Small Things Productions

Textes Photos Vidéos Route

C’est vrai que c’est une belle journée

Le 26 décembre 2004, sur la plage de Velanganni, plus de 2000 personnes sont mortes, emportées par les flots rageurs du tsunami. Ils étaient des pèlerins venus fêter Noël dans la basilique de Notre-Dame-de-la-Santé.

Des centaines de boutiques ont été détruites et les bateaux des pêcheurs ont été réduits en planches, mais la basilique néo gothique, d’un blanc immaculé, est restée intacte, miraculeusement, me précise Pandjanadane, dans le taxi que nous avons loué pour nous rendre dans le lieu saint.
Jayanthi et Subramanian nous accompagnent, elle a pris sa journée et lui sa semaine, pour être avec nous.
Pandjanadane m’explique la teneur du miracle : Dieu a sauvé sa maison, depuis elle n’en est que plus sacrée et les pèlerins, déjà nombreux avant se sont multipliés comme des petits pains. Ils sont chrétiens bien sûr, mais aussi hindous, musulmans, parsis ou Dieu sait quoi encore, mais ils ont tous en commun la dévotion.
Je me retiens de faire remarquer qu’un Dieu qui préfèrerait épargner sa maison que ses visiteurs innocents serait un fieffé égoïste, un criminel passible de non assistance à personne à danger. Je dis « serait », car pour moi il n’existe point de dieux ni en ce bas monde, ni dans les cieux. Mais je ne vais certes pas débattre des vertus de l’athéisme avec de charmants brahmanes convaincus qui ont l’extrême gentillesse de nous héberger, de nous promener, de nous nourrir et de supporter nos caprices.

Après plusieurs kilomètres d’une étendue désertique ravagée par le tsunami, la basilique émerge enfin de la chaleur poussiéreuse. Enorme, dentelée, si blanche qu’elle aveugle. Elle est entourée d’hôtels de diverses catégories, du sordide au presque luxueux, des habituelles cahutes vendant des souvenirs plus ou moins chrétiens, et de petits restaurants.
Nos amis et nous (qui nous n’avons pas le courage de refuser) achetons des bougies et des guirlandes de fleurs en jasmin absolument identiques à celles des cérémonies hindoues. Puis nous pénétrons dans la basilique, eux s’agenouillent dévotement et se mettent à prier, nous, qui sommes supposés catholiques, restons debout le regard vague et la mine inspirée. A côté de moi une jeune femme a les larmes aux yeux, je pense à ces 2000 fidèles, venus en famille sur la plage jouer dans l’onde le 26 décembre 2004, à ces 2000 vie qu’une seule information aurait pu épargner : « N’allez pas à la plage, il y a eu un tremblement de terre sous marin avec risque de tsunami au large de Sumatra, réfugiez vous dans la basilique, grimpez sur les toits des maisons, sauvez vous !!! ». Mais ce matin là les radios, les télés et les téléphones portables sont restés muets et la mort en a profité.
Nous poursuivons la visite, nous offrons nos guirlandes à un employé qui les accroche à un bras de Marie et nous allumons nos cierges.
Avant de sortir un autre employé dépose dans les mains de visiteurs des pétales de fleurs, récupérés sur les guirlandes, faut dire qu’il y en tellement, c’est bien le moins qu’ils puissent faire ! Il faut croire que ma mécréance ne se lit pas sur mon visage, car voilà que le chef se précipite sur moi, me gratifie d’un immense sourire, que je lui rends bien volontiers et dépose dans mes mains une énorme guirlande, pour moi toute seule, les fidèles me regardent avec admiration et Pandjanadane se rengorge. J’alterne sourires et hochements de tête et Fabio rit sous cape.
Nous sortons enfin de la basilique, moi avec ma guirlande dont je ne sais pas quoi faire (finalement je l’accroche à mon sac) pour marcher vers la plage.

Comme souvenir de cette inoubliable journée Pandjanadane nous offre un autocollant représentant la Vierge et son fils, en nous précisant (il a tout compris Pandjanadane) que « l’image du Jésus enclouté est très signifiante ».
Ne voulant être de reste nous leur offrons des petits cadres d’un mauvais goût très sûr : la Madone et l’enfant, dorés, entourés d’ampoules électriques alternativement rouges et bleues.
Sur la plage les fidèles sautent tout habillés dans les vagues, les enfants mangent des glaces, nous buvons un jus de mangue glacé, il fait très chaud, nos amis sont ravis, nous aussi.
C’est vrai que c’est une belle journée.

(... à suivre)

India, le 6 juillet 2006

Plus de photos: Chez Pandjanadane
   
Textes Photos Vidéos Route
Small Things Productions

Claudine Tissier & Fabio Campo