Small Things Productions

Textes Photos Vidéos Route

La casa delle mamme

Depuis que nous voyageons régulièrement en Asie, nous éprouvons le désir de nous poser quelque part, de défaire les valises, de nous installer, quelques semaines ou quelques mois.
C’est il y a cinq ans, à Gili Air, petite île indonésienne au large de Lombok que le projet fut le plus près d’aboutir. Nous avions engagé des pourparlers en vue de l’achat d’un terrain, à deux pas de la plage, planté de cocotiers. Nous aurions pu y faire construire une petite maison en bois et palme. Et puis il nous a manqué quelque chose, le petit rien qui fait qu’on passe à l’acte.
Le même désir de propriété s’est manifesté à nouveau au gré de nos voyages, pourquoi pas un petit appartement à Bali, au Laos, ou une cabane en Thaïlande ?
Finalement cette année, épuisés de trimbaler nos valises de train en bus et d’hôtel en hôtel, nous avons décidé de mettre le projet à exécution en achetant ou en louant une maison au Kerala.
C’est à Vellanad, lors de notre séjour à Namaste qu’est né le projet définitif.
Acheter, c’est compliqué, louer c’est simple. Va pour la location.
Mais pourquoi laisser vide dix mois par an une belle maison entourée d’un jardin, alors que tant d’enfants vivent dans des cabanes insalubres ?
Namaste gère des maisons familiales, les enfants y sont placés durant toute l’année scolaire, les frais sont payés par des sponsors et ils rejoignent leurs familles pendant les vacances.
C’est bien, ils sont nourris, logés, soignés et fréquentent régulièrement l’école, mais seulement voilà, ils sont séparés de leurs familles.
Pire encore, à mon sens, il peut arriver qu’un seul enfant profite de l’aide de l’association alors que ses frères et sœurs n’en bénéficient pas.
C’est alors que nous avons eu l’idée de nous regrouper avec quelques amis de façon à héberger - dans cette belle maison que nous commencerons à louer début novembre - des femmes que leurs maris ont abandonnées et leurs enfants.
L’abandon de famille est un sport abondamment pratiqué dans le sud du Kerala (entre autre) par des hommes volages qui vont chercher ailleurs le moyen de ne plus subvenir aux besoins de leurs épouses et de leurs enfants.
Pour les femmes, souvent rejetées par les deux familles, car considérées incapables d’avoir su garder le mâle à la maison, la situation prend rapidement un tour dramatique. Le qu’en dira-t-on étant remarquablement bien organisé (comme partout d’ailleurs), le départ du mari entraîne vite des problèmes de logement et des difficultés pour trouver un travail, même humble.

Il fut aisé de trouver quatre mères en situation périlleuse. Elles occuperont une partie de la maison avec leurs 7 enfants (5 filles et deux garçons) âgés de 3 à 6 ans. Tous les frais de nourriture, scolarité et santé seront à notre charge et les mamans auront la possibilité de travailler dans la fabrique de cahiers que Namaste est en train de créer.

Nous sommes six couples, chacun s’acquittera de 35 euros par mois.

Mais, ne nous réjouissons pas trop tôt. Les premières difficultés affleurent. Il y a quelques jours, un homme s’est présenté à Namaste, pour, a-t-il dit, « nous éviter des désillusions », il a estimé de son devoir de nous informer que l’une des mamans ne méritait pas de telles attentions car « elle couche avec des hommes ».

Ne nous sentant point investis du rôle de contrôleurs de la moralité de ces dames, il est hors de question d’attacher foi à ce genre de déclarations.
Il n’empêche que ces femmes devront vivre ensemble en harmonie et qu’elles se connaissent à peine.
De plus il n’est pas question de les assister en les infantilisant. Il conviendra probablement d’élaborer en commun un « règlement » intérieur.
Nous avons demandé à Sasikala d’assumer le rôle de médiatrice afin d’aplanir les problèmes.

Je pense sincèrement que c’est un beau projet, réalisable, mais qu’il faut se garder de tout idéalisme naïf.
Il y aura des disputes.
Des discussions
Des désillusions.

Mais les enfants mangeront à leur faim, dormiront dans de belles chambres, seront soignés, éduqués, ils auront des jouets et un jardin pour s’ébattre.

Et nous et nos amis aurons une pièce à notre disposition, où s’installer de temps à autre, pour partager le quotidien de la « casa delle mamme », où laisser les valises, les vêtements, les livres, nos affaires, où nous pourrons créer un petit chez nous sous les tropiques.

Il subsiste néanmoins d’autres interrogations.
Pourquoi choisir d’aller porter secours à l’autre bout du monde, dans un pays qui est actuellement la douzième puissance économique mondiale et qui d’ici vingt ans pourrait bien être la troisième ou la deuxième ?
Quelle part de charité occidentale contient notre démarche ?
La charité n’est pas seulement chrétienne, elle est aussi et tout simplement amour du prochain et les religions, contrairement à ce qu’elles prétendent, n’ont pas d’exclusivité en la matière. Les difficultés insurmontables des femmes indiennes abandonnées nous les avons vues, nous sommes entrés dans les cabanes de palmes insalubres, nous avons entendu la respiration sifflante des enfants asthmatiques, et lu la détresse et la faim dans leurs yeux.
L’Inde sera un jour une grande puissance, mais avant que tous profitent du développement économique, il faudra du temps, beaucoup de temps.

Et pour finir, qui puis-je donc aider, en France ou en Italie avec 35 euros par mois ?
Une goutte d’eau, une misère.
Je peux signer des pétitions, écrire des lettres indignées, donner 20 centimes aux mendiants que je croise.

Et voter, juste, si d’aventure un candidat soucieux de soulager la misère française se présente.

Alors, « evviva la casa delle mamme ! »

Bologna, le 20 octobre 2006

Le site web: "la casa delle mamme"
Vidéo: Les enfants de Namaste - Photos: Namaste: Les Photos
Site Web : www.namaste-adozioni.org
   
Textes Photos Vidéos Route
Small Things Productions

Claudine Tissier & Fabio Campo