Exilés

C’était dans le centre de la Turquie pendant l’été 1999. Nous roulions en direction d’Ankara sur une interminable route à double voie pompeusement nommée autoroute.
Des kilomètres de monotonie à travers une plaine déserte, aride, désolée.

Parfois nous doublions des camions entièrement bâchés, tous semblables, lourds et lents et dans l’ennui du trajet nous nous demandions mollement ce qu’ils pouvaient bien transporter : des animaux, des matériaux de construction peut-être.

La réponse, d’une absolue tristesse, nous l’avons eue en nous arrêtant à une station service. Tout au bout du parking, loin des voitures des touristes et des berlines familiales des Turcs, plusieurs de ces camions étaient garés, leurs lourdes bâches soulevées.
Entassées sur les plates formes au milieu de ballots mal ficelés, des familles kurdes qu’on avait arrachées à leurs villages, à leurs lopins de terre, étaient en partance vers l’exil.
Pour toujours.

Des fillettes, pieds nus, tournaient autour du bloc de béton qui abritait un restaurant et des sanitaires, cherchant le courage d’y pénétrer pour remplir des bidons d’eau. A l’ombre maigrichonne d’un arbre des femmes en longs jupons donnaient à manger aux bébés.

Embarqués par les représentants des autorités turques, ces paysans étaient emmenés jusqu’à la mer, puis mis sur des bateaux en direction des pays européens.

Je ne peux pas penser à eux sans être à nouveau envahie par le terrible sentiment d’injustice et d’impuissance ressenti à cet instant.

Souvent depuis je me suis demandée ce qu’il était advenu des fillettes aux yeux clairs qui n’osaient pas entrer dans un restaurant, pourtant bien modeste, pour simplement prendre de l’eau d’un robinet, des hommes secs et noueux, des femmes aux longs jupons qui allaitaient leurs nourrissons, des vieillards apeurés.

Peut-être certains ont-ils cru trouver refuge en France, dans des foyers, dans des taudis loués une fortune par des tauliers sans scrupules.

Ont-ils des papiers aujourd’hui ou attendent-ils dans l’angoisse la milice policière qui viendra les expulser à l’aube, ou qui les arrêtera à la sortie de l’école où vont leurs enfants pour les renvoyer dans un pays dont on les a chassés ?

Il fut un temps où la France, se targuant d’être le pays des droits de l’homme et du citoyen était aussi une terre d’asile. Ce temps est révolu, en 2007 on chasse de l’hexagone qui n’est pas arrivé à obtenir des documents en règle, même si il a un travail, une famille, des enfants scolarisés.
Le triste sire Hortefeux veut du chiffre, des résultats.
La pression sur ces étrangers qui ont naïvement cru qu’un pays si riche, si féru de liberté, pourrait leur permettre de vivre décemment est devenue insupportable, mortelle pour certains.

Plusieurs associations, dont le Réseau Education sans Frontières, se battent sans relâche contre ces expulsions indignes, inhumaines.
Leur site web relaie les différentes activités possibles et informe quotidiennement des nouvelles exactions commises par les sbires du gouvernement.

Dans la droite ligne de la désobéissance civile imaginée pas Thoreau on peut si on le souhaite signer « Le manifeste des innombrables »

(…) « Au nom de l’Humanité, je continuerai à aider des personnes dites sans-papiers à faire face aux décisions arbitraires et brutales qui brisent leur avenir et violent leurs droits fondamentaux.

Je déclare refuser de me plier à des mesures indignes et inhumaines et agir ainsi, comme d’autres innombrables l’ont fait en d’autres périodes de l’histoire, en accord avec les principes du droit international qui protègent les migrants, les droits de l’enfant et la vie privée et familiale, comme avec les valeurs universelles de fraternité, d’égalité, de liberté et d’accueil dont se réclame notre République. »

Pour que tous les enfants vivant sur le sol de France puissent grandir en paix, nous devons résister aux lois indignes que promulgue un gouvernement que, démocratie oblige, nous avons élu, faute de l’avoir choisi.
Notre liberté et celle des générations futures sont en jeu.

« Dès que quelqu’un comprend qu’il est contraire à sa dignité d’homme d’obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l’asservir. » Gandhi

Et ne jamais oublier :
« Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre. » Georges Bernanos.

A lire aussi: Uni(e)s contre une immigration jetable

Ajout de dernière minute, aujourd’hui, jeudi 18 octobre, est prévue une gigantesque rafle.

Pour en savoir plus

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