Désir de campagne

Je suis née là :

Dans l’école, juste à côté de cette demeure bourgeoise pompeusement surnommée « le château ».

Autant mon enfance, passée à me balancer dans le jardin, à organiser des courses d’escargots baveux, à guetter l’apparition des premières jonquilles, à piller le cerisier ou débusquer les premières fraises, à dénicher les giroles cachées dans la mousse, à pédaler sur des routes étroites en ayant la trouille d’être poursuivie par un jars pinceur de mollets et à observer de la fenêtre de ma chambre les us et coutumes étranges des fermiers d’en face, fut belle, autant mon adolescence fut pénible.
Les activités qui avaient jusqu’alors fait mon bonheur perdirent subitement tout leur charme.
La fenêtre devint le lieu de mes rêveries exaltées. Je pouvais y rester des heures, attendant que « quelque chose » vienne rompre la monotonie du jour.
Mais comme rien ne se passait et que l’observation des voisins avait fini par me lasser, la détestation du lieu se fit de plus en plus forte.
J’étais une princesse recluse dans une tour.
Le prince charmant ne se décidant pas à venir me libérer, je suis partie.
Loin des vaches dont j’avais peur.
Loin des hurlements des gorets quand la lame du couteau leur tranchait le cou et qu’ils agonisaient lentement, se vidant du sang qui deviendrait boudin.
Loin de la boue et du purin.

J’avais le monde à découvrir.

Le temps est passé, je ne dirais pas à mon insu car il me semble avoir eu plusieurs vies. Celle d’une jeune fille rebelle, avide de sensations, d’émotions, de plaisir et qui n’hésitait pas à prendre des risques. Celle d’une jeune mère fragile, malmenée par un individu trop imbu de sa personne pour pouvoir considérer la créature qui s’étiolait à ses côtés. Celle d’une révoltée qui s’est acharnée à rompre les liens d’un mariage qui la détruisait, allant jusqu’à la guerre pour arriver à ses fins. Celle d’une femme libre et joyeuse. Et, désormais, celle de la compagne apaisée de l’homme qui, par sa disponibilité et sa douceur, l’a aidée à vivre certains de ses rêves d’enfance : voyager, écrire.

Entre mon école berrichonne et l’appartement que j’occupe actuellement dans une ville italienne, il y eut la ZUP de Châteauroux et divers domiciles sur la côte d’Azur.
De la campagne à la ville en passant par la zone résidentielle méditerranéenne huppée.

Mais voilà que depuis quelques temps un désir de campagne me taraude.
Je le dois aux voyages en Asie, à la sérénité de Gili Air, à l’aimable tranquillité de Kaippattoor, à tous ces lieux où la beauté de la nature m’a bouleversée et où le paisible mode de vie de ses habitants m’a ramenée aux temps insouciants de mon enfance.

La rumeur continue des villes a fini de me séduire. L’étalage perpétuel de la civilisation marchande avec son cortège d’abus et d’injustices me devient de plus en plus insupportable.
Dans Bologne, qui en d’autres temps fut surnommée la rouge, un véhicule sur dix est un énorme 4×4, le tank citadin de ceux pour qui la pollution de la planète n’est que broutille par rapport au vain plaisir de montrer à autrui qu’ils ont les moyens de s’offrir la plus grosse bagnole du magasin.

De même qu’il y a quelques années j’ai refusé de continuer à participer à la déliquescence de la société française en persistant à exercer un métier d’institutrice dont l’épuisante vacuité m’apparaissait de jour en jour plus évidente, je ressens aujourd’hui un pressant besoin de ne plus prendre part (disons le moins possible) à une course infernale qui va sous peu catapulter l’humanité dans le chaos et les ténèbres.

Je n’ai pas pour autant l’intention de retourner vivre dans les lieux de mon enfance, mon goût du changement et de l’aventure est bien trop fort pour cela.

Non, je suis désormais à la recherche d’un village, dans le sud de la France, car j’aime la chaleur et que je préfère les tuiles romaines aux ardoises grises, où acquérir notre nouvel abri : une maisonnette entourée d’un jardin potager.
Un endroit à taille humaine où l’on connaît son voisin et où l’on peut échanger des idées, fussent-elles différentes, où l’on pourrait s’entraider, renouer avec une indispensable solidarité quotidienne, celle là même que, manipulés par les exigences de la société du consumérisme, aveuglés par le miroir aux alouettes, nous avons perdue.

Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde.” Gandhi

PS: une raison de plus, importante, pour décroisser, chez SuperNo

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