Sujitha, la fille à la tache en forme d’étoile

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Sur la tempe, juste au-dessus de l’extrémité de mon sourcil gauche, j’ai depuis ma naissance une tache sombre, presque noire. Elle a la forme d’une étoile, ou d’une araignée disent les médisants. C’est à cause d’elle, malgré ma peau claire et mon instruction, que me trouver un époux n’a pas été chose aisée. Les mères craignaient que cette tache ne soit de mauvais augure, qu’elle ne soit la marque de quelque démon qui risquait de s’infiltrer dans le corps de leurs fils pour les conduire à la déchéance. Comme s’ils n’étaient pas capables de s’y mener tous seuls, ces hommes qui se gorgent d’alcool le soir venu, qui délaissent leurs femmes et leurs enfants, qui se brûlent le gosier et détruisent leur dignité.

Mon mari ne boit pas, c’est bien sa seule qualité.

Peu lui importe ma tache, il ne me regarde jamais. Il ne m’a pas choisie pour ma beauté mais pour ma dot et mon métier. Je suis professeur. Je travaille pour le gouvernement ce qui m’assure un salaire confortable et le droit à la retraite. Mon père, en homme prévoyant, a tout fait pour m’aider à avoir cette place. Il a versé des pots de vin et flatté des fonctionnaires. Moi, j’ai étudié.

Quand mon mari est venu pour la première fois chez nous, accompagné de sa mère, il ne m’a pas déplu. J’ai vu un homme petit et mince, avec une fine moustache bien taillée, des cheveux soigneusement plaqués, une voix douce et des manières raffinées. Son mundu immaculé moulait ses hanches étroites et un stylo doré brillait à la poche de sa chemise.

J’avais déjà 27 ans, mes chances de trouver un bon parti s’amenuisaient au fil des ans, aussi je prêtai peu d’attention à sa mère, une grosse dame volubile. J’ai eu tort. Par crainte du célibat, par crainte des commentaires désobligeants que n’auraient pas manqué de répandre les commères de la paroisse et qui auraient entaché la réputation de la famille, à cause de la tache sur mon front, à cause de la tradition, et parce que je voulais être pour mon père une fille obéissante et respectueuse, j’ai rapidement accepté ce mariage.

N’ayant pas gratté sous l’écorce pour dénuder le bois, je n’ai pu voir qu’il était gâté, qu’il s’effritait et n’avait point de sève, mais de la bile amère.

pour la suite: Editions Filaplömb

Sujitha, mon livre

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