Les filles de Madurai

De chacun de nos séjours à Madurai, je garde un souvenir particulier : la magie du temple, un ciel d’ardoise strié d’éclairs, une soirée dans un bar sombre et enfumé en compagnie de Mohammed et de ses amis, notables musulmans et hindous, à boire du whisky et de la bière, le plaisir de faire découvrir la ville à Romain, mon fils et à sa compagne, Élodie.
Cette année aussi le voyage a  sa propre tonalité.

Nous  accompagnons les cadres de Namaste qui doivent rencontrer des responsables d’associations humanitaires locales afin d’envisager une éventuelle collaboration.
Le principal interlocuteur est un père jésuite, créateur d’une home for girls et d’un hôpital de jour. Grâce à l’aide d’un chirurgien italien, une unité de transplantation de moelle épinière destinée aux enfants atteints d’une maladie dont le nom m’échappe est en cours de construction. Un projet particulièrement coûteux, qui nécessite encore des fonds. Lesquels fonds, tout au moins une partie pourraient être donnés par Namaste. N’étant ni payeuse, ni dans le secret des décideurs, pas même voix consultative, peu séduite par le jésuitisme et préférant toujours aux projets prestigieux les petites actions locales, je  n’en dirai pas plus.

Après la visite de l’hôpital, du bloc opératoire et des deux chambres dédiées aux futurs petits malades, nous allons rendre visite aux filles de la home for girls, un grand bâtiment, dédié Babasaheb Ambedkar.

Curieuse association que celle des jésuites avec le héros des dalits, intouchable lui même, épris de justice sociale, initiateur d’une campagne de conversion au bouddhisme destinée à mettre en échec le système de castes hindou et principal rédacteur de la constitution indienne. Peu connu en Europe,  il jouit en Inde d’un véritable culte de la part des plus pauvres.

Comme des fleurs mauves éparpillées, assises sur le sol, les adolescentes révisent leurs cours. Gracieuses et souriantes, elles  s’amusent à poser.

La maison abrite trois cents pensionnaires, confiées à l’institution par des familles indigentes ou orphelines. Les conditions de logement sont spartiates. De grandes pièces vides, impeccablement propres, les filles dorment sur des nattes, chacune devant fournir la sienne. Pas d’armoires, pas de placards, les quelques affaires personnelles sont rangées dans de petites malles en fer.
L’encadrement est franchement indigent : deux prêtres et le strict père supérieur qui m’assure fièrement exiger de ses pensionnaires une parfaite discipline. A sa mine austère, je le crois volontiers. Je pose aussi, sournoisement, la question de la religion. Il me répond que les pensionnaires sont chrétiennes ou hindoues. Musulmanes ? Non.

Obéir et courber l’échine est le lot des plus pauvres et ces filles-là ont probablement connu bien pire.  Même si les règles sont sévères et les chambres vides, elles semblent heureuses. Elles peuvent étudier, dans de bonnes écoles, et elles en sont fières. Elles mangent à leur faim et sont en sécurité.

Les plus petites sont particulièrement joyeuses de notre visite. Quand j’ouvre les bras, elles se blottissent contre moi. Elle tournent autour de nous, pépiant comme des oiseaux colorés, se précipitent devant les objectifs, rient et se bousculent. Puis elles posent les habituelles questions : « Where do you come from ? » «What’s your name ? ».

La discussion entre les pontes se prolongeant, j’organise un jeu de la chandelle. Un grand cercle, puis assises par terre, les mains sur les yeux. One two three four five ! Un mouchoir en papier roulé en boule au creux d’une main, discrètement posé derrière une joueuse, puis la course dans la poussière, tout autour de la ronde.
Le soir tombe. Les fillettes s’amusent, moi aussi.

Plus tard, en les quittant, nous promettrons de revenir : next year, peut-être…

photos de Georgia, Vittoria, Fabio et moi

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