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Freedom and Money

Le restaurant où travaille le père de Johny est dans un jardin, nous prenons place sous une version indienne de la tonnelle, plantes mal coupées, montants rouillés, en compagnie des deux garçons. Une petite brise légère rafraîchit l’atmosphère, les tables sont espacées et des enfants s’amusent dans le coin aménagé à leur intention.
L’endroit est franchement agréable, ce qui est très rare. La plupart des restaurants d’un certain standing, je ne parle pas des gargotes, sont situés dans des sous-sols d’immeubles - lorsqu’ils sont à l’étage les fenêtres sont consciencieusement cachées par des rideaux ce qui revient au même. Ils sont sombres, à part des petits néons ici et là qui donnent à nos visages pâles de western people des mines blafardes et des traits tirés (le teint de peau indien résiste par contre parfaitement bien à l’assaut) et on s’y gèle car la clim est toujours poussée à fond. On ne voit ni ce qu’on mange ni l’état de propreté (ou de saleté) des lieux et on se dépêche d’en finir de peur d’attraper, en plus d’une gastro, une pneumonie due à la différence de température entre l’extérieur étouffant et l’intérieur glaçant.
Rien de tel au Raja, la nourriture est bonne, le papa de Johny s’affaire autour de notre table et je demande aux deux garçons ce qui est important pour eux :

« Freedom ! » me répond Johny qui m’explique que sa vie est trop encadrée, il adore ses parents mais parfois ils lui pèsent un peu, il aimerait vivre au grand jour son histoire avec Priya, avoir aussi plus d’intimité avec elle, il se sent coincé par les traditions et la religion, il veut mener sa vie comme il l’entend, se marier, avoir une maison et voyager, c’est pour ça qu’il étudie et qu’il s’entraine tous les jours pour devenir champion d’Inde de tir.
« Money ! » dit Taoufik, il veut être riche pour assurer le bien être de ses parents, pour vivre confortablement avec eux et la jeune épouse qu’ils lui choisiront. Il n’aspire pas à la liberté mais à la fortune.
Nous parlons ensuite des récents attentats de Mumbai. Tous les deux les désapprouvent, ils estiment qu’ils sont destinés à abattre le gouvernement. Nous leur demandons s’il y a des tensions communautaires à Trichy, ils répondent que non, eux-mêmes ont des amis hindous et Priya est catholique.

Johny

Taoufik

Leurs discours sont intelligents et clairs. Johny parle de solidarité envers les plus faibles et les pauvres. Ils ont confiance dans l’avenir. Ils sont l’Inde de demain.

A la fin du repas le propriétaire vient nous saluer, il nous demande de signer le livre d’or et nous offre des fruits et des pâtisseries. A vue d’œil c’est un musulman convaincu portant la barbe et la tunique longue. Lorsque Fabio lui propose de s’asseoir à côté de moi pour prendre une photo il hésite avant de se poser en équilibre sur la chaise, le plus loin possible de ma personne. A peine le cliché effectué il retourne bien vite de l’autre côté de la table et félicite chaudement Fabio pour sa victoire à la World Cup.
Au moment de partir je lui tends bêtement la main pour le saluer mais il se contente d’agiter la sienne dans ma direction en regardant ailleurs, j’entends les deux garçons rigoler dans mon dos et j’espère qu’ils n’auront jamais à souffrir de l’intolérance religieuse.

India, le 21 juillet 2006

Le propriétaire du Raja

   
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Claudine Tissier & Fabio Campo