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30.07.2007

Les gens de Pondy : Jean-Michel

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Lorsque Jean-Michel  nous reçoit dans son atelier, où il bichonne amoureusement une superbe collection de motos anciennes unique en Inde du sud, il nous raconte quelques bribes de sa vie.
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Sa passion de la moto date des années passées dans les rangs de l’armée française. Comme beaucoup d’hommes Franco-Pondicherriens, à 20 ans, il s’est engagé pour défendre une mère patrie qu’il ne connaissait pas et dont il parlait mal la langue, apprise sur les bancs de l’école, mais jamais utilisée.
Quand je lui demande pourquoi il avait fait ce choix, il me répond que c’était un parcours évident, inévitable.
« On a été élevés dans l’idée de ce départ, tout nous y a poussés, nos parents, la pression sociale, les Tamouls aussi, qui nous disaient : toi t’as de la chance, tu es Français, nous on ne pourra jamais partir, si tu n’y vas pas, c’est que tu es paresseux. »
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A peine arrivé en France, il est expédié dans une glaciale garnison allemande. Outre le froid mordant, qu’il supporte mal, il est déstabilisé par son imparfaite connaissance de la langue.
« Va prendre ton flingue ! » lui ordonne-t-on. Et lui se demande : « C’est quoi un flingue ? Un fusil ? ».
Sa carrière achevée (au sein de l’armée elle est brève), Jean-Michel est revenu vivre à Pondy, pour être près de son père et par attachement à sa ville natale. Il a acheté une jolie maison et se livre à son aise à la passion de la mécanique. La journée finie, il s’installe dans les bars branchés de la ville blanche où sa belle prestance lui assure un certain succès auprès des belles étrangères nordiques (ou non).
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Plus tard il nous accompagne chez son père, un vieux monsieur, héros militaire, qui répond au nom de Byron (et oui, comme le fameux lord).
La famille de Byron a pris la nationalité française en 1882, c’est donc une famille de «renonçants », probablement très modeste car l’être humain est ainsi fait qu’il lui est plus facile de se passer du droit à avoir des privilèges quand il n’en a pas que lorsqu’il en a.
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Toujours est-il qu’en 1947, le jeune Byron, âgé de 19 ans et qui vivotait en travaillant comme mitron (être français dans ces années là à Pondicherry n’assurait nullement la richesse) s’est engagé sous les drapeaux pour défendre les intérêts coloniaux hexagonaux en Indochine, plus précisément au sud Vietnam.
Ayant peu fréquenté l’école, sa connaissance du français se résumait alors à quelques mots prononcés avec un tel accent tamoul qu’ils en étaient incompréhensibles. Mais, nous dit-il, ce ne fut pas un problème, dans son régiment du Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient, seuls les gradés venaient de la métropole, les autres, mélange d’africains, d’asiatiques et de malgaches, ne parlaient pas plus la langue de Molière que lui et quand le chef (désolée mais je m’embrouille dans les grades) voulait ordonner d’ouvrir le feu, il mimait en faisant « taca-taca-taca-tac ».
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Il se souvient des attaques, des tirs, des copains morts, blessés, amputés.
Il se souvient aussi de ces familles vietnamiennes qu’il a sauvées, simplement, juste en criant à son chef « Ici, y a personne ! » alors qu’il voyait des malheureux, tremblant d’effroi, se terrer dans un abri.
Le 9 mai 1952, cinq ans déjà qu’il crapahute dans les jungles indochinoises, il est en première ligne lors d’une attaque contre les soldats de la ligue pour l’indépendance du Viêtnam. L’air âcre pique les yeux, la chaleur est intenable, même pour l’enfant de Pondicherry, les hommes sont épuisés, en face l’ennemi, increvable, acharné (il se bat pour sa propre liberté), attend son heure pour fondre sur les rangs français. Au signal du gradé les soldats tricolores de la deuxième ligne lancent les grenades sur la ligne des viets, l’un d’entre eux rate son coup, et le projectile explose sur la première ligne. Byron se souvient d’un éclair éblouissant et d’une énorme claque assénée sur sa tête, si forte qu’il s’écroule sur le sol, au milieu des ténèbres qui, désormais, seront siennes, pour toujours.
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Un liquide chaud se répand sur son visage, il vient de ses yeux.
Revenu à lui, il appelle ses compagnons, nul ne répond et il comprend alors ce que ses yeux aveugles ne peuvent voir. Il est le seul survivant, et les larmes se mêlent au sang, ces mêmes larmes, qui, maintenant coulent doucement devant nous.
Si les opposants l’attrapent, il sera torturé, affamé, tué à petit feu pendant des jours, les soldats ont plus peur d’eux que de la mort.
Alors, à tâtons, il sort une grenade de sa ceinture, la tient contre son ventre, sa main prête à tirer la goupille.
Mais l’ennemi, dérouté par cette attaque, pourtant en partie ratée, a pris la fuite, et ce ne sont pas les hommes du Viêt Minh qui arrivent à travers les hautes herbes, mais la deuxième ligne du Corps Expéditionnaire.
Byron est sauvé, vivant, mais aveugle. Il a 23 ans.
Il est hospitalisé sur place, puis, quelques jours plus tard un avion doit l’emmener dans un autre hôpital, à Paris. Les copains lui font la fête, et il est prêt à embarquer quand arrive un contre ordre, un soldat plus gravement blessé est prioritaire, lui, ne partira que la semaine suivante.
Et le vieux Byron se met à rire « J’ai eu de la chance, l’avion s’est écrasé ! »
La vie joue de ces tours parfois !

Il est rentré au pays, il a été décoré, fêté, honoré.
Il s’est marié et à eu une ribambelle d’enfants qu’il n’a jamais pu voir.
Alors la guerre, il ne veut plus en entendre parler, jamais, nulle part.
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28.07.2007

Pondicherry, les gens

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Nous n’avions jusque là effectué que de courts séjours touristiques à Pondicherry, mais cette fois, grâce au tournage du documentaire, nous pénétrons peu à peu dans les entrailles de la ville. De jour en jour notre perception se modifie.medium_plan-pondichery.3.jpg
Si la séparation, marquée par un canal nauséabond, entre la ville blanche (ex quartier français qui doit son nom tant à la couleur de la peau de ces anciens occupants, qu’à celle des façades des demeures coloniales) et la ville indienne (dite ville noire), est évidente, d’autres caractéristiques locales sont plus longues à se dévoiler.
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Peter, enfant de la ville, né d’un père tamoul (les Français qui excellent dans l’art de changer les noms des autres disent tamil) et d’une mère sri lankaise (tamoul elle aussi) dont les parents, riches propriétaires terriens, ont fui leur pays au début du conflit indépendantiste pour se réfugier dans les montagnes du Tamil Nadu avant de rejoindre Pondicherry où elle s’est mariée, nous guide dans les méandres de la société Pondicherrienne. Etant d’un naturel ouvert, chaleureux et entreprenant (voire même agité) le nombre des relations de Peter est impressionnant, et, empêtrée dans une avalanche d’informations j’ai un peu de mal à en écrire une synthèse qui soit fidèle à la réalité, bien que personnelle.
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La population de la ville est scindée en plusieurs communautés et les rapports entre leurs membres respectifs sont, depuis plusieurs années, entrés dans un important processus de changement.
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Lorsqu’en 1956 la France a cédé à l’Inde les ultimes vestiges de la présence coloniale, les quelques habitants des territoires qui étaient venus de la métropole ont plié bagages illico presto.
Le traité de cession accordait aux autres Pondicherriens (les tamouls) la possibilité de choisir leur nationalité. Environ sept mille d’entre eux ont opté pour la nationalité française, particulièrement les descendants de ceux que l’on avait nommé les « renonçants », car, suite à un décret de 1881, la troisième République avait accordé à qui renonçait à son statut personnel, autrement dit à sa caste, la possibilité de devenir français à part entière.
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A la suite de la cession certains de ces « nouveaux Français » se sont immédiatement installés en France ou dans les Dom Tom (particulièrement à la Réunion), d’autres, plus âgés, ou moins aventureux, sont restés, mais leurs enfants, nantis de la nationalité française ont rejoint la mère patrie à l’âge adulte, les garçons étant presque systématiquement envoyés servir la république sous son drapeau tricolore.
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Il semblerait que les familles qui avaient choisi de devenir françaises n’aient pas eu par la suite de regrets particuliers. Il n’en est pas de même pour celles qui sont restées indiennes et dont les derniers rejetons jalousent les cousins ou voisins qui, vivant en France, reviennent aux vacances parader en vêtements coûteux, le portable collé à l’oreille et de la thune plein les poches, car, même si dans l’hexagone ils appartiennent à la classe moyenne, à Pondy, ils sont riches et ne se gênent pas pour le faire savoir.
D’où le sentiment d’envie, flagrant, qui court sur leur passage et qui fait que lorsqu’ils doivent louer une voiture, le prix qu’on leur demande est encore supérieur à celui qu’on demande au touriste western réputé (surtout le Français, nous dit-on) pour sa pingrerie, prêt à négocier une demi-heure pour économiser 10 roupies (20 centimes).
Ce sentiment d’envie ne vire pourtant pas à l’agressivité car le Franco-Pondycherrien dépense allègrement et est toujours susceptible d’être utile pour parvenir à poser un pied puis un autre sur l’eldorado gaulois.
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Le moyen le plus prisé pour atteindre ce but a toujours été le mariage, mais alors que les jeunes filles tamoules continuent à apprendre le français dans l’espoir que leurs familles dégoteront le prince charmant made in Paris (ce que me confirme un professeur d’une classe de troisième d’une école de filles), les garçons vivant en métropole, bercés de rap, de MTV et de culture française n’ont plus forcément envie d’accepter un mariage arrangé avec une jeune vierge soumise et leurs sœurs entendent bien choisir elles-mêmes leurs maris.
A part la voie matrimoniale, d’autres moyens, plus ou moins sordides sont utilisés pour partir vers la France, ou mieux encore obtenir la nationalité.
On nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui a acheté, fort cher, l’identité de son jeune voisin, mort accidentellement, aux parents de ce dernier.
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A part quelques exceptions les jeunes n’envisagent absolument de revenir sur la terre de leurs ancêtres, et, par conséquent la communauté Franco-Pondycherrienne, qui était, et de loin, la plus importante de la ville au moment de la cession, réduit comme peau de chagrin.
Cela désole les anciens, mais c’est ainsi.
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26.07.2007

Chennai, d’un set à l’autre

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Laissant le lourd tournage du fastueux film de Kamal Hassan nous traversons Chennai pour nous rendre sur un autre set, bien différent.medium_plan-chennai.2.jpg
Loin des grosses productions stéréotypées, Prabu, un jeune réalisateur, secondé par sa femme et une petite équipe de caméramans, preneurs de son et autres machinistes, poursuit une œuvre réaliste originale, axée sur les problèmes des jeunes, et diffusée du lundi au jeudi, sous forme de sitcom, par la populaire chaîne télévisée tamile, Vijay.

Ici, pas de studio, l’action se déroule en décors naturels, en l’occurrence aujourd’hui sur une esplanade terreuse, bordant un parc entouré de modestes maisonnettes colorées et d’immeubles décrépis sur lesquels le temps et la totale absence d’entretien ont déposé une couche grise zébrée de trainées noirâtres.

Les rayons du soleil déclinant baignent le set d’une lumière délicatement orangée, des d’enfants sourds et muets, venus en visite, nous accueillent en souriant, des adolescents en uniforme scolaire, figurants et acteurs principaux, plaisantent à l’ombre des arbres, les filles reluquant les garçons, et vice versa.
Il se dégage de l’ensemble une douce impression de sérénité, de bonheur, de vérité.
Ce n’est pas ici que viendra, comme ce matin sur le set de Kamal Hassan (dont la rumeur persistante dit qu’elle est la maitresse), la grande actrice Kusupu, la star incontestée (bien que vieillissante), et pour laquelle certains de ses adorateurs hindouistes ont érigé un temple.
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Prabu et sa femme ont écrit le scénario du sitcom en collaboration avec de jeunes étudiants de « College » et des lycéens. Désireux de dépeindre la réalité de la vie des jeunes indiens, Prabu n’a pas hésité à traiter de thèmes éminemment tabous comme la sexualité ou dérangeants comme l’alcoolisme, la délinquance et les problèmes familiaux.
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Nous assistons au tournage d’une scène. Un jovial adolescent grassouillet rencontre un sévère professeur moustachu, poussant dignement son vélo. Ils s’arrêtent et le prof admoneste l’élève pour une broutille commise à l’école, furieux, celui-ci met au point une vengeance.
Dans les écoles indiennes les châtiments corporels sont régulièrement utilisés, pire, ils sont considérés comme des méthodes éducatives, et c’est cette violence inique et inutile qu’entend dénoncer cet épisode du sitcom, car les faveurs du public se porteront exclusivement sur le sympathique garçon au détriment du vilain moustachu.
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La chaleur, renforcée par les projecteurs, est intense, mais nous nous attardons longuement et paresseusement, filmant et photographiant l’action et ses interprètes.
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Nous aimerions beaucoup discuter avec Prabu et sa femme (à ma grande honte je n’ai pas noté et j’ai oublié son prénom), j’ai de multiples questions à leur poser et leur travail m’intéresse profondément mais ils sont pris par le tournage et plus de deux heures de trajet nous attendent pour retourner à Pondy.
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Nous nous saluons chaleureusement et promettons de nous revoir dans les jours suivants, ou lors de notre nouvelle escale à Pondy.

D’un set à l’autre, cette journée fut riche en évènements, en rencontres, en sensations, et dans le 4x4 vrombissant, qui file dans la nuit percée de la lueur éphémère des phares, ses images se déroulent dans mes pensées, comme un film.
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24.07.2007

Kollywood Party

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Au Tamil Nadu le cinéma tient une place essentielle et tout peut arriver, y compris se retrouver en train de participer au tournage d’un film en compagnie d’un des plus célèbres acteurs du sud de l’Inde, c’est ce que nous avons fait il y a quelques jours.
L’industrie cinématographique indienne est florissante, en dehors de Bollywood, que l’on commence à découvrir en France, existent d’autres studios, propres à chacun des états et qui produisent eux aussi leur lot de bluettes sentimentales kitchs ponctuées de danses et de chants, de films d’action et de comédies.medium_plan-chennai.jpg
La production Tamil, nommée Kollywood, est une des plus fécondes, et des meilleures. Certes, on y voit encore beaucoup de petits moustachus quadragénaires (au moins) et bedonnants séduire en en clin d’œil et un déhanché ravageur, de ravissantes créatures de vingt ans drapées dans des voiles vaporeux, mais ce n’est qu’un aspect, réducteur, de ce cinéma qui compte parmi ses réalisateurs l’excellent Mani Ratman, auteur de films touchants ou le réalisme se mêle à la poésie pour dénoncer des problèmes de société (voir le bouleversant Bombay) et dont les actions se déroulent souvent dans des milieux campagnards, ensoleillés et colorés, accompagnées de musiques rythmées et envoutantes, comme celles de Rahman.
Parmi les grands acteurs tamils quinquagénaires, deux sont des stars : Rajini, l’éternel jeune premier danseur et charmeur et Kamal Hassan, le séducteur ténébreux. C’est avec ce deuxième que nous avons fait, il y quelques jours,  nos débuts dans le cinéma !
Repérés par un rabatteur de figurants qui avait besoin de « western  people », amusés par la perspective, curieux de découvrir de l’intérieur les studios de Kollywwood, nous avons sans trop hésiter accepté la proposition.
Donc à l’aube, chapeautés par Peter, qui s’est improvisé notre agent, notre petit groupe (Flora,  Fabio et moi), accompagnés de Pierre et Tobias, sommes montés dans un gros 4x4 envoyé par la production (s’il vous plait !) pour aller à Chennai.

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Deux heures de route et à l’arrivée au studio, un continental (ou presque) breakfast, dans une sorte de bas amphithéâtre en plein air, légèrement ombragé et envahi par les herbes folles et les broussailles.
Puis l’attente en compagnie des autres figurants, sans avoir la moindre idée de nos prestations futures.
L’attente.
L’attente.
Au bout de deux heures, quelques uns d’entre nous sont appelés par l’assistant. Tobias nous revient bientôt en strict costume sombre, chemise blanche et cravate, des lunettes noires sur le nez. On lui a assigné un rôle de garde du corps.
Il rapporte aussi des nouvelles sur le tournage. Kamal Hassan, l’acteur principal et réalisateur du film (à très gros budget), intitulé « Dasaavadaram » (Dix caractères) interprète pour cette scène le rôle de Georges Bush. Il doit arriver en hélicoptère entouré de ses vigiles.
Et nous ?
Une rumeur nous apprend que nous serons des scientifiques américains.
Tandis que, réfugiés à l’ombre des arbres nous mijotons lentement, sûrement et  interminablement, un assistant nous appelle les uns après les autres pour nous costumer. C’est ainsi que nous voyons apparaître un superbe pilote d’hélicoptère et d’autres gardes du corps.
C’est mon tour !

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On me tend un pull à col roulé rouge, idéal en cette canicule et un coiffeur (il n’y a que des hommes) m’enfonce sur le crâne une courte perruque noire bouclée qui me donne immédiatement un petit air d’américaine des années cinquante.
Puis Fabio revêt une chemise et une cravate et l’attente continue.
Enfin, arrive Kamal Hassan, effectivement grimé, de façon plutôt ressemblante en Georges W.
Nous ne savons toujours pas ce que nous sommes censés faire.
Tout est prêt pour la scène de l’arrivée en hélico. Vrombissement d’un ventilo géant. Salut au garde à vous du pilote, interprété de manière irrésistible par un anglais très sympathique et plein d’humour, déploiement des vigiles, dont Tobias.
Il est une heure, la perruque me semble définitivement collée sur mon crâne surchauffé et je baigne dans le pull rouge, en espérant que cet effet sauna réussira peut-être à éliminer le kilo superflu qui s’est déposé sur mon ventre au Kerala grâce aux soins culinaires de la maman de Sini.
Deux heures, notre instant de gloire est arrivé !

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Et quelle heure de gloire !
Flora, Pierre, Fabio et moi, affublés de blouses blanches, faisons partie d’un groupe de scientifiques américains, qui placés en demi cercle derrière G.W.B. applaudissent sans réserves à un discours qu’il prononce.
Un vrai discours, sa voix, et Kamal Hassan, impeccable, mimant ses expressions, et nous, opinant du bonnet, la mine solennelle, soulevés par la grandeur des paroles présidentielles qui promettent de lutter, pour la grandeur de l’Amérique et pour six millions de dollars contre les affreux terroristes.
Evidemment impossible de dire « Excusez-moi, je ne suis pas d’accord avec ce qu’il dit là… »
Donc toute honte bue, un hypocrite sourire patriotique sur les lèvres, tandis que Kamal Hassan, dégouline sous son maquillage, et que ma peau rosit sous la lumière des projecteurs, pour la somme de 1000 roupies (20 euros, ce qui est énorme par rapport aux salaires locaux), j’applaudis un discours, dont chaque parole me rebute.

Mais, bon, c’est du cinéma !

Malheureusement, le tournage étant top secret, impossible de photographier le set.
Mais, une photo de Kamal Hassan, prise en cachette.

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19.07.2007

14 juillet à Pondichéry

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Le 14 juillet 1789, le peuple français, exaspéré par un régime de privilèges a pris d’assaut la Bastille. La révolution était née. Il s’en est suivi des rêves de démocratie et des flots de sang, des têtes ont roulé dans la sciure et un obscur petit général corse, fin stratège aux ambitions démesurées, a profité de l’occasion pour devenir empereur.
Après, la France est entrée de façon durable en république.medium_plan-pondichery.2.jpg
Le 14 juillet, prenant du galon, fut déclaré fête nationale.
On danse sur les places des villages, les fusées pètent dans le ciel, et les soldats, zim pa zim pa zim palala, défilent au rythme des fanfares.
La nuit est douce et le peuple, invité à la fête (après tout c’est la sienne), se réjouit sous les étoiles en buvant du mousseux, de la piquette ou de la bière fraîche.
Hors de France, dans certains consulats, comme par exemple celui de Pondichéry, il en va autrement. Le touriste de base français, celui qui ne connaît personne mais qui, en ce soir de fête nationale, le chicken masala lui pesant sur les intestins, la chaleur lui brouillant les idées, lassé de se confronter au dodelinement de la tête des indiens chaque fois qu’il pose une question, même simple comme : « where is the station, please ? », bref, le touriste inconnu, qui, en ce soir de 14 juillet se sent soudainement la fibre gauloise et souhaiterait ardemment échanger quelques banalités dans sa langue maternelle avec des congénères et prié sans ménagement par le service d’ordre indien d’aller se faire voir ailleurs !
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Pour avoir la chance d’assister à la sauterie qui se tient dans les jardins du consulat il faut être muni d’une invitation.
Mais notre petite équipe de tournage (Flora, Peter, Fabio et moi), bien décidée à filmer la réception s’accroche et insiste. Malheureusement le temps passe, les invités entrent, les exclus se lamentent (surtout ceux d’entre eux qui résident dans la ville), les flonflons commencent, il se met à pleuvoir et nous arpentons toujours le trottoir dans l’espoir de parvenir à convaincre les vigiles de l’importance essentielle de notre présence intra muros. Nous aimerions commencer notre documentaire par cette célébration du 14 juillet.
Finalement, un invité compatissant intervient en notre faveur et nous pénétrons dans le lieu convoité juste au moment ou retentit le discours consulaire.
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La pluie a cessé mais la chaleur est restée et la sueur perle sur les fronts des serveurs qui passent de groupe en groupe, portant des plateaux de vin et de mets français (dont de délicieux camemberts qui étalent sans retenue leur pâte jaune sur des feuilles de bananiers).
Sur la scène danse une fillette (on annonce qu’elle n’a que huit ans), elle exécute un long et difficile ballet de Baratha Natyan. Un demi-sourire est figé sur sa petite bouche, et seuls ses yeux, suivant les codes de la danse, bougent dans son visage impassible.
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Je n’aime pas que les enfants soient ainsi donnés en spectacle devant un parterre d’adultes. Je ne peux m’empêcher de me demander quelle est la part de contrainte. Il y a là quelque chose qui me dérange.
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J’observe le public, essentiellement français, complètement français, je les connais, je les reconnais : des femmes entre deux âges vêtues de courtes robes noires, voulant laisser croire qu’elles appartiennent encore au plus jeune des deux, décolletés plongeants, talons, rires hauts perchés, battements de cils, des pseudos artistes en lin chiffonné, de vrais artistes peut-être aussi, des affairistes, des beautés en sari, des jeunes gens venus travailler dans des ONG, des anciens d’Auroville devenus des célébrités locales, restaurateurs ou antiquaires, de jeunes entrepreneurs venus importer des produits hexagonaux et qui cherchent à nouer des relations. Les regards se croisent et les nouvelles têtes sont évaluées suivant l’intérêt qu’elles peuvent représenter.
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La Marseillaise retentit. On trinque.
Des groupes se font et se défont.
J’entends « contact », « merci », « téléphone », « je vous présente », « enchanté ».
Fabio filme.
Nous ne nous attardons pas, et quittons les lieux au son de « sous les ponts de Paris ».

Des ponts de Paris à Pondichéry, au son de l’accordéon.
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16.07.2007

De Kaippattoor à Pondichéry

Accompagnés par Sini et Roy, pour qui c’est enfin une occasion d’être ensemble, les familles de l’un comme de l’autre ne les autorisant pas à partager le même lit, nous partons vers Pondichéry où Peter et Flora nous attendent pour commencer le tournage d’un documentaire sur la ville.medium_plan-pondichery.jpg

Avant de grimper dans un train de nuit qui nous déposera à Trichy, nous avons passé la journée du départ à chercher le meilleur moyen de rejoindre la lointaine Pondichéry. Le charmant propriétaire d’une agence de voyage d’Angamali se décarcasse pour nous obtenir des billets d’avion, mais à cause d’un problème informatique la tâche se révèle impossible et le bus direct part trop tôt, avant que Roy n’ait eu le temps de descendre de ses montagnes. Finalement un employé de l’Indian Railways, mal aimable et nonchalant comme tous (ou presque) les fonctionnaires indiens qui officient derrière un guichet, nous a dégotté les quatre couchettes dans lesquelles nous somnolons jusqu’à Trichy.

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Pendant que nous cherchions le sommeil, le train a quitté l’exubérance humide du Kerala pour l’aridité poussiéreuse du Tamil Nadu.
Malgré leur proximité, les deux états sont très différents, les ghats (collines) qui les séparent délimitent deux territoires qui ont peu en commun.
Terre hindoue, brûlée par le soleil, dont les longues plaines ocres parsemées de palmiers, de broussailles d’un vert fané, de basses masures aux toits de palme et de petits temples colorés, sont traversées par des cours d’eau presque asséchés, entourés de rizières dont la teinte vive rafraichit et repose, le Tamil Nadu est l’Inde de nos fantasmes.
L’Inde qui attire et effraie.
L’Inde magique.
Ici tout peut arriver et les dieux omniprésents imposent leurs caprices aux humains qui les révèrent.
La richesse tapageuse côtoie sans gêne la misère, après tout, chaque destin se mérite, et il faut plusieurs vies pour accomplir un karma.
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A Trichy nous prenons un bus, cahoteux bien sûr, lent, bondé et surtout monstrueusement bruyant. Ici, on conduit au klaxon et notre chauffeur, un artiste sans doute, en use avec une stupéfiante maestria. C’est un véritable langage codé, qui va du profond barrissement au pizzicato en passant par le banal « tut tut » et qui résonne dans nos cervelles fatiguées avec une vigueur nuisible qui ne tarde pas à nous flanquer un sévère mal de crâne.
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Quatre heures plus tard, exténués, assoiffés, rompus moulus fourbus, desséchés par la chaleur nous arrivons à la gare routière, véritable cour des miracles, de Villapuram où Flora et Peter sont venus nous chercher avec, ô joie, une Ambassador climatisée.
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Et enfin, en ce 14 juillet, à 14 heures, nous pénétrons à Pondichéry, après avoir mis 16 heures pour parcourir un peu plus de 600 kilomètres.
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13.07.2007

Souffrir, dit-elle

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J’ai jusque là supporté sans mot dire, ni maudire, ni maugréer, toute une série de réjouissances catholiques kéralaises, mais aujourd’hui la coupe est pleine, la limite est franchie, la rivière déborde (pas étonnant, depuis ce matin il flotte), je n’en peux plus des bondieuseries.medium_plan-kuzhikkattussery.jpg

En début d’après-midi, à peine savouré le délicieux poulet aux piments de Mary (la maman de Sini), nous voilà déjà embarqués dans une voiture, à l’assaut de la route nationale archibondée, avançant tant bien que mal entre les camions car la tante de Sini, sœur Cécilia, infirmière à Rome, présentement en congé dans la famille, nous attend chez une autre tante (il y en 6) pour la raccompagner à son couvent.
Nous avons rencontré cette charmante personne il y a deux ans et sommes contents de la revoir, d’autant qu’avec elle on peut parler italien, ce qui est appréciable.
Après avoir dégusté une mangue fondante, et délicatement acidulée, en sirotant un tchai brûlant, nous repartons sur les routes, accompagnés de la religieuse, de gris vêtue.

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En chemin nous faisons une halte pour faire la connaissance de Don Antonio, un sémillant jeune curé qui officie dans une église voisine (le coin en est truffé). Ayant étudié la communication à l’université catholique de Rome, il est ravi de nous rencontrer et nous invite dans son bureau. Nait alors une plaisante discussion.
Nous parlons de tout et de rien, d’ordinateur et de caméra vidéo, il a acheté les deux pour un prix fort intéressant à Dubaï récemment et les a ramenés dans sa mallette sacerdotale, ni vu ni connu. Il nous offre des noix de cajou que nous grignotons avec enthousiasme.

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J’avise un porte papier transparent dans lequel trône une Tour Eiffel dorée, et en profite pour glisser que je suis française.
«Ah, soupire-t-il en désignant l’avant dernier étage de la tour parisienne célèbre dans le monde entier, le jour de la mort de JP2, à 9heures 37, j’étais là… »
Et moi, mue par une soudaine inspiration : « Plus près du ciel alors ! »
Et tout le monde rit.

Peu après cette agréable visite, mais ne nous y trompons pas il s’agit là de la nouvelle garde de la sainte église, le fer de lance, informatisé et apte à utiliser les nouvelles technologies pour mieux séduire les jeunes âmes innocentes, nous rejoignons le couvent de l’ordre de sœur Cécile. Sa créatrice, qui n’appartient plus au monde terrestre depuis 1926, a été, nous apprend-on, béatifiée par le pape en 2000 (bien avant que Don Antonio n’entreprenne l’ascension de la tour Eiffel).

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A peine sommes nous arrivés qu’on nous entraine dans une église moderne, moche, triste et sans charme, que même la douceur fauve des lourds panneaux de tek n’arrive pas à réchauffer.
Rien à voir avec les églises traditionnelles kéralaises, blanches aux autels colorés parés de fleurs.
Puis une petite sœur rondouillarde se précipite sur Sini et l’entraine dans son bureau. C’est la préposée aux problèmes matrimoniaux, Sini va avoir droit à un sermon !
Histoire de nous occuper en nous instruisant sur la bienheureuse locale, on nous fait visiter le musée érigé en son honneur.

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La vie édifiante de Blessed Mariam Thresia y est illustrée par différents artistes, ce qui fait que d’une salle à l’autre on peut admirer (ou non) divers styles picturaux. On passe donc de la représentation niaise, chargée de couleurs fortes, qui me rappelle les images pieuses que ma grand-mère me refilait en cachette de mes parents quand j’étais gamine – elle aurait adoré cet endroit ma grand-mère -  à des bas-reliefs lustrés par les mains pieuses ou curieuses des fidèles, sans oublier une série d’hideux tableaux en relief rouges et verts, dont l’élément marquant est un diable cracheur de feu géant, dressé sur une queue de crocodile. Ma série préférée ressemble bizarrement à un naïf balinais, une foule de personnages stylisés, des gros seins, des fesses rebondies, des petits démons farceurs jouant avec des serpents, et, au milieu de ce désordre, des bonnes sœurs rigides dominées par la figure de la bienheureuse, le visage long comme un jour sans chappattis.

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Pendant ce temps la sœur « council », tout sourire, explique à Sini, divorcée depuis 4 jours, qu’elle doit, pour le salut de son âme et surtout celui de celle de sa fille reprendre la vie commune avec son ex mari !
La garce insiste lourdement sur le sort de la fillette.
Sini lui rétorque que cet homme n’est plus rien pour elle, qu’il était ivre du matin au soir, qu’il la battait et que lorsqu’elle l’a quitté il lui a ravi Agnus, l’a confiée à sa sœur et que depuis deux ans elle n’est pas parvenue à la voir.
Sans se démonter la sœur lui explique qu’un couvent spécialisé peut les recevoir tous les deux pour une retraite pieuse qui changera à jamais le loup égaré en agneau. Quant aux coups et à la souffrance, Jésus n’a-t-il pas lui aussi souffert lui aussi pour sauver les pauvres pêcheurs que nous sommes ?

A ce moment précis j’observe d’un œil dégouté la chemise enchâssée d’épines de fer que la bienheureuse, groupie inconditionnelle du sauveur, portait à même la peau, le fouet qu’elle utilisait pour s’autoflageller, la couronne de pointes qu’elle portait sous son voile et la ceinture de fil de fer barbelé que l’on a retirée sa chair tuméfiée, dégoulinante de pus et sang quand elle est morte à 50 ans d’une infection au pied.
La souffrance, maitre mot de cet endroit sordide.
La souffrance attestée et appréciée qui a permis, ainsi qu’un miracle certifié, à une femme exaltée et masochiste d’être béatifiée par JP2.
Et, ô surprise, c’est le miraculé en personne qui nous sert de guide dans le petit musée, qui nous raconte que grâce à d’innombrables prières adressées à Mariam Thresia, lui, né handicapé, a pu marcher. Et de nous montrer fièrement sa photo, agenouillé aux pieds de JP2, le jour de la béatification, et de poser complaisamment devant l’objectif en compagnie de Fabio.

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Aujourd’hui l’église a montré son visage, celui de la souffrance, de la contemption de la chair, de l’obéissance aveugle. Je ne suis pas inquiète pour Sini, même si elle est croyante, son amour pour Roy est plus fort que ces sermons culpabilisateurs, mais une autre plus crédule aurait pu sa laisser convaincre.

Souffrir, disait-elle

11.07.2007

Un dimanche à Ernakulam

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Le temps d’une escapade de deux jours à la ville, Roy est descendu de ses montagnes. Sini a prétexté que nous voulions nous rendre à Cochin et nous voilà tous les quatre à Ernakulam.

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Si elle n’est pas la capitale administrative du Kerala, Trivandrum jouant ce rôle, Ernakulam, en pleine expansion, en est la capitale économique.
La ville ressemble à un immense chantier, des immeubles poussant de toutes parts, surgissant du sol, hérissés d’étais de bambous et de tiges de métal rouillé.medium_plan-cochin.jpg

Dans toutes les villes indiennes la rue principale se nomme MG Road (Mahatma Gandhi road), et dans toutes les villes indiennes elle est le siège des plus importants commerces, incarnant ce que l’homme au rouet, visionnaire, voulait combattre, lui qui tissait lui-même ses vêtements et qui préconisait de « vivre simplement pour que tous puissent simplement vivre », le consumérisme et le gaspillage.

Sini nous entraîne dans un énorme magasin, flambant neuf et luxueux, où, nous dit-elle, ont été effectués tous les achats du mariage de Monu.
Sur le parking, de riches familles descendent des Mercedes ou des 4x4 rutilants et les matrones couvertes d’or, dont la chair trop grasse déborde des saris vaporeux, accompagnent les jeunes promises, impatientes de choisir leurs vêtements d’apparat, dans le spacieux temple de la marchandise.
Marbre, verre fumé, confortables fauteuils en cuir où patientent les messieurs tandis que ces dames n’en finissent pas de choisir des saris. Il faut dire qu’il y en deux étages, débordants de soieries richement brodées de fil dorés, incrustées de strass et de paillettes, d’ailleurs, le magasin se targue d’être : « The world’s largest silk saree showroom ».
Le sari de mariage de Monu a coûté 7000 roupies, c'est-à-dire environ 140 euros, ce qui équivaut à un mois de salaire d’un jeune enseignant.
Mais pour les mariages rien n’est trop beau, rien n’est trop cher et la liste des dépenses est vertigineuse.
L’église, l’auditorium pour la réception, les repas des 800 invités, le film des festivités, les photos, imprimées dans un énorme album cartonné, les vêtements des mariés et la dot de Monu, convertie en or sous la forme de colliers, bracelets et boucles d’oreilles, précieusement tenus dans un trou du mur de la chambre de la mère d’Anil, tout cela a coûté environ 8 laks roupies, autrement dit 16 000 euros.
Des chiffres qui laissent songeurs, d’autant qu’à peine mariés les tourtereaux se sont envolés vers leur rêve: faire d’interminables heures de ménage dans des bureaux et des écoles en Italie, car ce sera à peu près leur seule possibilité de travail et ils le savent.

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Après ce déluge de richesses, dont l’abondance frise l’indécence, nous rejoignons le front de mer pour flâner sur la promenade en compagnie des badauds traîne-savates, des familles en goguette et des amoureux du dimanche à qui les parents, magnanimes, ont accordé deux heures de tête à tête.
En leur compagnie, nous embarquons sur un bateau qui fait le tour de la rade, longeant les lourds paquebots.

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En face de nous quatre jeunes hommes ont pris place. « Ils ne sont pas Keralais » dit Sini.
Trop modestement vêtus, des physionomies différentes. Ils sont venus d’un de ces lointains états pauvres du nord est de l’Inde, le Bihar peut-être, ou l’Orissa.
Là où la faim tenaille les ventres et où les jeunes gens ne vont guère à l’école.
Là où à la sécheresse succède la mousson dévastatrice qui ruine la terre et emporte les cabanes.
Ils sont venus pour bâtir, humbles maçons ou porteurs, qui grimpent pieds nus tout en haut des échafaudages, le long des parois grises des immeubles en construction. Ils dorment dans des cahuttes, sont payés à la journée et leurs conditions de travail sont pénibles. Mais, le pécule gagné, ils retourneront au pays, une fois l’an, pour apporter un peu de bien être à la famille, une maison plus saine, la télé. On les mariera avec de gentilles filles qui les attendront patiemment, pendant des années, élevant les enfants qu’ils ne manqueront pas de leur faire à chaque retour.
Aujourd’hui c’est dimanche et ils profitent de leur liberté pour jouer aux touristes, pour admirer les paquebots. Le plus jeune, il semble avoir seize ans, s’endort recroquevillé sur sa chaise. Son visage est las, il tousse.

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C’est ainsi, les hommes du Kerala vont travailler dans les pays du Golf pour construire des maisons à colonnes et marier leurs enfants en grande pompe et les hommes du Bihar viennent travailler au Kerala pour permettre aux leurs d’avoir un toit et d’aller à l’école, tout simplement.

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07.07.2007

Chez Roy a' Keerithodu

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Hier, sous une pluie parfois battante, un autobus brinquebalant, vaillamment lancé sur une route de montagne défoncée, semée d’arbres abattus par le déluge et de monticules de terre déposés par les flots qui dévalent les pentes, nous a emmenés chez Roy.medium_plan-keerithodu.jpg
Ce voyage chaotique a duré trois heures à aller (et autant au retour) mais l’insistance de Roy avait eu raison de nos réserves. Il voulait absolument nous montrer la maison qu’il vient d’acquérir, et nous étions aussi contents de revoir ses parents, que nous avions rencontrés il y a deux ans. De plus, notre présence leur permet, à Sini et lui, de passer quelques heures ensemble.
Le père de Sini ne veut pas entendre parler de Roy (même s’il est au courant de son existence) tant qu’ils ne seront pas mariés. Dans la petite communauté de Kaippattoor, la réputation d’une famille est essentielle, un faux pas peut la ternir pour longtemps.

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Donc Roy a acheté une maison, grande et belle (suivant le goût kéralais), entourée d’un terrain planté de vanilliers, de cacaotiers, de poivriers, et d’hévéas.
Il a acheté cette maison pour y loger ses parents, qui eux, laisseront la leur au frère aîné de Roy et à sa famille. La tradition veut que ce soit le fils le plus jeune qui hérite à la fois de la demeure familiale et de la charge des parents. Chaque médaille a son revers et ce dernier est souvent bien lourd pour l’épouse du fils qui se retrouve, certes, logée, mais contrainte de prendre soin de ses beaux parents âgés, et parfois peu amènes, les belles-mères étant même souvent franchement désagréables, avec une vilaine propension à confondre bru et servante.

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La maison est en travaux, une dizaine d’ouvriers noirauds aux trognes réjouies et cabossées comme de vielles casseroles, le lunghi remonté en forme de short entre les jambes, s’activent à leur rythme (fort lent), sur des échafaudages branlants pour repeindre les murs. Mais la pluie ne facilite pas leur tâche, le chantier n’avance guère et Roy piaffe d’impatience. Il voulait dormir avec sa belle (et nous accessoirement) dans la nouvelle maison, mais pour l’instant, c’est raté.

Tout fier (comme Sini  qui devient plus belle au Kerala, Roy explose de lumière et d’enthousiasme, ses yeux brillent, il parle et rit sans arrêt, comme un gamin qui voit ses rêves se réaliser et veut communiquer son bonheur) il nous a fait monter dans la jeep d’un copain pour aller déjeuner chez ses parents, sur la colline au-dessus du village.

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J’ai beaucoup de tendresse pour les parents de Roy. Pour son père, paysan lucide, conscient de la dégradation de l’environnement, de la fragilité de la réussite, de la vanité de la richesse, qui amasse des kilos de poivre noir de peur qu’un effondrement du marché des épices ne réduise à néant les efforts de ses fils. Car la famille vit de la vente de la vanille, de la cardamome qui parfume le thé, du cacao, du poivre, du clou de girofle dont l’arôme réveille la saveur du poulet frit, de la noix de muscade réputée pour ses vertus calmantes et digestives et surtout de l’hévéa.
Drôle de produit que le caoutchouc ! Avant de nous arriver sous forme de pneus, il a suivi bien des transformations et a été l’objet de bien des soins.
Le lait, coulant de l’arbre saigné, est recueilli chaque jour dans un seau, puis lavé et mis à sécher. Ensuite, la pâte est passée dans une machine (ci-dessous) qui la conditionne en plaques qui seront alors vendues à la coopérative locale.

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J’aime aussi la douce et fragile maman de Roy. Il y a deux ans, quand pour la première fois Sini, l’amante de leur fils, mariée à un autre homme, donc porteuse d’un parfum de scandale, est venue avec nous leur rendre visite, elle lui a tendu la main pour franchir le seuil de la demeure. Imposant par ce geste cette belle-fille qui n’en portait pas le titre à son mari, plus rigide, ne sachant exprimer ses émotions.
Mais je lis dans ses yeux une étincelle de malice et de bonté rugueuse, un sourire intérieur de fierté quand il regarde Roy, le fils farfadet, remuant et rebelle qui, à 20 ans, durant des jours sans donner de nouvelles, conduisait à toute vitesse la jeep sur les étroites routes de montagne enchâssées dans la jungle, et qui, aujourd’hui, leur revient, enrichi et assagi.

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Il y avait aussi le frère de Roy,  sa si jolie épouse, Bindu, leurs trois enfants : Alan, Abel et David et Alphin un jeune neveu venu passer quelques jours.

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Puis nous avons repris le bus brinquebalant et bondé, qui traçait son sillon dans la frémissante immensité d’émeraude,  piquée du rouge des ibiscus froissés, et dont la pluie à nouveau battante en exaltait la luisance.

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05.07.2007

Kaippattoor au quotidien

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Les occidentaux imaginent souvent les Indiens comme un peuple d’hindouistes adorateurs de Shiva et de Ganesh, scindé par un immuable système de caste, ce qui est exact pour environ 80% de la population. Les autres sont musulmans (12%), sikhs (18 millions), parsis, bouddhistes, jaïnistes et chrétiens.
Une chose est sûre, la religion, quelle qu’elle soit, et frisant généralement la bigoterie, tient un rôle essentiel dans la vie des Indiens.
Les catholiques, quant à eux, sont environ 18 millions et ils sont principalement installés à Goa, ancienne enclave portugaise et surtout au Kerala.
medium_plan-kaippattoor.jpgMême si les historiens estiment que le christianisme fut introduit en Inde vers le IVème siècle par l’intermédiaire d’un marchand syrien, venu, avec 400 familles, chercher fortune sur la terre kéralaise, l’église locale attribue ce mérite à Saint Thomas qui aurait débarqué vers l’an 50 à quelques kilomètres de Kaippattoor, portant dans sa besace sa croix et son chapelet.
C’est pourquoi, Saint Thomas jouit d’une considération particulière de la part des fidèles et qu’il est, chaque année dûment fêté, le 3 Juillet, nous y voilà !
Etant totalement immergés dans la communauté catholique de Kaippattoor, nous avons donc été invités à participer à une fête en l’honneur du saint fondateur.
La paroisse est divisée en « unit », regroupant une cinquantaine de familles, et les festivités ont lieu tour à tour chez les uns et les autres. La cérémonie d’hier soir s’est tenue chez l’oncle de Sini.

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Tout l’après-midi les femmes ont préparé un énorme gâteau de riz au lait de coco agrémenté de fruits secs. Il leur a fallu tourner longtemps et vigoureusement la pâte avant de l’étaler pour la laisser refroidir. La grande Lilama, qui veut toujours faire mieux que tout le monde, a tourné très longtemps, m’a raconté Sini, alors la tante (que nous appelons la zia spia car elle veut toujours tout savoir) a persiflé « Tant mieux, c’est elle qui fait tout ! »
Et puis ces dames ont fait le tour des ragots du moment, le plus scandaleux étant la supposée fugue d’une jeune fille, d’un autre « unit », avec un jeune musulman qui étudie dans la même université qu’elle.
Car, au sein de cette communauté catholique, toute adorable chaleureuse et solidaire soit-elle, on retrouve bien sûr toutes les caractéristiques (jalousie, moquerie, critiques, rivalités…) que n’importe quel groupe d’humains a bien du mal à éviter et ses membres ne manifestent pas la moindre ouverture d’esprit lorsque d’aventure une union mixte se profile à l’horizon et particulièrement si c’est une jeune fille qui est concernée.
Le père retrousse alors ses manches et n’hésite pas à filer une bonne raclée à la coupable - notons au passage, pour les ex jeunes filles de ma génération, et des précédentes, que les pères français utilisaient aux aussi, et sans vergogne, cette subtile méthode de dissuasion qui produisait souvent un effet contraire à celui recherché, dans ce cas, comme dans celui du pater familias keralais le prétexte étant : « ton avenir, tes études et je sais mieux que toi ce qui te convient ».
Bref au Kerala, ça marche encore, dans la plupart des cas les amoureux renoncent et acceptent ensuite, sans broncher, un mariage arrangé.
Mais ceux qui s’entêtent dans leur amour n’ont d’autre choix que la fuite.

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Lorsque nous sommes arrivés, le curé, grandiloquent, a chanté nos louanges et la petite assemblée nous a chaleureusement applaudis. Ce qui bien sûr était totalement exagéré et nous a mis dans l’embarras.
Puis il a expliqué que, grâce à nous, Anil et Monu ont pu rejoindre la pieuse Italie et tous nous ont regardés en souriant, ce qui a accentué notre malaise. Ce qui, par contre, est rigolo est que pendant que nous faisons les malins chez eux, anil et Monu, sont chez nous occupés à observer les curieuses coutumes de Cléo (ma fille) et de ses amis.

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Finalement on a fait mine de nous oublier, le curé a béni la galette et les fidèles ont chanté à gorge déployée, puis, armé d’un grand couteau, le représentant de Dieu a découpé la fameuse galette et en a distribué quelques parts.

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Ensuite on a à nouveau chanté, puis le curé s’en est allé vers une autre célébration, dans un autre « unit », et on a récité quelques prières – du moins j’imagine que c’était des prières, je n’ai aucune expérience de la chose et tout cela se déroulait en malayalam, langue parfaitement incompréhensible – enfin nous avons mangé des gâteaux, échangé des sourires, et filmé la scène.

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Ce matin, avec Sini, nous sommes allées dans un Beauty Parlour, pour dames bien sûr, et une jolie jeune femme m’a parfaitement et de façon presque indolore, épilé les sourcils avec des fils croisés. Vite fait bien fait.
Ensuite une autre à appliqué du henné chez mes cheveux, ce qui fait que maintenant, je suis rousse !

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