Proximité de l’inconnue

« Mais il n’y a pas assez dans votre porte-monnaie ! »
La voix, forte et aigüe me tire de l’indifférente torpeur de l’attente. C’est samedi après-midi et au Monoprix de la Place Garibaldi, nous sommes nombreux à patienter pour régler nos achats.
Soudain tous les regards convergent vers la caissière qui a ainsi parlé. Il se passe quelque chose. Les cous se tendent, les voix se font murmures.
« Il manque deux euros ! Vous n’avez pas de quoi payer ! »
Face à l’employée, une vieille dame, modestement vêtue, fixe sur son porte-monnaie un regard empli de larmes. Elle tremble.
Une rumeur indistincte parcourt les files d’attente : indignation, pitié ?
« Quand-même, dit une femme devant moi, parler comme ça à une personne âgée ! »
La caissière sent autour d’elle monter la réprobation. Elle tourne la tête dans tous les sens, cherche une aide, un appui. Elle fait son boulot après tout. Que peut-elle faire d’autre ?

Moi, je peux agir. Je plonge la main dans mon sac pour en extraire les  fameux deux euros. Je ne suis pas assez rapide. Un homme surgit d’une autre file,  tend à la caissière la somme manquante, repart aussitôt prendre sa place dans le rang.
« Merci Monsieur, merci Monsieur » balbutie la vielle dame entre deux sanglots.

Un ample soupir de satisfaction s’exhale des poitrines. Les conversations reprennent.
La voix de la caissière s’adoucit. Je suis trop loin pour comprendre ce qu’elle dit mais je devine qu’elle tente de consoler la vielle dame. Qui pleure encore, comme une fillette abandonnée. Alors la caissière se lève, plante-là les clients alignés, prend la dame par les épaules et la guide vers la chaise du vigile, qui lui, debout, se gratte le crâne d’un air perplexe. Elle la fait asseoir.
« Allez, vous vous asseyez là tranquillement, le temps de vous reprendre ! »
Puis elle retourne à son poste de travail. Reprend son rythme.

Un peu plus tard, en sortant du magasin, je passe devant la vieille dame. Son visage est apaisé mais ses mains tremblent encore. Elle répond à mon sourire d’un léger mouvement des lèvres, triste, tellement triste.

« La proximité de l’autre, origine de toute mise en question. » Emmanuel Levinas

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