Tentacule mafieux, incident non anodin

Jeudi dernier Martina, une camarade de classe de ma fille, est arrivée en retard au lycée.
Au volant de sa voiture et mal réveillée elle n’avait pas cédé le passage à un gros véhicule flambant neuf, un de ces 4×4 dévoreur d’énergie qui encombrent les rues des villes. Ignorant les gesticulations du conducteur elle avait continué tranquillement sa route. Hélas, quelques mètres plus loin, bloquée par un feu rouge intempestif, elle avait vu le véhicule s’immobiliser à ses côtés et le conducteur, un costaud mal rasé se précipiter vers elle la mine menaçante.
A peine avait-elle eu le temps de réaliser ce qui se passait que le malabar en furie avait déjà cassé un phare et cabossé le capot d’un pied impétueux. Suite à quoi, tout en continuant à marteler du poing la carrosserie, il avait hurlé à son intention une bordée d’injures, avant de grimper dans son 4×4, de claquer la porte et de démarrer en trombe.
Effrayée, abasourdie mais lucide Martina avait eu le réflexe immédiat de noter le numéro d’immatriculation de la voiture. Suite à quoi elle s’était rendue illico presto chez les carabiniers pour porter plainte.
Sûre de son bon droit, comme de juste.

Le lendemain un appel de la caserne lui a demandé de bien vouloir passer dans l’après-midi car on voulait s’entretenir avec elle au sujet de l’incident.
Et là, éberluée, elle a entendu un carabinier, un peu mal à l’aise quand même, lui expliquer très sérieusement que les recherches sur l’identité du propriétaire de la voiture avait abouti et que, il en était vraiment désolé, celle-ci appartenant à un mafioso connu et redoutable, il lui conseillait, vivement, de retirer sa plainte, car non seulement on ne pouvait pas y donner suite mais que de surcroît il valait mieux de pas attirer une seconde fois sur elle l’attention de ce personnage.

Cet incident non anodin s’est passé il y a quelques jours à Bologne, une ville qui jusqu’à présent avait la réputation d’être « propre ».

La mafia étend désormais impunément ses tentacules sur tout le territoire italien.
Plus précisément il s’agit de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise qui est actuellement en train de surpasser la Cosa Nostra (mafia sicilienne) et la Camorra (mafia napolitaine) dans le sordide domaine de la criminalité organisée.

“La vérité est que l’on connaît très mal la ‘Ndrangheta. Des trois grandes sociétés criminelles du Sud de l’Italie, elle est la seule qui confonde délibérément la famille biologique et la famille criminelle. Pas “d’étrangers” dans le clan, ce qui rend ce dernier quasiment impénétrable pour qui vient de l’extérieur. Une organisation décentralisée, sans véritable organe décisionnaire central, dont les clans sont par ailleurs très soudés : Il n’y a jamais eu de repentis célèbres au sein de la ‘Ndrangheta, contrairement à ce qui se passe pour la Mafia et la Camorra”, écrit Xavier Raufer, spécialiste de la mafia.

La ‘Ndrangheta que Xavier Raufer définit comme “très cruelle et très sauvage”, s’est longtemps spécialisée dans les enlèvements avant d’étendre d’abord ses activités aux trafics de cigarettes, de véhicules volés, de métaux recyclés et de cocaïne, détenant « un quasi monopole du trafic transcontinental de cocaïne et ayant même des ambassadeurs en Colombie.”
Avec ses 112 clans disséminés en Calabre, soit environ 7000 affiliés (on estime qu’un habitant de la région sur 345 fait partie d’un clan, et que 27 % de la population est plus ou moins complice) et réalisant un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros, alors que le PIB régional de l’économie licite n’est que de 29 milliards d’euros la ‘Ndrangheta est devenue une véritable et incontournable puissance.
Forte de quoi elle se livre aujourd’hui sans retenue au racket d’entreprise, taxant les entrepreneurs jusqu’à la faillite et à la captation des fonds publics, particulièrement la subvention européennes pour l’agriculture.
« En Calabre, la collusion entre monde politique et ’Ndrangheta est la règle, affirme le magistrat calabrais Vincenzo Macri. La région a échappé au contrôle de l’Etat. Les mafieux sont partout : depuis les guetteurs qui surveillent les champs jusqu’aux administrateurs qui gèrent les appels publics. »
Au cours des dernières années, trente-cinq Conseils communaux ont été dissous pour « infiltrations mafieuses ».
En cas de non coopération la ’Ndrangheta tue sans état d’âme pour se débarrasser des récalcitrants ou des gêneurs et terroriser ceux qui, dans les institutions, refusent de collaborer avec elle.
A la suite de l’émigration massive des calabrais, due à la pauvreté, au cours des années 70 et 80, des cellules mafieuses se sont progressivement implantées en Italie du nord, puis dans d’autres pays, notamment l’Allemagne et le sud de la France.

Bref, la racaille, la vraie, celle qui va à l’église le dimanche et assassine les pères devant leurs enfants, pour l’exemple.
Le pouvoir mâle dans toute son horreur, toute sa perversion qui revendique en les détournant deux concepts d’un autre temps « héroïsme et vertu ». (’Ndrangheta en grec)

Au fur à mesure que la pieuvre étend ses tentacules la démocratie recule. Coincée par une église plus envahissante que jamais, gangrénée par la mafia, exploitée par les possédants, trahie par les gouvernements successifs, la société italienne étouffe, courbe l’échine, et souffre.

L’histoire de Martina, qui a retiré sa plainte, est un des multiples signes du disfonctionnement de l’Italie, un pays en déperdition que seul un électrochoc politique, malheureusement peu probable, pourrait remettre à flots.

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