Italie, lutter contre la ‘ndrangheta

Calabre, la première révolte contre qui impose le “pizzo”. Dans la salle du tribunal une victime indique ses extorqueurs aux juges, titre ce 10 janvier le Corriere della Sera un grand quotidien national.

Le « pizzo » est le racket que la mafia, en l’occurrence sa version calabraise, la ‘ndrangheta impose aux commerçants du sud de l’Italie.

Lamezia Terme (Catanzaro) « Le témoin est assis d’un côté de la salle, les juges sont à sa gauche et les accusés en face de lui. Il raconte qu’il y a un peu plus de deux ans,  quelqu’un s’est  présenté à son magasin pour réclamer le « pizzo », il voulait 1200 euros par mois, « destinés à zio Pasquale ».
« Qui est zio Pasquale ? » demande le ministre public. “Pasquale Giampà” répond le témoin.
« Il est présent dans cette salle ? »
Le témoin tend le bras et désigne du doigt un homme assis à peu de distance de lui, encadré par les deux avocats de la défense, il ajoute « Oui, c’est lui ».
Pour la première fois en Calabre une victime du racket accuse publiquement ses extorqueurs (présumés jusqu’au verdict) dans une salle de tribunal.
L’homme qui vient de porter cette accusation s’appelle Rocco Mangiardi, il a 53 ans (…)et gère un magasin de pièces détachées Via del Progresso, dans le centre commercial de la ville
.
»

Dans la suite de l’article, le journaliste rapporte les paroles de Rocco Mangiardi qui raconte comment il a tenté de convaincre les racketteurs de baisser la somme réclamée, puis sa rencontre avec zio Pasquale qui menace de mettre le feu à son magasin. Rocco Mangiardi réclame alors de payer 250 euros par mois, sa requête est refusée. Le boss lui répond qu’il ne demande pas la charité et que tous, Via del Progresso, paient le « pizzo ».
Devant les juges, Rocco Mangiardi ajoute : « Je ne veux pas payer des gens qui ne travaillent pas pour moi et qui utiliseront mon argent pour acheter des projectiles, des bombes et de l’essence. Je préfère embaucher un père de famille, subir l’extorsion, non »

Convoqué une première fois à la préfecture car les policiers soupçonnaient le racket, Rocco s’était tu, par peur. Puis, se ravisant, il a fait il y a quelques temps une déposition dont il a, hier, répété les termes au tribunal.

Vu de l’extérieur on pourrait s’étonner qu’un fait aussi anodin, dénoncer son extorqueur devant les juges, soit relayé par un quotidien national, mais la réalité calabraise est telle que l’accusation que porte Rocco n’est en rien anodine.
Véritable fléau, la ‘ndrangheta paralyse totalement la vie économique de la région et terrorise ses habitants.
Cette accusation publique est une entaille salutaire dans la loi du silence.

Dans le fil de commentaire d’un billet que j’avais écrit sur un incident mafieux, j’ai reçu il y a quelques jours un témoignage glaçant. Avec l’accord de Marco, son auteur je vous le propose :

« Je suis moi même calabrais, j’ai maintenant 20 ans et cela fait 11 ans que je vis en France.

Mes parents ont fui la Calabre pour la Lorraine pour y travailler et pour les conditions de vie qui sont bien meilleures que dans le sud de l’Italie on ressent fortement le chômage.

Je suis issu d’une famille de travailleurs honnêtes et aucun membre de ma famille proche n’a de rapports quelconque avec la mafia… Pourtant, j’ai vécu 9 ans de ma vie dans ma terre natale, avec mes parents et mes 5 frères et sœurs,

Nous avons tous au moins une petite histoire à propos de la ‘ndrangheta (qu’elle soit organisée ou évoquée sous forme d’incident violent). Voici une de mes histoires, celle qui restera la plus marquante pour moi :
Je devais avoir 7 ou 8 ans et j’étais avec mon oncle, en voiture, sur une route droite (style rue principale). Mon oncle roulait d’une manière tout à fait exemplaire quand soudain un homme ouvrit la portière de sa voiture  qui était garée sur le coté (inconsciemment, comme si de rien était). Mon oncle l’évita d’un brusque mouvement de volant et continua sa route après avoir donné deux bons coups de klaxons quelque peu nerveux.

Au feu rouge suivant, qui était à une cinquantaine de mètres du lieu de l’incident, nous vîmes le même homme débarquer. Il s’était approche de nous à pied.

Je me souviens parfaitement de ses principales caractéristiques physiques : c’était un homme petit, mais plutôt baraqué, teint mat, cheveux noirs, gros sourcils et grosses lèvres, il ne devait pas avoir plus de 40 ans. Mon oncle ouvrit sa fenêtre et ils s’expliquèrent (je ne me rappelle pas des paroles exactes) même si mon oncle n’avait rien à se reprocher car c’était l’autre qui était en tort. Mais, au bout de quelques instants l’homme ouvrit brusquement la portière coté conducteur et après avoir demandé à mon oncle « C’est quoi ton problème ? » (avec un très fort accent calabrais et un regard menaçant), il le gifla.

Mon oncle sortit tout de suite du véhicule et lui répondit par un coup de poing. Ils se battirent violemment tandis que je restai dans la voiture en pleurant et en criant à l’aide. Heureusement  la bagarre fut très vite arrêtée car des piétons les séparèrent  et nous repartîmes rapidement avant que la police n’intervienne. Ensuite sur le trajet, mon oncle me consola et j’étais sans doute soulagé car il réussit à sécher mes larmes. Pourtant ce n’était pas terminé. Le lendemain, quand  mon oncle sortit d’un magasin de sanitaires où il avait passé une commande, il retrouva sa voiture brulée et désossée sur le parking.
Avant d’y mettre le feu les mafieux avaient volé de nombreuses pièces du véhicule.

Mon oncle affirme  encore aujourd’hui que le patron de l’entreprise était complice  de cet acte criminel : en  prévenant les mafieux de l’heure précise à laquelle il avait pris rendez-vous, en mettant des barrières opaques devant le bâtiment en n’acceptant aucun autre client (mon oncle était le seul client ce jour là) et en lui  faisant perdre du temps dans les commandes afin que les malfaiteurs aient plus de temps. Ce fut, d’ après mon oncle, une opération extrêmement bien organisée et il dit toujours qu’il a eu beaucoup de chance de ne pas avoir été tué.
Ce fait fut le plus marquant de mon enfance.

Je suis très souvent retourné en Calabre (environ deux fois par an), pour faire l’huile d’olive avec mes grands parents mais aussi pour prendre des vacances au soleil.
En l’espace de 20 ans, j’ai vu quatre cadavres de personnes assassinées, ni plus ni moins.

Un jour, en passant sur une route de campagne que j’empruntais très régulièrement, je vis, en face d’un groupe d’habitations,  un cadavre que personne n’avait encore découvert. Il était allongé sur la chaussée et baignait dans son sang.

Une autre fois, je vis un homme égorgé sur le banc d’une église (là non plus les forces de l’ordre n’étaient pas encore intervenues ni même les ambulances).

Je me souviens aussi, lorsque j’avais cinq,  d’une fusillade dans le hall de réception d’un hôtel chic du bord de mer. Tous les curieux, dont mes parents, moi et d’autres passants, terriblement choqués, nous nous étions réunis autour du corps de l’homme qui avait été fraichement assassiné. Les tueurs avaient bien sûr pris la fuite.

Et puis, sur un banc public de Locri, ville où la ‘ndrangheta est fortement représentée, j’ai vu un autre cadavre, tué de deux balles dans la tête.

Ces exemples qui m’ont touché à vie vous paraîtront peut être grossiers ou  trop « clichés »de la mafia mais vous pouvez y croire, tout est vrai dans mes histoires. »

Si vous ne l‘avez déjà fait je vous conseille la lecture de Gomorra (ou la vision du film) écrit par Roberto Saviano un courageux jeune journalise qui est aujourd’hui contraint à l’exil à cause des menaces qui pèsent sur lui.

Pour en savoir plus sur les mafias italiennes, le blog, extrêmement bien documenté, de Fabrice Rizzoli

Et ici un site (en français) qui lutte contre le « pizzo » en Sicile.

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