10.10.2006
Que reste-t-il de Gandhi ?
La semaine dernière fut celle de l’anniversaire de la naissance de Gandhi, le 2 octobre 1889.
Pendant nos voyages en Inde je me suis souvent interrogée sur son héritage.
Que reste-t-il aujourd’hui, dans l’Inde qui s’éveille irrésistiblement au monde, du petit homme au rouet ?
Quelles traces ont laissé sa pensée et son action ?
D’innombrables rues portent son nom, et, paradoxe pour l’ascète qui vivait modestement dans un ashram, se nourrissant de lait de chèvre et de dal (plat à base de lentilles) et se vêtant exclusivement de dhotis qu’il fabriquait lui même avec du coton indien, ce sont les plus grandes, les plus commerçantes, les plus riches, celles où le modernisme s’affiche sous sa forme la plus échevelée.
La MG (Mahatma Gandhi) road de Bangalore.
La MG road de Chennai.
Toutes, ou presque, les rues principales des villes les plus importantes, portent le nom de celui qui préconisait de « vivre simplement pour que tous puissent simplement vivre ».
Ses statues dominent les places et les carrefours. Il est debout, il marche, sa besace sur l’épaule, son bâton de pèlerin dans la main et les orteils légèrement soulevés, en plein mouvement.
A Pondichéry les enfants grimpent sur ses pieds et se laissent ensuite glisser, comme sur un toboggan.
A Kanyakumari les gardiens du mémorial qui lui est dédié et où ses cendres furent recueillies avant d’être répandues dans la mer, harcèlent les touristes étrangers pour obtenir quelques pièces d’euros qu’ils échangeront, avec d’autres touristes, contre des roupies.
J’ai questionné. Dans le cadre de notre documentaire, j’ai demandé à tous nos interlocuteurs qui était leur héros, un seul, Anil, m’a répondu Gandhi. Les autres ont cité des acteurs, le président de l’Inde, des hommes politiques représentant leurs opinions ou un membre de la famille particulièrement marquant.
Je dois dire que j’ai été surprise, un peu déçue aussi. Moi, occidentale, à la même question j’aurais répondu « Gandhi, le pacifiste, qui a réussi à ‘ battre sans violence l’ennemi à son propre jeu » pour bouter les anglais hors de son pays ‘ ».
Eux non.
Plus surprenant encore, au Mohamed Jamal College de Trichy, où avec la complicité de notre ami Mohammed, je fais une leçon de français aux étudiants de deuxième année, je demande « Qui sont vos héros ? »
Acteurs et musiciens indiens.
J’insiste « Et Gandhi ? »
Regards interrogateurs.
L’un deux risque « Sonia ? »
« Non, répond Mohammed, le Mahatma ! »
Soupir dans la classe, le Mahatma, bon sang, mais c’est bien sûr ! On l’avait oublié !
Oublié ? Il est partout.
Alors j’ai continué à réfléchir, j’ai cherché des indices, j’ai lu et j’ai trouvé des éléments de réponse.
Par exemple : « La grande force de notre démocratie –mais aussi sa grande faiblesse- réside dans le peuple. Les indiens peuvent se montrer paresseux, corrompus, vulgaires ou égoïstes. Mais, pour peu que quelque chose les indigne ou que l’on contrarie leur fibre idéaliste, ils se soulèvent comme un seul homme pour donner toute la mesure de leur grandeur collective »
Tarun J. Tejpal , rédacteur en chef de Tehelka.
En Inde, depuis des siècles et des siècles des communautés religieuses différentes se côtoient, œuvrent ensemble.
Actuellement le Président de l’Union, Abdul Kalam est musulman, le premier ministre Manmohan Singh est sikh et Sonia Gandhi, la présidente du parti du congrès, majoritaire, est hindoue d’origine catholique.
Et ça marche. Avec des tensions, des émeutes, des révoltes, des complots, mais, quand même, l’Inde compte 1,2 milliard de personnes.
1,2 milliard de personnes qui toutes sont fières d’être indiennes.
La démocratie en Inde, c’est une vieille histoire. Pour s’en convaincre il suffit de regarder le panthéon des divinités. Tout y est représenté, les éléments naturels comme l’être humain sous toutes ses facettes, le destructeur et le créateur, le grossier, le coléreux, le séducteur, la femme aux cinq maris, l’ascète et le glouton.
La pluralité est la clé de l’Inde et Gandhi, tout au long de sa vie a considéré, a aimé, les différentes communautés, il leur parlé, les entraîanat dans son sillage. Ceux qui, par milliers, l’ont suivi pendant la longue marche du sel n’étaient pas seulement hindous, mais aussi musulmans, chrétiens, sikhs, parsis.
Et j’ai réalisé que ma question n’avait pas de sens. Il est stupide de chercher les traces de Gandhi. Tous les indiens sont Gandhi et lui ne pouvait naître et agir que sur cette terre, parce qu’indien, justement.
« Les prochaines générations auront du mal à croire qu’un tel homme ait pu exister », a déclaré Albert Einstein.
Et j’ajoute : « les prochaines générations occidentales auront du mal à croire qu’un tel homme ait pu exister ».
Pour les indiens, no problem, il fait partie d’eux.
21:40 Publié dans Chronique indienne | Lien permanent | Commentaires (14) | Envoyer cette note
Commentaires
c'est quoi déjà , le principe de la non-violence ?
Tu peux m'expliquer Céleste dans ce monde de dingues...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Non-Violence_XXI
;)
Ecrit par : elodietoug | 11.10.2006
Gandhi, quel personnage unique et extraordinaire !
Ecrit par : amarula | 11.10.2006
il fait partie aussi de ceux qui courent après les signes extérieurs de richesse ? oui pour ceux qui sont en même temps entrepreneurs à condition d'avoir un peu de souci des autres (conditions de travail).
Et en France qui désigne-t-on quand on demande quels sont les français célèbres ?
Bon ceci dit, nous pouvons nous inspirer de sa non-violence qui n'est pas passivité
Ecrit par : brigetoun | 11.10.2006
Il a marché, marché, marché.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?
Ecrit par : corinne | 11.10.2006
quand je disais "il fait partie" je pensais 'il est aussi en.." ma phrase est déjà assez un cran en dessous comme ça, je ne voudrais pas la laisser descendre d'avantage
Ecrit par : brigetoun | 11.10.2006
Je me suis souvent demandé si nous avions conscience lorsque nous étions adolescents des troubles politiques qui agitaient le reste de notre planète. Certes nous passions plus de temps à discuter du pénalty non sifflé par l'arbitre lors de la demi-finale de la coupe du monde 1982 qui opposa la France à la RFA qu'à discourir sur l'action et le combat de Ghandi. Pourtant son visage nous était familier plus du reste que son action. Il faisait parti de ces personnages que l'on pouvait reconnaître au premier coup d'oeil comme Einstein d'ailleurs. Et pourtant, nous aurions été bien incapables de citer le moindre de ses propos ou de parler de ses rapports avec l'ancienne puissance coloniale britannique. Il a fallu attendre 1982 et la projection du film de Richard Attenborough pour que nous mettions des idées sur ce visage pourtant si familier.
Cordialement mohamed.
Ecrit par : mohamed | 11.10.2006
Est-on capable, en tant qu'Occidental, de comprendre l'attitude, la démarche, le sens du discours et la pensée de Gandhi ?
Je veux dire qu'il faudrait s'impreigner de la pensée, de la philosophie et de la culture du pays pour en saisir le sens.
Et puis, il faudrait aussi connaître l'histoire de la colonisation anglaise...
J'avoue que moi, cet homme me subjugue plus qu'il ne me fascine.
Ecrit par : bertrand | 11.10.2006
Je viens de lire tes 4 derniers articles toujours avec autant de plaisir. Ta façon d'écrire, l'approche que tu fais de tous ceux que tu cotoies et tout ce que j'apprends grâce à toi font de ma lecture un moment privilégié. Je trouve très belle la dernière photo de cet article. Merci aussi pour tes commentaires chez moi.
Ecrit par : tanette | 11.10.2006
Pour aller dans le sens de Tanette, je trouve ta démarche de rencontre avec le peuple indien très humaniste (je sais c'est un peu mièvre de dire celà ) et intéressante. Au sens où tu arrives avec tes préjugés et tes icônes de l'Inde que tu passes ensuite à la moulinette des échanges... et qui te permettent ensuite de te faire une idée.
J'aime bien lorsque des pré-supposés sont soumis à la réalité sociale du moment. L'important c'est aussi d'appréhender le monde tel qu'il est, non comme on voudrait qu'il soit.
A travers ce que tu nous dit, j'ai l'impression que les indiens considèrent gandhi comme un personnage essentiel, certes, mais d'un autre temps.
L'Inde d'aujourd'hui n'a pas les mêmes préoccupations que l'Inde de gandhi. Ce qui n'empêche pas le personnage de faire partie de la mémoire collective. Un peu comme de Gaulle pour nous, une sorte héros français (la France libre, fallait le faire quand même) mais qui fait partie de l'histoire, pas du présent.
Bises.
PS : comme Bertrand, Gandhi me subjugue. C'est un être d'exception, très évolué.
Ecrit par : phil | 12.10.2006
Récemment, Time a publié un sondage. Les Indiens étaient interrogés sur la personne qu'ils admiraient le plus. Bill Gates arrivait en tête. Le deuxième était Gandhi.
Bill Gates le bienfaiteur, j'ai un peu de mal à m'y faire. Non que cet homme ait fait beaucoup de mal, au contraire. C'est simplement un type dur en affaire qui a bénéficié d'une sorte de chance, comme il le dit lui même.
Mais les gens n'ont pas oublié Gandhi. L'action non violente reste un modèle, un précédent que peuvent rappeler ceux qui veulent lutter contre un pouvoir oppressant.
Mais Gandhi était-il un saint? Je crois qu'une biographie (ou un film) récente disait qu'il était dur avec lui-m^me et avec les autres. Très exigeant. Un désir de pureté un peu extrême... Mais il est vrai qu'aujourd'hui, la pureté, les hommes politiques n'en abusent pas...
Ecrit par : Eric Mainville | 12.10.2006
Pour répondre un peu à tout le monde:
La non violence n'est pas la passivité, ce serait plutôt le controle de la violence intrinséque et sa transformation en actes destinés à annihiler les pulsions meurtirières ou dominatrice de l'autre. En effet boomerang: je te renvoies pacifiquement dans la tronche tout le mal que tu as voulu me faire.
C'est une attitude difficile, exigeante, beaucoup plus que celle qui consiste à frapper, tuer, éliminer physiquement.
Mais ne sommes-nous pas des êtres humains?
Gandhi est un symbole, il subjugue effectivement.
Comme le souligne Eric, il était très dur avec lui même, il luttait férocement contre ses pulsions (sexuelles entre autres).
Il y avait quelque chose de christique dans ses grèves de la faim: ma souffrance doit aider l'humanité.
sinon, Ã part le film de Richard Attenborough , qui n'est pas mal, pour en savoir plus:
"Cette nuit la liberté" de Dominique Lapierre et Larry Collins.une visoin occidentale, très documentée mais qui fait vraiment la part belle à Mountbatten. Disons un regard extérieur sur l'Inde.
Et , extraordinaire "Le grand roman indien" de Sashi Taroor, parodie du Maharabhata. beaucoup plus difficile à lire car demandant un minimum de connaissance du texte original, ou du moins la possibilité de comprendre les références. mais passionnant, très bien écrit, et surtout une vision indienne de l'Inde .
Ecrit par : céleste | 12.10.2006
@ Tous
Je pars en France pour quelques jours.
On se retrouve dimanche soir.
En attendant n'hésitez-pas à laisser des coms.
"Et en France qui désigne-t-on quand on demande quels sont les français célèbres " demande justement Brigetoun.
Phil parle De Gaulle et vous?
Ecrit par : céleste | 12.10.2006
puiser dans tous les courants religieux ou idéologiques la parole qui se rapproche de la sagesse, au delà des corporatismes ou clivages, écrire : "tous les hommes sont frères" mais qui oserait encore le faire ? il est certainement une des seules fiertés que l'on peut avoir d'appartenir au genre humain - merci Céleste
Ecrit par : daniel | 12.10.2006
Des Français célèbres, il y en a plein: Gilbert Bécaud, Mireille Mathhieu, Jacques Chirac, Alain Delon, pour ne parler que des artistes.
Ecrit par : Eric Mainville | 12.10.2006
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