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L’Islam, vous avez dit l’Islam ?

Un an après nous retournons au Jamal Mohamed College. Comme son nom l’indique c’est un College privé musulman. Les garçons y étudient le matin, les filles l’après-midi et entre eux aucun contact n’est permis.
Les étudiants sont majoritairement de confession musulmane (70%) mais il y a aussi des hindous et des catholiques car l’établissement jouit d’une excellente réputation. Le coût de l’enseignement pour une année est d’environ 12 000 roupies, soit 200 euros, ce qui correspond presque au salaire mensuel d’un professeur. Autant dire que les familles qui choisissent le JMC, sont soit à l’aise financièrement, soit prêtes à un certain nombre de sacrifices pour assurer l’avenir de leurs enfants. C’est le cas des parents de Johny et de Taoufik et probablement de la majorité des élèves. L’ambiance est studieuse et les professeurs tous très stricts et très sérieux. Enfin, presque tous, un hurluberlu résiste : l’inénarrable Mohammed, poète à ses heures, amoureux de la France et qui, le soir venu, adore discuter avec des touristes de rencontre devant un mouton masala ou quelques bières.
Il passe ses semaines à Trichy dans un foyer et ses week-ends à Madurai où sa famille a une agence de voyage et où sa femme élève leur fils.
Le matin au JMC il n’y a donc que des hommes. Tous les élèves que nous croisons nous dévisagent avec curiosité et nous sourient ce n’est pas le cas des enseignants de la salle des profs qui ne lèvent pas le nez de leurs journaux à notre arrivée.
Finalement Mohammed nous rejoint et nous emmène rendre visite au chef du département histoire, qui lui, look d’imam : barbe en éventail aux pointes irrégulières, longue tunique sous laquelle pointe un ventre rond, calotte au crochet blanc, se montre chaleureux.

Mohammed et Fabio

Il trône derrière son bureau, la Tour Eiffel à droite, la Tour de Pise à gauche, nous offre le thé et des biscuits et nous présente deux autres professeurs.
Nous discutons un peu un anglais, de la World Cup, (regards admiratifs vers Fabio), de ce que nous pensons de l’Inde et du fait que nous soyons nous aussi enseignants.
Puis Mohammed entraîne Fabio je ne sais où pour fumer, ce qui est sans nul doute interdit mais notre ami se plaît à transgresser les règlements.
C’est le moment que choisissent le charmant « look d’imam » et ses acolytes pour me demander ce que je pense de l’Islam. Bonne question ! Chez moi, tranquillement assise sur mon canapé, je pourrais disserter deux heures sur le sujet. Mais en cet instant précis, un gobelet de thé brûlant dans une main - le lait a formé à la superficie un peau que je déteste et dont je me demande comment je vais me débarrasser - un biscuit farineux dans l’autre, les fesses collées à la chaise car la température de la pièce avoisine les 40 degrés et trois éminents professeurs religieux convaincus me fixant en attendant que je veuille bien répondre en anglais à la question, c’est le vide total. Le seule réponse qui me vienne à l’esprit est un impossible :« Nothing ». Je me concentre désespérément sur l’argument. Look d’Imam, pensant probablement que je n’ai pas compris sa question, la répète aimablement et les professeurs balancent gentiment la tête pour m’encourager.
L’honneur des femmes occidentales étant en jeu, nous ne sommes pas des gourdes, quand même, nous avons des choses à dire, je décide imprudemment de me fier à mon sens de l’inspiration et j’attaque : « It’s a religion… » (bravo ma fille, une trouvaille !). Je me lance ensuite dans une longue phrase ombiliquée et certainement incompréhensible dans laquelle je tente d’expliquer que pour moi toutes les religions se valent et que l’important est d’en avoir une (lâche et hypocrite en plus !), mais que parfois, en tant que femme, j’ai du mal à comprendre que… Mohammed, de retour parmi nous, me sauve heureusement d’un désastre annoncé en claironnant son désir de faire une série de photo du groupe. Sa proposition est accueillie avec enthousiasme et on oublie immédiatement la discussion. Ouf !

Escortés par Johny et Taoufik nous nous rendons ensuite dans une salle de classe pour retrouver des étudiants que nous avions connus l’année dernière. Ils sont ravis de nous revoir.
Je leur pose des questions en français pour les faire parler, mais leur niveau est très faible et Mohammed doit tout traduire en anglais, à voix très forte car les élèves, qui visiblement l’aiment beaucoup, sont plutôt indisciplinés.
Il ressort de mon petit sondage que la valeur prioritaire de ces jeunes gens est la famille, la religion et les études venant loin derrière. Par contre plusieurs d’entre eux s’intéressent aux filles – normal ils ont 19 ans - et quelques uns disent avoir une « girlfriend ».
Ont-ils un héros personnel ? « Shah Rukh Khan ! » s’écrie à mon attention, un petit moustachu au premier rang, tout content de me montrer qu’il se souvient que l’année dernière je leur ai chanté les louanges de ce célébrissime acteur. Les autres aiment aussi des vedettes de cinéma ou des chanteurs indiens, aucun occidental dans leurs choix. Je leur parle de Gandhi, ils me regardent avec des yeux ronds « Sonia ? » demande l’un. « Non le Mahatma ! » précise Mohammed. Silence dans les rangs. Le petit homme au rouet paraît bien oublié, perdu dans l’histoire de leur pays. L’Inde qui se dessine aujourd’hui l’a relégué au rang de statue, incontournable mais vide de sens.

Leçon de français

Le soir nous dînons une dernière fois avec Mohammed, Johny et Taoufik. Tout en nous expliquant que sa femme porte la burqua parce que les traditions le veulent et que Madurai est une petite ville (1 200 000 habitants quand même) l’éminent professeur s’envoie deux litres de bière (rigoureusement interdite par le Coran) et fume en cachette en tenant sa cigarette sous la table. Puis il nous parle du récent voyage qu’il vient d’effectuer à Paris en compagnie d’un ami pour chercher à faire publier l’autobiographie du président de l’Inde qu’il vient de traduire. Je lui demande si quelque chose l’a choqué, il me répond sans hésiter « Oui , Pigalle, là où j’avais mon hôtel ! ». A Paris, il a aussi rencontré l'écrivain Jean Claude Carrière, auteur du "Dictionnaire amoureux de l'Inde" et il nous narre la rencontre avec respect et émotion.

Et si son fils tombe amoureux d’une jeune fille d’une autre confession ? « C’est ma femme qui décidera, c’est elle qui l’élève, elle le connaît mieux que moi ! » répond-il paisiblement.
Décidément pompette il se met ensuite à raconter aux deux garçons éberlués ses flirts sur le web avec des étrangères poètes rencontrées par des amis d’amis d’amis passés un jour à Trichy ou à Madurai.

Pour nous il se fait tard. Nous saluons la compagnie en promettant de s’écrire et de revenir l’année prochaine.

Le lendemain matin Johny et Taoufik sonnent à notre porte, ils sont venus nous dire un dernier au revoir et nous aider à porter les valises.

Nous leur souhaitons sincèrement bonne chance et réussite puis le taxi nous emporte vers une nouvelle destination : Coimbatore.

India, le 22 juillet 2006

Mohammed et ses élèves

Plus de photos: Jamal Mohamed College
   
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Claudine Tissier & Fabio Campo