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Départ

Voilà les valises sont faites. Obsédés par le spectre du dépassement de poids, qui coûte fort cher, nous avons le plus possible chargé les bagages à main, dont la merveille acquise hier.
Et le temps s’étire.
Dernier dîner au restaurant du New Woodlands. Là, mon honnêteté me suggère de préciser que si la nourriture indienne est excellente, variée, bien cuisinée, et légère elle est aussi incroyablement épicée, incroyablement hot. Le feu dans la bouche, et ailleurs le lendemain. Deux mois, c’est fatigant !

Et même lorsque l’on spécifie au serveur « No hot please ! » et que celui-ci répond en riant « Yes, yes, no hot », ce qui arrive dans l’assiette emporte les papilles. Normal, il semblerait (lu chez les scientifiques) que le piment soit présent dans le liquide amniotique, les bébés indiens seraient donc, dès avant la naissance, accoutumés à sa saveur. Fabio, élevé à la pasta, et moi, nourrie à la soupe de légumes berrichonne, souffrons donc d’un sérieux handicap en la matière.
Tiens, ultime anecdote gastronomique :
Ce soir même, au restaurant de l’hôtel, nous voulions terminer notre repas par une petite salade de fruits, histoire de ramener nos palais à une température acceptable. Le serveur, serviable, nous a suggéré une variante indienne de ladite salade « Very good, very good ! » et piégés par son sourire nous avons obtempéré. Oh, certes la coupe en verre, piquée de deux cuillères, qu’il nous a apporté quelques instants plus tard contenait bien des fruits : mangues bananes, raisin et pommes coupés en dés et assaisonnés… avec du curry et du piment.
Et sous l’œil ravi de « Very good, very good ! », nous avons tout mangé, bravement, sans rien dire, la larme à l’œil. Pourquoi? Il voulait nous faire plaisir et c’était le dernier repas !

Nous somnolons en attendant l’heure fatidique. Doublement, triplement fatidique pour moi qui hais les voyages aériens.
Prendre l’avion me terrorise.
Je n’ai pas peur, j’ai simplement la conviction irrémédiable et absolue que je n’arriverai pas vivante à destination.
C’est lourd.
Mais, par miracle, l’envie de découvrir le monde a toujours été la plus forte. Pendant des années j’ai fait des voyages horribles : seize heures d’affilée l’œil grand ouvert, agrippée à l’accoudoir, les fesses serrées, à épier les bruits des moteurs le cœur palpitant, à guetter le moindre signe de panique sur les visages des hôtesses, épuisant.
Et puis j’ai trouvé la parade sous la forme de gouttes, bien chimiques, prescrites par mon médecin compatissant et qui transforment les vilaines molécules d’angoisse que secrète mon cerveau d’abord en bulles de rire puis en profond sommeil. Arrivée dans l’avion j’accentue le divin effet par un verre d’alcool fort ou une petite bouteille de Bordeaux, et je dors.
Pendant ce temps là le pauvre Fabio voyage tout seul. Nulle n’est parfaite !

L’aéroport est bondé. Et bien que notre avion ne décolle que dans trois heures il y a déjà, tout là bas, la queue au check in de British Airways. Et les contrôles commencent : des valises, des sacs, des billets, des passeports. Et encore et encore.
Au bout d’une heure de queue, le guichet de l’hôtesse de l’enregistrement quasiment à portée de main, une jeune fille en uniforme s’approche de nous pour nous signaler que nous n’avons droit qu’à un seul bagage de cabine par personne, et petit s’il vous plaît.
« Only one ???? »

Mais nous avons toujours voyagé avec deux bagages à main chacun ! Comme tout le monde. Suffit de regarder autour de nous. Tiens « cazzo ! », justement autour de nous les futurs passagers vident les petits sacs, et font quoi du surplus ? Ben rien, que peuvent-ils en faire ? Les valises sont sécurisées, interdit de les ouvrir.
Alors ils abandonnent le paquet de biscuits, le pullover supplémentaire, le pot de lentilles au masala.
A partir d’aujourd’hui, qu’on se le dise, par crainte des lentilles piégées, British Airways a pris des mesures de sécurité.
La demoiselle est inflexible, il ne reste qu’une solution : expédier la merveille de sac tout neuf dans la soute.
Dans la soute !!!
Tout neuf !!!
En plus, c’est sûr, on va dépasser les 46 kilos autorisés.
Résignés, il nous vient l’idée de protéger la merveille en la faisant envelopper dans un film plastique.
Erreur (voir la photo).

Et le temps passe, et on piétine, on attend, on ouvre le sac, on ferme le sac, on sort le passeport, on range le passeport, on ouvre le sac, le policier en sort un tampax et me l’agite sous le nez d’un air interrogateur, j’explique.
Les cosmétiques et les liquides sont interdits dans l’avion.
Privés de dentifrice.
Je sauve mes gouttes en expliquant, preuve en main qu’il s’agit d’un médicament.
Et ça continue.
Fouille corporelle, deux fois.
Et à ce moment là, je me dis que les terroristes ont gagné. Ils ont semé la peur, la paranoïa.
Et encore, nous avons la chance d’être deux occidentaux, blancs et quinquagénaires, qui de toute évidence rentrent de vacances.
Je n’ose imaginer comment sont traités, dans les grands aéroports occidentaux, les non-blancs, non occidentaux, non-chrétiens.

Nous sommes entrés dans l’ère de la peur.
Pendant deux mois nous l’avions oubliée.

India, le 29 aout 2006

   
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Claudine Tissier & Fabio Campo