Santya, victime, toujours victime

Inde :Vellanad, Kerala, le 24 février 2013

Santya vient nous rendre visite, son bébé de 5 mois dans les bras. Bien qu’elle s’efforce de sourire, on la devine triste.

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A la naissance des jumelles, Anurami et Abirami qui ont maintenant 5 ans, son mari a claqué la porte et s’en est allé. Le couple avait déjà une fille, Ancy, deux de plus, c’était trop pour lui.

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Trois filles, c’est presque une malédiction, ça signifie trois dots à payer et personne pour prendre soin des parents quand ils seront âgés, puisque, traditionnellement, c’est le plus jeune des fils qui hérite de la maison familiale et de la charge des parents. Plus exactement, c’est sa femme qui devra leur servir de bonne et de garde malade.
Ce premier mari, choisi par la famille lorsqu’elle avait dix-huit ans, s’étant envolé dans la nature, Santya, sans ressources, une jumelle dans chaque bras et sa fille aînée de 4 ans agrippée au pan de son sari, était venue à Namaste demander de l’aide.

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Dans un premier temps, elle a vécu dans la casa delle mamme, d’abord avec ses trois filles, puis sa mère, elle aussi en grande difficulté, l’a rejointe. Et les disputes ont commencé. A cette époque la casa delle mamme, loin de naviguer paisiblement comme aujourd’hui sur des eaux paisibles, traversait une zone de turbulences. Jalousies, cris, larmes, affrontements, alliances et tromperies. Tant et si bien que Rita, la sponsor italienne de Santya et nous, avons décidé qu’il était plus judicieux d’effectuer des travaux dans sa maison, en très mauvais état, afin qu’elle puisse y vivre avec ses filles et sa mère.

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Une fois le toit réparé et les murs refaits, Santya, toute contente, s’est installée dans son foyer avec sa petite famille.
Il s’en est suivi une période bien-être.
Elle a trouvé un travail, comme vendeuse à domicile d’une marque de produits de beauté, a envoyé valser les saris et porté des churidars colorés.

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De chacune de nos visites, nous sommes repartis ravis de ces changements, de la bonne santé des fillettes et du climat serein et joyeux qui régnait dans la maison.
Mais ô surprise, l’été dernier, nous avons appris que Santya s’était remariée et qu’elle était enceinte.
Qui était cet homme qui avait épousé la mère de trois fillettes ?
Un homme responsable et généreux ? Un amoureux fou ? Un profiteur sans le sou, installé comme un coucou dans un nid confortable ?
Nous l’avons rencontré chez Santya. Jeune, le visage fermé, silencieux, il n’attirait pas la sympathie. Son seul sourire fut dédié à l’appareil photo.
Sa présence emplissait la maison. Les fillettes m’ont paru méfiantes, moins joyeuses qu’auparavant.
J’ai noté un geste d’agacement du mari lorsque les jumelles ont fait un peu de bruit et aucune chaleur dans les relations.
La seule à naviguer sur un petit nuage était Santya, le ventre rebondi et la mine extatique.
C’était en Juillet.

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Aujourd’hui, drapée dans un sari de couleur terne, elle me tend un joli bébé qui se niche contre mon épaule.
C’est un garçon.
Nous lui demandons si tout va bien. Elle dodeline de la tête. Par l’intermédiaire de Taddeus, qui traduit, j’insiste.
Non, finalement ça ne va si bien que ça ! Après la naissance de son fils, le mari a décrété qu’il ne voulait plus vivre avec les filles de sa femme. Il a donc contraint Santya et le bébé à emménager avec lui chez ses parents, dans un autre village, distant d’une quinzaine de kilomètres. Evidemment, bien que travaillant comme maçon, il n’est pas question pour lui de participer financièrement à l’entretien des fillettes qui, confiées à leur grand-mère, n’ont désormais comme seule ressource que l’aide de Rita.
Et, pour couronner le tout, Santya, au bord de larmes, nous raconte que son mari boit et rentre souvent complètement ivre à la maison.

Ce mari-là, Santya l’a choisi seule. J’apprends plus tard qu’elle s’est disputée avec une tante qui avait voulu la mettre en garde.

Oui, tout le monde peut se tromper. Elle était amoureuse et l’amour, souvent, est illusoire.
C’est trop facile, c’est méprisant de dire d’elle « elle l’a bien cherché ! », « quelle idiote ! » ou « elle ne pouvait pas y penser avant ? »
Pour une Indienne, avoir un amant est très difficile. Il faut se cacher, déployer d’innombrables ruses, risquer, surtout quand on habite dans un village, la mise au ban de la société, le déshonneur pour la famille. Et puis, quand, où s’étreindre et faire l’amour ? En Inde l’intimité n’existe pas.
Tout mène au mariage, les femmes y sont condamnées. Les hommes aussi mais eux peuvent s’en échapper, se comporter comme des salopards sans pour autant être mal jugés. Les femmes, non.
Cet homme n’est pas un amoureux chevaleresque mais un abruti machiste, comme tant d’autres, probablement décidé depuis le début à abandonner les fillettes et peut-être même Santya si une quatrième fille était née.
C’est parce qu’elles sont continuellement victimes du patriarcat, que nous avons choisi d’aider les femmes.
Je pense que globalement quoique très lentement, leur situation évolue, tout au moins dans les classes moyennes, où les femmes, diplômées, peuvent, si elles en ont la force, accéder à l’indépendance. Le problème ne se situe pas au niveau de la loi, mais à celui, plus pernicieux, de la tradition.

Nous chercherons un moyen de plus aider la mère et les filles de Santya. Elle repart, peut-être un peu moins triste.
Je réalise après son départ que son histoire m’a tellement bouleversée, révoltée que j’ai oublié de la photographier avec son joli bébé. Je le regrette, elle aurait aimé avoir une photo de son fils.

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