivre simplement pour que tous puissent simplement vivre », les passants se pressent dans des magasins qui affichent des prix bien supérieurs à tout ceux que nous avons vus jusqu’alors : boutiques de jeans américains, de chaussures à talons hauts, d’étoffes somptueuses tissées de fils d’or.
Une foule hétéroclite arpente les trottoirs de la MG road et de la Brigade road. Les femmes portent des vêtements occidentaux, des ensembles salwar, des saris ou de noires burquas. Celles-ci élégantes, bien ajustées et brodées de motifs colorés laissent apparaître des sandales dorées. Les cheveux, le cou et presque la totalité des visages sont dissimulés par des voiles et des foulards noués. Même les regards soulignés de khôl sont inaccessibles. La plupart des hommes portent des jeans, sauf les musulmans convaincus qui arborent la longue chemise blanche, la calotte et la barbichette éparse (le système pileux des indiens étant apparemment peu fourni, la barbe est souvent réduite à trois poils frisottés qui évoquent irrésistiblement, ironie du sort ou de ma part, les poils pubiens).
Je ne sais pas si la communauté musulmane de Bangalore est importante ou particulièrement attachée à ses traditions vestimentaires, mais ce qui est sûr c’est qu’on remarque immédiatement ses membres, bien plus que dans toutes les autres villes de sud de l’Inde que nous avons visité. Et le contraste entre les noires silhouettes et les jeunes beautés en sous-vêtements des affiches publicitaires est saisissant. Je me demande comment tous ces croyants intégristes vivent la vague d’occidentalisation qui a déferlé sur la ville. Je sens chez les jeunes, surtout les femmes, une certaine ostentation, comme un défi.
Mais ce n’est pas le seul paradoxe de Bangalore, la misère en est un autre. Non seulement les mendiants sont très nombreux, mais ils sont dans un état physique déplorable, sales, déguenillés, handicapés.
Le miracle économique de la ville semble profiter à bien peu de ses habitants, une poignée de privilégiés se partagent allégrement un gâteau dont même les miettes ne parviennent pas jusqu’aux classes les plus défavorisés.
Dans un luxueux Coffe Shop quelques représentants de la jeunesse dorée, fonds de culottes au genoux à la mode de chez nous, affalés sur les banquettes, pianotent mécaniquement des messages sur leurs téléphones portables, pendant qu’un petit garçon d’une douzaine d’années débarrasse les tables et qu’un autre les essuie.

Le soir, je lis dans l’Indian Express, qu’après Mumbai, Bangalore est la seconde ville la plus menacée par les attentats terroriste et cela ne me surprend pas.

Les contrastes y sont démesurés, ils sont douloureux, cruels, et j’ai en parcourant la ville un sentiment proche de celui ressenti l’hiver, à Paris ou à Bologne, en voyant tous les exclus massés sous les ponts ou dans des tentes branlantes, tous les sans toits, sans toilettes et sans espoir.

L’Inde a atteint cette année la douzième place dans le classement des pays les plus riches et Bangalore est un de ses plus beaux fleurons, enfin, une certaine Bangalore, pour l’autre il faudra attendre des jours meilleurs.

India, le 29 juillet 2006

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28.07.2006

S’alanguir au rythme d’un train

medium_indian-railways3.jpgHier soir, nous avons pour la dernière fois dîné avec Daddy, Janaki, Priya, Vishnu, la voisine de gauche et son fils. Nous sommes allés dans un restaurant élégant : climatisation à fond, chaises recouvertes par du plastique, néons triomphants, innombrable personnel en chemise blanche, pantalon moulant noir et souliers vernis, frais émoulu du lycée hôtelier local. Tout ce déploiement de raffinement n’a pas empêché un énorme cafard de dégringoler du plafond pour venir s’écraser dans l’assiette du fils de la voisine. Qui n’a d’ailleurs pas bronché, contrairement à Fabio qui a fait « Oups ! » en se demandant avec inquiétude quelles autres surprises nous réservait ce lieu.
Mais tout s’est bien passé, et peu après le repas nous avons salué nos amis. Je les ai quitté avec nostalgie. J’ai souhaité à Priya le meilleur mari du monde, et je lui ai demandé de m’écrire pour me tenir au courant. Janaki a joint ses mains haut devant son visage pour nous dire au revoir, elle aussi était un peu triste.

Et ce matin nous prenons le train pour Bangalore. Bien que le voyage dure environ huit heures nous avons préféré voyager de jour, le train de nuit étant pour nous, êtres fragiles et délicats, l’assurance (ou presque) de passer une nuit blanche.
A cause des récents attentas de Mumbai, la sécurité est renforcée et de nombreux policiers sillonnent les quais, c’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui pique Fabio la cigarette au bec, sorti s’en fumer une, mal planqué entre deux trains, en attendant le départ du nôtre.
Il est interdit de fumer dans les gares, c’est écrit partout, en gros, en anglais, en tamil et en hindi, et même si les mégots jonchent le sol il faut se méfier, la preuve !
Le policier, ravi de l’aubaine qui va peut être lui permettre d’empocher quelques centaines de roupies parle « d’ajustement ». Bien entendu Fabio joue le crétin qui ne comprend pas l’anglais.
« Ticket, ticket ! » insiste lourdement l’homme en uniforme. Difficile de continuer à jouer le nigaud ! Fabio lui tend les tickets, l’autre les garde dans sa main, comme pour menacer et continue à palabrer sans pour autant sortir de papiers officiels. Le temps passe, le train va partir, je suis à l’intérieur, valises rangées, pieds nus sur la banquette et Fabio dehors, entre deux rails, face au policier qui agite nos billets sous nos nez. La situation n’est pas encore critique, mais presque.
Finalement, à l’italienne et avec panache, mon heros personnel reprend fermement nos billets des mains du tourmenteur ripou et grimpe prestement dans le convoi qui commence à s’ébranler et le policier se met à rire et lui fait un signe de la main, comme pour dire : «  bien joué l’Italien, t’as gagné ! »medium_indian-railways2.jpg

J’adore prendre le train et le voyage est superbe. Dans notre wagon tout le monde s’est assoupi, le bébé et sa maman, le vieil homme en dhotî, les femmes en sari, la bonne sÅ“ur  rebondie, l’homme d’affaires à lunettes. Ça ronfle, ça grogne, ça dort profondément, allongé ou assis, les pieds repliés sous le corps ou posés sur la banquette d’en face, les bras ballants dans l’allée ou appuyés sur les barreaux des fenêtres. Parfois, au passage d’un des nombreux vendeurs ambulants, quelqu'un ouvre un Å“il, se secoue et commande un café, des fruits ou des pakoras tout chauds.
Cette extraordinaire capacité qu’ont les Indiens (et les Asiatiques en général) à s’endormir profondément en quelques minutes partout, quels que soient le confort, la température ambiante, l’état de propreté des lieux, le bruit et la luminosité, est absolument fascinante.
Tous, pauvres ou riches, vieux ou jeunes, femmes, hommes ou enfants ne ratent jamais une occasion de piquer un petit roupillon, de s’accorder une petite sieste, de s’évader par le sommeil.
Et nous, pauvres de nous, que nous faut-il pas pour nous abandonner dans les bras de Morphée ! Des lits, des draps (propres), l’obscurité, le silence, une température agréable, être suffisamment fatigué, ne pas avoir de soucis, et quoi encore ?medium_indian-railways1.jpg

Nos peurs, nos angoisses, nos névroses d’occidentaux trop bien nourris nous ont éloignés de l’essentiel : profiter des petits plaisirs quotidiens.

S’alanguir au rythme d’un train, se laisser aller sur une banquette, en toute quiétude.

India, le 27 juillet 2006

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27.07.2006

Super Daddy

medium_priya8.jpgVers 19 heures nous prenons le bus pour aller chez Priya, nous souhaitons interviewer les filles pour notre documentaire.
En plus de la famille il y a la voisine, qui est l’amie de Janaki, son fils, un garçon de 13 ans et plusieurs enfants du quartier. L’impression de vaste communauté que j’ai eu le premier jour se confirme, toutes les portes étant ouvertes en permanence les occupants des divers appartements sont très proches les uns des autres. Apparemment le sectarisme religieux n’a pas cours, les voisins musulmans de Priya ont eux aussi la porte ouverte et vont et viennent d’un logement l’autre.
Bien qu’elle soit majeure et appelée à se marier l’année prochaine, Priya ne veut pas commencer l’interview avant d’avoir l’autorisation de Daddy qui accepte immédiatement.
Maintenant que les connais mieux, je relève certains traits de caractère :

medium_priya7.jpgPriya a toujours un pet de travers (comme on dit dans le Berry), elle a chaud, elle a froid, elle est fatiguée ou elle a mal quelque part, ce soir c’est aux dents, par conséquent m’explique-t-elle, elle ne va pas être capable de beaucoup parler. Pour ses 20 ans elle semble très immature, très petite fille, qui se dispute sans arrêt avec sa sœur et fait des caprices, mais dans un an tout cela sera fini et elle devra, vaille que vaille, s’adapter à une nouvelle famille, à un mari et peut-être aux exigences d’une belle-mère. En fait elle correspond exactement à la jeune héroïne indienne, maintenue longtemps en enfance, sous la domination totale d’un père adulé, et formatée pour reporter cette adulation sur un autre mâle dominant : l’époux.
Dans le film de Karan Johar, « Khabhi Kushi Khabhi Gham » (« Une famille indienne ») Amitav Bacham et sa femme Jaya, interprètent un couple richissime qui traverse des difficultés affectives avec un de leurs fils. La mère souhaite la réconciliation, mais le père, fier et ombrageux, ne veut s’y résoudre, elle lui lance alors cette extraordinaire réplique : « Pour moi jusqu’alors mon mari était Dieu, mais je m’étais trompée, il n’est pas Dieu, seulement un homme » avant de tourner les talons et de sortir dignement de la chambre.

Être Dieu n’est pas chose facile mais Daddy s’y emploie avec énergie et bonne humeur. Etant le seul à travailler son salaire doit subvenir à tous les besoins de sa famille, à payer les écoles privées des filles et à économiser pour leurs dots. Officiellement interdite mais systématique dans les faits la tradition de la dot perdure. Elle est généralement élevée, pouvant représenter un an de salaire des parents, ce qui est considérable. Elle est supposée être utilisée pour permettre au couple de s’installer, mais ce n’est pas toujours le cas, parfois les nouveaux époux s’installent chez les parents de Monsieur et la jeune Madame doit mettre la main à la pâte pour soulager sa belle-mère des travaux ménagers. De toute évidence Daddy assume, il interprète brillamment son rôle de pater familias et ne rechigne pas être un Dieu. Heureusement, Janaki tempère ses élans car je le soupçonne d’être un tantinet soupe au lait.

La gracieuse Janaki commence ses journées à 5 heures du matin. La première levée, elle prépare les petits déjeuners et les déjeuners que les filles emporteront à l’école. La famille étant végétarienne, la préparation des repas est longue : préparation et cuisson des légumes, élaboration des sauces, fabrication des iddlies (galettes de riz) ou des chappattis. Une fois partis les occupants de l’appartement elle vaque au ménage, au rangement, à la vaisselle ou au lavage – il n’y a pas de machine à laver. Elle s’occupe aussi probablement des courses. Ensuite j’imagine qu’elle se repose ou qu’elle papote avec ses voisines avant de retrouver les siens et d’à nouveau les aider à régler leurs différends. Il émane d’elle une autorité douce mais efficace mais qui lui permet d’être complice avec ses filles et d’apaiser Daddy.

Vishnu doit sa surcharge pondérale à un excès de pâtisseries et autres sucreries. Elle semble discrète mais rien ne lui échappe. Elle porte un regard tendre et amusé sur le monde, elle est gentille et studieuse. Elle aussi attend un futur un mari qui l’emportera dans un autre foyer, dans une autre ville. Elle aime ses parents, ses copines, étudier.

On étale des nattes sur le sol, Fabio commence à filmer et moi à poser des questions. Priya et Vishnu sont assises à mes côtés, Daddy et Janaki en face, hors champ et le public (la voisine, les enfants de l’immeuble) tout autour.
Je demande à Priya et Vishnu de se présenter. Silence. Daddy prend la chose en main et leur explique ce qu’elles doivent dire. Elles répètent docilement.
Première question : « Qu’est-ce qui vous rend heureuses ? » Panique à bord, regards interrogateurs vers Daddy qui ne se fait pas prier pour intervenir en suggérant: être avec sa famille et respecter les anciens. Bien que ses propos soient partiellement hors sujet, ils sont à nouveau répétés fidèlement.
Et ainsi de suite, même quand les filles ont des velléités de parler Daddy intervient.
Finalement Fabio tourne la caméra vers lui et nous recommençons l’interview.
Puis je pose des questions à tout le monde et tout le monde s’amuse.

Encore une belle journée.

India, le 26 juillet 2006

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26.07.2006

Autres pays, autres mœurs !

medium_priya4.jpgIls sont venus, ils sont tous là, dans notre chambre d’hôtel, à 10 heures tapantes : Priya et Vishnu, qui pour l’occasion ont séché l’école, la délicieuse Janaki dans un beau sari coloré et Daddy. Nous qui espérions passer la journée seuls avec les filles, c’est raté.
Daddy entreprend de planifier les activités de la journée et recommence à insister avec le temple. Nous déclinons la proposition, ou plutôt, rusés, nous la programmons pour l’après-midi, si il nous reste assez d’énergie, et pour le matin, nous aimerions bien, si c’était possible, qu’ils viennent nous donner un coup de main pour réserver notre billet de train pour Bangalore où nous irons après-demain, ensuite, connaissant les goûts de Priya, je suggère de faire du shopping. Elle me regarde avec les yeux brillants. Daddy, tout en déplorant que l’expédition gare n’ait pas eu lieu deux heures plus tôt – il y aurait eu moins de monde - accepte le programme.
Nous quittons la chambre, et pris par l’incessant discours de Daddy, la tête à l’envers, nous oublions les clés à l’intérieur. Remue ménage ! Je lis dans les yeux de Daddy qu’il se demande, avec une affection inquiète, comment on arrive à s’en sortir quand on est seuls : pas foutus de réserver un ticket de train, pas foutus de se lever avant 9 heures, et même pas foutus de penser à prendre la clé quand on sort !
Bon, on va essayer de se rattraper !
Comme Daddy l’avait annoncé à plusieurs reprises la gare est pleine et il y a la queue devant les guichets de réservation.
L’Indian Railway est la plus grande entreprise du monde : environ un million et demi d’employés, un réseau énorme qui permet d’aller partout, de rejoindre les villes les plus éloignées du pays. Les trains sont très économiques, presque ponctuels, dans un état acceptable et sûrs. Le seul problème est la complication du système : nombreuses classes, nombreux types de trains et horaires fantaisistes.
Pour faire la queue nous nous asseyons en rang d’oignons sur des sièges en plastique. C’est une queue assise. A chaque fois qu’un guichet se libère, les cinquante personnes qui attendent se lèvent et hop, vont s’asseoir sur les chaises voisines qui viennent d’être libérées et ainsi de suite jusqu’au but final. De loin ça donne une impression de chaises musicales, de près c’est rigolo à regarder mais c’est aussi une très bonne idée car dans les queues « normales » les indiens sont particulièrement indisciplinés, surtout à l’approche du guichet ou du comptoir, si on laisse le moindre espace ils s’enfilent, à droite, à gauche et dament le pion au pauvre touriste qui a du mal à comprendre la manœuvre.
La réservation faite Daddy hèle un taxi et nous expédie Priya, Vishnu, Janaki, Fabio et moi, vers la rue des centres commerciaux. Lui doit travailler, il nous rejoindra pour déjeuner.medium_priya3.jpg
Nous flânons dans les boutiques, vêtements, bijoux, casseroles en inox, soieries, colifichets. Sans Daddy, Janaki et les filles sont beaucoup plus bavardes et nous font quelques confidences. « Next year, dit Janaki qui ne connaît que quelques mots d’anglais, Priya wedding » Voilà qui m’intéresse ! Je demande immédiatement « Arranged marriage ? »
« Oh Yeees ! » répondent en chœur et avec enthousiasme la mère et les deux filles. Et de m’expliquer que les recherches du futur époux ont déjà commencé avec l’aide de divers intermédiaires : voisins, famille, relations… etc.
J’interroge Priya, n’aurait-elle pas préféré choisir seule, n’a-t-elle pas d’amis, de garçons dans son école ou dans son entourage ? Si, elle en connaît, mais le mariage arrangé c’est beaucoup mieux. Pourquoi ? Parce que Daddy va décider et que Daddy ne peut pas se tromper, et puis il ne va pas choisir seul, Janaki et les filles vont l’aider, à eux tous, il feront le bon choix.

Finalement le discours qu’elle me tient est en tout point semblable à celui de Taoufik, le copain de Johny de Trichy et probablement très représentatif. Cela correspond tout à fait aux romances des films Hindis de Bollywood ou de tout autre cinéma indien.
Non seulement Priya ne se révolte pas contre ce mariage, comme on a tendance à imaginer qu’on le ferait à sa place, mais elle en est ravie.

Autres pays, autres mœurs.

Daddy nous rejoint au restaurant, il est deux heures, tout le monde est fatigué, et magnanime, il annule la visite du temple. Ouf !
Nous rentrons à l’hôtel nous reposer, nous retournerons chez nos amis ce soir pour les interviewer pour le documentaire.

India, le 25 juillet 2006

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24.07.2006

Priya et sa famille

medium_priya2.jpgA 20 heures nous retrouvons Priya et sa famille dans le hall de notre hôtel.
Kannan, le père, gros nez surplombant une grande bouche volubile et oreilles décollées, a une cinquantaine d’années et il est très sympathique. On l’appelle Daddy et il parle, en volume maximum comme le lui font souvent remarquer sa femme et ses filles, un anglais fluide mais que sa prononciation à l’indienne nous rend quasiment incompréhensible. Il nous salue chaleureusement. Priya semble tétanisée par le plaisir de nous revoir, elle nous fixe de ses grands yeux sombres, un sourire au lèvres, mais ne dit mot. Elle a 20 ans et elle ressemble à Daddy. Quand elle est distraite par ses pensées elle semble banale, mais quand elle sourit son visage s’illumine et elle devient belle. Elle est très affectueuse, elle m’écrit de longues lettres où elle m’appelle « aunty ».
Vishnu est plus jeune, elle a 16 ans et mériterait de perdre quelques kilos. Elle a un joli visage calme et serein.
J’ai immédiatement un élan de tendresse pour Janaki, la maman. Je ne sais pas encore définir pourquoi, mais c’est ainsi. Est-ce à cause de sa beauté ? Ses traits sont fins et bien dessinés, et surtout elle est gracieuse. Ses mouvements sont mesurés et délicats mais sans aucun maniérisme. Elle est un peu ronde. Je crois que c’est son expression qui me plaît le plus : un mélange de rêverie, de tendresse et d’humour.

Après nous être salués nous nous asseyons ensemble dans les fauteuils du hall et une ébauche de conversation prend forme. Difficile ! Côté indien Daddy accapare la parole et nous en captons une sur dix, côté italo-français Fabio a une attaque de mutisme et je dois entretenir tant bien que mal la discussion.
Un silence s’installe, chacun attendant que les autres décident quelque chose.
Janaki lisse le pan de son joli sari en soie, Priya et Vishnu n’ont toujours pas ouvert la bouche et même Daddy s’est tu.
Je propose de dîner ensemble, comme nous l’avions prévu. Ils balancent la tête en chœur. Je leur demande s’ils connaissent un restaurant proche de l’hôtel. Nouveaux dodelinements suivis d’un conciliabule familial. Finalement Daddy nous propose d’aller dîner chez eux. Est-ce par politesse ? Pour respecter la tradition d’hospitalité des brahmanes ? Parce qu’ils ne veulent pas aller au restaurant ?
Nous nous concertons nous aussi pour déterminer ce qu’il convient de faire, et guidés par la curiosité, après des salamalecs d’usage « Oh, no, thanks, we don’t want to disturb ! » nous acceptons leur invitation. S’en suit un second conciliabule, au terme duquel Janaki nous demande : « Noodles ? » et nous : « Oh yes, sure, we love noodle ! ».
Et nous voila dans la rue et Priya me prend affectueusement par la main. Daddy cherche un taxi, Janaki trottine à ses côtés et Vishnu papote avec Fabio.
Ils habitent un Housing Unit, autrement dit une cité, dans la banlieue de Coimbatore. Construit il y a 20 ans l’ensemble, qui compte 1500 appartements, a certainement connu son heure de gloire mais la piètre qualité des matériaux alliée à un total manque d’entretien, sont vite venus à bout de la splendeur initiale. Sur les petits immeubles bas les couleurs se sont délavées et laissent en maints endroits apparaître des briques rongées par les intempéries. Des tiges de fer rouillées trouent ici et là les façades et les larges allées sont ravinées, mais la population initiale, composée de familles de classe moyenne, n’a pas changé. Malgré l’état de délabrement des lieux les habitants de cette cité ne sont absolument pas pauvres. Ils sont employés, jeunes ingénieurs ou petits bussiness man, comme Daddy.
Aucune des nombreuses dégradations n’a été accomplie volontairement, pas de tags, ni de dessins obscènes sur les murs, pas de carcasses de voitures brulées ou de poubelles incendiées. La cité respire le calme et le bien être, en ce soir tombant on dirait un village. Il n’y a pas de véhicules motorisés, à peine quelques motos et des vélos. Des oiseaux chantent dans les nombreux arbres qui séparent les groupes d’immeubles, les enfants jouent dans la rue où sur une vaste esplanade en terre battue aménagée en terrain de sport. Devant les escaliers des immeubles des hommes et des femmes sont assis pour discuter dans la douceur du crépuscule.
La famille de Priya habite au premier étage. L’escalier externe conduit à un petit palier où se trouvent leur porte, ouverte, la porte des voisins de gauche, ouverte et la porte de la voisine de droite, ouverte elle aussi, ce qui donne l’impression d’un grand appartement occupé par différentes familles, une impression de communauté.
L’appartement est petit, deux pièces, dont une avec un lit, une minuscule salle de bains une cuisine et un petit balcon.
Il y a un réel problème de logement pour les classes moyennes au Tamil Nadu et probablement dans toute l’Inde. Même un bon salaire ne permet pas de louer ou d’acquérir un appartement de taille suffisante, ou s’il le permet il n’y a pas suffisamment d’offres.
Daddy va acheter des noodles dans une échoppe du coin. Les filles se sont remises de leurs émotions et nous discutons avec elles. Vishnu étudie le français à l’école, elle me montre son livre et Priya ouvre tous les produits de beauté que nous lui avons apportés (elle en raffole).
Nous dînons assis tous ensemble assis sur une natte. Fait notable, Janaki dîne avec nous. Très souvent, conformément à la tradition et comme nous l’avions constaté dans d’autres familles, les femmes mangent séparément.
Après le dîner nous faisons tous ensemble des plans pour la journée du lendemain. Nous aimerions beaucoup passer la journée avec Priya, rencontrer ses amies afin de mieux la connaître et travers elle d’essayer de comprendre les jeunes filles indiennes. Mais c’est difficile car Daddy veut à tout prix nous convaincre d’aller visiter un temple à 30 kilomètres de la ville .
Finalement nous convenons d’un rendez-vous à notre hôtel le lendemain à 10 heures, mais sans très bien savoir avec qui.

India, le 24 juillet 2006

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23.07.2006

Sur la route de Coimbatore

medium_ontheroad1.2.jpgLors du mariage auquel nous avions été invités à Chennai en aout 2005 nous avions rencontré le délicieux Pandjanadane de Karaikal et nous avions fait la connaissance de Priya, une jeune fille de 19 ans. Ils ne se connaissent pas, le premier appartient à la famille du marié et la seconde à celle de la mariée, mais ils ont un point commun, ils sont brahmanes, tout au moins le père de Priya l’est. Les femmes appartiennent d’abord à la caste de leur père, puis à celle de leur mari, ce qui ne change rien au résultat final, les mariages inter castes étant très rares. Environ  80 % des unions sont des mariages arrangés, et donc respectent scrupuleusement l’ordre établi.
La famille de Priya habite à Coimbatore, une grande ville située légèrement en hauteur  toujours dans le Tamil Nadu, mais très proche du Kerala et du Karnataka.
Les deux seuls trains joignant Trichy à Coimbatore étant l’un trop matinal (il part à 4 heures), l’autre trop tardif (il arrive à 22 heures), nous décidons de prendre un taxi, ce qui est toujours épuisant, car notre confiance envers les chauffeurs et les conducteurs de tous les véhicules rencontrés lors du trajet est très limitée.
L’état des routes est souvent approximatif et le style de conduite des Indiens… indien !
La route suit le fleuve Cauvery. De la fenêtre de la voiture nous apercevons, cachées parmi les feuillages, les femmes faire leur toilette, leur lessive ou leur vaisselle dans ses eaux. De larges marches, les ghats, mènent à l’eau et afin de préserver l’intimité féminine, les deux sexes sont séparés.
Autant les femmes sont pudiques, autant les hommes ne le sont pas. Quand ils se baignent ils enlèvent sans complexe leur dhoti et exhibent au grand air leurs fesses brunes et leurs attributs virils. Il n’est pas rare non plus de les voir accroupis au bord de la route ou au milieu d’un champ occupés à déféquer, (ou à uriner, chose curieuse ils ne font pas pipi debout).
Les canaux qui longent la Cauvery sont calmes et bordés d’arbres, ils évoquent la fraîcheur et le bien être et nous aimerions nous laisser nonchalamment guider par le courant. Malheureusement nous sommes pas dans une modeste barque mais dans une Ambassador blanche qui zigzague vaillamment entre les innombrables embûches de la route : autobus, camions, motocyclistes, cyclistes, piétons, trous et ce voyage ce révèle un des plus risqués que nous ayons jamais faits.
medium_ontheroad2.2.jpgD’abord à cause des camions, innombrables, qui alimentent en sable une énorme fabrique de ciment, sable puisé dans le lit de la Cauvery, au mepris de toute prudence écologique. Dans les années 70 / 80, en Italie (et certainement ailleurs), les lits des fleuves ont été consciencieusement  pillés, depuis les inondations et ravinements sont continuels. Mais penser que les erreurs de l’occident puissent être analysées et bannies par les pays émergeants et probablement du domaine de l’utopie.
Bien entendu ces camions roulent trop vite, doublent sans arrêt et sans regarder et les accidents sont fréquents, comme en témoigne l’un d’entre eux, renversé sur le bord de la route après avoir percuté une moto.
Les motos ! Eux aussi, et les deux roues en général, auraient bien besoin qu’on leur explique deux ou trois notions de base du code de la route : regarder derrière soi quand on déboîte, utiliser un clignotant, mettre un casque… etc.
Mais le pompon de la dangerosité est sans nul doute détenu par les autobus qui, sans retenue aucune, font la course entre eux ! La concurrence étant sévère entre les bus gouvernementaux et ceux des compagnies privées la lutte est sans merci et tous les coups sont permis pour remplir au maximum les sièges : dépassements hasardeux, vitesse inconsidérée. Le résultat de cette lutte effrénée nous apparaît lui aussi sous la forme d’un accident, bus couché sur le côté, camion enfoncé.
Bref un voyage pénible, ponctué par d’incessants coups de klaxon, mais qui se termine bien. Contrairement à toute attente, nous arrivons à bon port et ce soir, Priya  et sa famille, doivent passer à notre hôtel.

India, le 23 juillet 2006

22.07.2006

L’Islam ? Vous avez dit l’Islam ?

medium_mohammed1.jpgUn an après nous retournons au Jamal Mohamed College. Comme son nom l’indique c’est un College privé musulman. Les garçons y étudient le matin, les filles l’après-midi et entre eux aucun contact n’est permis.
Les étudiants sont majoritairement de confession musulmane (70%) mais il y a aussi des hindous et des catholiques car l’établissement jouit d’une excellente réputation. Le coût de l’enseignement pour une année est d’environ 12 000 roupies, soit 200 euros, ce qui correspond presque au salaire mensuel d’un professeur. Autant dire que les familles qui choisissent le JMC, sont soit à l’aise financièrement, soit prêtes à un certain nombre de sacrifices pour assurer l’avenir de leurs enfants. C’est le cas des parents de Johny et de Taoufik et probablement de la majorité des élèves. L’ambiance est studieuse et les professeurs tous très stricts et très sérieux. Enfin, presque tous, un hurluberlu résiste : l’inénarrable Mohammed, poète à ses heures, amoureux de la France et qui, le soir venu, adore discuter avec des touristes de rencontre devant un mouton masala ou quelques bières.
Il passe ses semaines à Trichy dans un foyer et ses week-ends à Madurai où sa famille a une agence de voyage et où sa femme élève leur fils.
Le matin au JMC il n’y a donc que des hommes. Tous les élèves que nous croisons nous dévisagent avec curiosité et nous sourient ce n’est pas le cas des enseignants de la salle des profs qui ne lèvent pas le nez de leurs journaux à notre arrivée.
Finalement Mohammed nous rejoint et nous emmène rendre visite au chef du département histoire, qui lui, look d’imam : barbe en éventail aux pointes irrégulières, longue tunique sous laquelle pointe un ventre rond, calotte au crochet blanc, se montre chaleureux.
Il trône derrière son bureau, la Tour Eiffel à droite, la Tour de Pise à gauche,  nous offre le thé et des biscuits et nous présente deux autres professeurs.
Nous discutons un peu un anglais, de la World Cup, (regards admiratifs vers Fabio), de ce que nous pensons de l’Inde et du fait que nous soyons nous aussi enseignants.
Puis Mohammed entraîne Fabio je ne sais où pour fumer, ce qui est sans nul doute interdit mais notre ami se plaît à transgresser les règlements.
C’est le moment que choisissent le charmant « look d’imam » et ses acolytes pour me demander ce que je pense de l’Islam. Bonne question ! Chez moi, tranquillement assise sur mon canapé, je pourrais disserter deux heures sur le sujet. Mais en cet instant précis, un gobelet de thé brûlant dans une main - le lait a formé à la superficie un peau que je déteste et dont je me demande comment je vais me débarrasser - un biscuit farineux dans l’autre, les fesses collées à la chaise car la température de la pièce avoisine les 40 degrés et trois éminents professeurs religieux convaincus  me fixant en attendant que je veuille bien répondre en anglais à la question, c’est le vide total. Le seule réponse qui me vienne à l’esprit est un impossible :« Nothing ». Je me concentre désespérément sur l’argument. Look d’Imam, pensant probablement que je n’ai pas compris sa question, la répète aimablement et les professeurs balancent gentiment la tête pour m’encourager.
L’honneur des femmes occidentales étant en jeu, nous ne sommes pas des gourdes, quand même, nous avons des choses à dire, je décide imprudemment de me fier à mon sens de l’inspiration et j’attaque : « It’s a religion… » (bravo ma fille, une trouvaille !). Je me lance ensuite dans une longue phrase ombiliquée et certainement incompréhensible dans laquelle je tente d’expliquer que pour moi toutes les religions se valent et que l’important est d’en avoir une (lâche et hypocrite en plus !), mais que parfois, en tant que femme, j’ai du mal à comprendre que… Mohammed, de retour parmi nous, me sauve heureusement d’un désastre annoncé en claironnant son désir de faire une série de photo du groupe. Sa proposition est accueillie avec enthousiasme et on oublie immédiatement la discussion. Ouf !
Escortés par Johny et Taoufik nous nous rendons ensuite dans une salle de classe pour retrouver des étudiants que nous avions connus l’année dernière. Ils sont ravis de nous revoir.medium_mohammed2.jpg
Je leur pose des questions en français pour les faire parler, mais leur niveau est très faible et Mohammed doit tout traduire en anglais, à voix très forte car les élèves, qui visiblement l’aiment beaucoup, sont plutôt indisciplinés.
Il ressort de mon petit sondage que la valeur prioritaire de ces jeunes gens est la famille, la religion et les études venant loin derrière. Par contre plusieurs d’entre eux s’intéressent aux filles – normal ils ont 19 ans - et quelques uns disent avoir une « girlfriend ».
Ont-ils un héros personnel ? « Shah Rukh Khan ! » s’écrie à mon attention, un petit moustachu au premier rang, tout content de me montrer qu’il se souvient que l’année dernière je leur ai chanté les louanges de ce célébrissime acteur. Les autres aiment aussi des vedettes de cinéma ou des chanteurs indiens, aucun occidental dans leurs choix. Je leur parle de Gandhi, ils me regardent avec des yeux ronds « Sonia ? » demande l’un. « Non le Mahatma ! » précise Mohammed. Silence dans les rangs. Le petit homme au rouet paraît bien oublié, perdu dans l’histoire de leur pays. L’Inde qui se dessine aujourd’hui l’a relégué au rang de statue, incontournable mais vide de sens.

Le soir nous dînons une dernière fois avec Mohammed, Johny et Taoufik. Tout en nous expliquant que sa femme porte la burqua parce que les traditions le veulent et que Madurai est une petite ville (1 200 000 habitants quand même) l’éminent professeur s’envoie deux litres de bière (rigoureusement interdite par le Coran) et fume en cachette en tenant sa cigarette sous la table. Puis il nous parle du récent voyage qu’il vient d’effectuer à Paris en compagnie d’un ami pour chercher à faire publier l’autobiographie du président de l’Inde qu’il vient de traduire. Je lui demande si quelque chose l’a choqué, il me répond sans hésiter « Oui , Pigalle, là où j’avais mon hôtel ! ». A Paris, il a aussi rencontré l'écrivain Jean Claude Carrière, auteur du "Dictionnaire amoureux de l'Inde" et il nous narre la rencontre avec respect et émotion.
Et si son fils tombe amoureux d’une jeune fille d’une autre confession ? « C’est ma femme qui décidera, c’est elle qui l’élève, elle le connaît mieux que moi ! » répond-il paisiblement.
Décidément pompette il se met ensuite à raconter aux deux garçons éberlués ses flirts sur le web avec des étrangères poètes rencontrées par des amis d’amis d’amis passés un jour à Trichy ou à Madurai.

Pour nous il se fait tard. Nous saluons la compagnie en promettant de s’écrire et de revenir l’année prochaine.

Le lendemain matin Johny et Taoufik sonnent à notre porte, ils sont venus nous dire un dernier au revoir et nous aider à porter les valises.

Nous leur souhaitons sincèrement bonne chance et réussite puis le taxi nous emporte vers une nouvelle destination : Coimbatore.

India, le 22 juillet 2006

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21.07.2006

Freedom and Money

medium_Johny-Taoufik5.2.jpgLe restaurant où travaille le père de Johny est dans un jardin, nous prenons place sous une version indienne de la tonnelle, plantes mal coupées, montants rouillés, en compagnie des deux garçons. Une petite brise légère rafraîchit l’atmosphère, les tables sont espacées et des enfants s’amusent dans le coin aménagé à leur intention.
L’endroit est franchement agréable, ce qui est très rare. La plupart des restaurants d’un certain standing, je ne parle pas des gargotes, sont situés dans des sous-sols d’immeubles - lorsqu’ils sont à l’étage les fenêtres sont consciencieusement cachées par des rideaux ce qui revient au même. Ils sont sombres, à part des petits néons ici et là qui donnent à nos visages pâles de western people des mines blafardes et des traits tirés (le teint de peau indien résiste par contre parfaitement bien à l’assaut) et on s’y gèle car la clim est toujours poussée à fond. On ne voit ni ce qu’on mange ni l’état de propreté (ou de saleté) des lieux et on se dépêche d’en finir de peur d’attraper, en plus d’une gastro, une pneumonie due à la différence de température entre l’extérieur étouffant et l’intérieur glaçant.
Rien de tel au Raja, la nourriture est bonne, le papa de Johny s’affaire autour de notre table et je demande aux deux garçons ce qui est important pour eux :
« Freedom ! » me répond Johny qui m’explique que sa vie est trop encadrée, il adore ses parents mais parfois ils lui pèsent un peu, il aimerait vivre au grand jour son histoire avec Priya, avoir aussi plus d’intimité avec elle, il se sent coincé par les traditions et la religion, il veut mener sa vie comme il l’entend, se marier, avoir une maison et voyager, c’est pour ça qu’il étudie et qu’il s’entraine tous les jours pour devenir champion d’Inde de tir.
« Money ! » dit Taoufik, il veut être riche pour assurer le bien être de ses parents, pour vivre confortablement avec eux et la jeune épouse qu’ils lui choisiront. Il n’aspire pas à la liberté mais à la fortune.
medium_Johny-Taoufik6.jpgNous parlons ensuite des récents attentats de Mumbay. Tous les deux les désapprouvent, ils estiment qu’ils sont destinés à abattre le gouvernement. Nous leur demandons s’il y a des tensions communautaires à Trichy, ils répondent que non, eux-mêmes ont des amis hindous et Priya est catholique.
Leurs discours sont intelligents et clairs. Johny parle de solidarité envers les plus faibles et les pauvres. Ils ont confiance dans l’avenir. Ils sont l’Inde de demain.

A la fin du repas le propriétaire vient nous saluer, il nous demande de signer le livre d’or et nous offre des fruits et des pâtisseries. A vue d’œil c’est un musulman convaincu portant la barbe et la tunique longue. Lorsque Fabio lui propose de s’asseoir à côté de moi  pour prendre une photo il hésite avant de se poser en équilibre sur la chaise, le plus loin possible de ma personne. A peine le cliché effectué il retourne bien vite de l’autre côté de la table et félicite chaudement Fabio pour sa victoire à la World Cup.
Au moment de partir je lui tends bêtement la main pour le saluer mais il se contente d’agiter la sienne dans ma direction en regardant ailleurs, j’entends les deux garçons rigoler dans mon dos et j’espère qu’ils n’auront jamais à souffrir de l’intolérance religieuse.

India, le 21 juillet 2006 medium_Johny-Taoufik4.jpg

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