Sous le signe de la méduse

Ils avaient beaucoup bu ce soir là, surtout elle, pour oublier le regard sombre qui la fixait.
Brillante, à la fois forte et légère, elle avait amusé la tablée de ses saillies ironiques. Elle narguait l’œil noir de l’homme.
Son mari.
Le père de ses enfants.
Son ennemi.

Elle percevait la colère qui montait en lui, irrésistiblement, comme le lait qui bout dans la casserole. Mais l’alcool qui avait réveillé son goût du défi lui avait aussi offert un grisant et illusoire sentiment d’invincibilité. Ce soir, elle ne se tairait pas, elle rirait à gorge déployée, elle ne serait pas l’ombre docile de l’homme. Peu lui  importait alors les insultes, les coups qu’il lui infligerait, plus tard, dans la dangereuse intimité de leur appartement.
Elle avait tellement envie d’oublier la peur, de faire comme si son foyer n’était pas le lieu des pires dangers.
Personne, pas même ses plus proches amis, ne savait, ni même imaginait, l’enfer qu’elle vivait. Il lui était impossible d’en parler, elle n’y arrivait pas. Les mots se coinçaient dans sa gorge. Elle était murée dans son propre silence. Enfermée dans l’apparence trompeuse d’un couple heureux.

C’est elle qui a suggéré d’aller prendre un bain de minuit. En Juillet la mer est si belle.
Ils se sont entassés dans des voitures.
Elle a couru vers les vagues, parsemant ses vêtements sur le sable.
Puis s’est enfoncée dans l’eau tiède argentée.
Joyeuse, elle a nagé vers le large. Au loin, sur la plage, les autres se déshabillaient pour la rejoindre. Elle les a hélés. Puis elle s’est allongée sur l’eau pour se laisser flotter, souriant à la lune.

Tout à coup, émergeant des flots, rapide et silencieux, il fut à ses côtés, campé sur ses longues jambes et un vilain sourire sur sa face.
Elle se redressa vivement mais le sol était trop loin pour qu’elle puisse y poser les pieds.
Un nuage voila la lune ; l’obscurité se fit profonde. Alors il posa sa large main sur son crâne.
Et appuya, fortement.
Elle avait toujours eu peur de l’eau, peur de se noyer. Il le savait.
Elle s’enfonçait, paralysée par la panique. L’eau s’engouffrait dans son nez, dans sa bouche. Elle battit désespérément les jambes, pensa à ses enfants.
Puis, comme une fulgurance « Je vais mourir, déjà ! »
C’était si facile, ils étaient loin des regards, à peine sortis de table, on parlerait d’hydrocution, il jouerait le veuf éploré.

Mais soudain l’homme poussa un cri de douleur et la main abandonna sa besogne meurtrière.
Haletante, elle émergea de l’onde sombre et s’enfuit hors de portée. Elle ne craignait plus rien. Une méduse, enroulant un long filament autour du bras de l’assaillant, venait de lui sauver la vie.

Je n’ai pas imaginé cette histoire.

Samedi 22 novembre, à Rome, 50.000 femmes (malheureusement beaucoup moins que l’année dernière) ont défilé pour protester contre les violences dont elles sont victimes.

Étudiantes, travailleuses ou femmes au foyer, italiennes et étrangères, elles se sont rassemblées derrière des banderoles proclamant “La violence contre les femmes a de multiples visages” et des images du pape, du chef du gouvernement Silvio Berlusconi et de plusieurs de ses ministres, tous suppôts du patriarcat.
Selon des statistiques rendues publiques lors de la manifestation, en Italie, tous les trois jours, une femme succombe sous les coups d’un homme. En 2007, 126 femmes ont été tuées, dont 44 par leurs propres maris.

En France, il y a quelques jours, l’Assemblée Nationale a marqué une minute de silence en hommage à l’un de ses pairs qui s’était suicidé après avoir assassiné sa compagne.


“Ta gueule…t’as compris…ta gueule!” de Nole

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