La une des lecteursTous les blogsles top listes
Envoyer ce blog à un amiAvertir le modérateur

30.04.2007

Céleste à Paris : voyage dans le temps

medium_01-Paris-Celeste.jpg

10 heures

Le parfait alignement des tombes des cimetières de mon enfance, dans le froid piquant du premier novembre, quand il fallait aller en famille déposer des hortensias sur les sépultures de grands-oncles et de grands-tantes que je n’avais jamais connus, a toujours éveillé en moi un sentiment d’ennui mêlé d’angoisse diffuse.
Je n’aimais ni l’ordre artificiel infligé aux morts, ni les graviers gris, ni les fleurs en plastique coloré, ni la froideur lustrée du marbre.
medium_03-Paris-Celeste.jpg

Au Père Lachaise, j’aime le joyeux désordre des tombes, les pierres gravées, les arbres, les statues, les chants des oiseaux qui volettent gaiement.
Je ne ressens aucune tristesse à flâner dans les allées, mais au contraire une profonde et douce sérénité, la conscience d’appartenir à cette chaine humaine. Ils ont vécu avant nous, d’autres vivront après c’est ainsi.
Pas de tristesse, mais des moments d’émotion.
medium_02-Paris-Celeste.jpg
Devant la tombe de Pierre Desproges, simple, entourée de montants, comme un lit d’enfant recouvert de fleurs.
Et l’ironie :
« Pierre Desproges est mort et enterré, étonnant, non ? »
Il fait face à Chopin, l’amant romantique de Georges Sand, emporté à 39 ans par la tuberculose et dont le talent à traversé les siècles.
medium_04-Paris-Celeste.jpg

Plus loin gisent la divine Sarah Bernhard, la coquine Colette, Jim Morisson, caché derrière une stèle, Visconti, et tant d’autres, célèbres et anonymes, richement ensevelis ou allongés sous de simples pierres, comme Aimée, actrice des années folles, qui fut Frou Frou et Marceline, et dont je découvre le nom en balayant du bout des doigts les pétales et les feuilles séchées qui recouvrent sa tombe.
medium_05-Paris-Celeste.jpg

Plus loin encore, de jolies fesses rebondies apparaissent au milieu des branchages et une gracieuse jeune fille, joliment déhanchée, écrit éternellement sur le grand livre du temps.
medium_06-Paris-Celeste.jpg



13 heures
Rue de Cinq Diamants, nous retrouvons Fiso. Une belle rencontre due au web.

medium_07-Paris-Celeste.jpg

Attablés devant les copieuses salades basques de chez Gladines nous papotons longuement, de nous, de nos vies, des blogs et des voyages.


20heures
Affluence sur les boulevards, et un refrain de Montand dans la tête :
« J’aime flâner sur les grands boulevards
Y a tant de choses, tant de choses à voir »
Et Aimée, la Frou Frou, du Père Lachaise, m’accompagne. Elle trottine à mes côtés, mutine et coquette, ses frisettes blondes cachées sous un chapeau cloche piqué d’une plume. J’entends claquer ses petits talons, et je devine les œillades que lui lancent les gandins cravatés.
Elle a l’allure légère et la taille fraichement libérée du corset. Elle est grisette, actrice, chanteuse, modèle ou courtisane, elle est la « p’tite femme de Paris ».

21 heures

medium_08-Paris-Celeste.jpg


Diner chez Chartier.
Ni pour la nourriture, moyenne.
Ni pour la clientèle, touristique.
Mais pour le cadre, exceptionnel.
Construit en 1896 et désormais classé monument historique, le restaurant témoigne de la douce folie du début du vingtième siècle. Vitres et miroirs, lustres de cristal, cuivres brillants, tables de bois poli par les ans et ballet des serveurs en tabliers blancs.
Aimée venait-elle y diner en compagnie d’hommes épris de sa beauté ou de mécènes intéressés par la rondeur de ses seins ?


22 heures
La nuit est douce et les terrasses sont pleines.
Paris est bien belle ce soir !

27.04.2007

Céleste à Paris: Paname, version indienne

medium_1.3.jpg



10 heures
Dans la torpeur ennuyeuse d’une rue du XVI ème arrondissement, entre les luxueux immeubles et les jardins aux pelouses immaculées où s’affairent des jardiniers, une longue file patiente devant l’annexe de l’ambassade de l’Inde : futurs touristes, coursiers des agences de voyages, Français venus de Pondichéry qui, lorsque les comptoirs furent restitués à l’Inde choisirent de résider en métropole.
Ambiance indienne, attente interminable, employées en saris, aimables, ou non.
Nous en repartons trois heures plus tard, ma demande de visa enregistrée. Ouf !
medium_2.2.jpg


17 heures
Changement de décor, les rues entourant la gare de l’Est recèlent des boutiques d’alimentation, ou de « churindar kameez »  bariolés, des restaurants et  des magasins de DVD, le tout, made in India.
medium_3.3.jpg
Nous faisons provisions de films, les dernières productions de Bollywood, trois heures de ballets et paillettes, rires et larmes garantis. Du cinéma kitch et populaire, surjoué par de divines actrices aux œillades aguicheuses et aux déhanchement suggestifs donnant la réplique à de mâles acteurs bondissants. Un cinéma fait pour rêver, mais qui souvent, mine de rien, dénonce, le sort des femmes indiennes,  les injustices sociales, le poids des traditions, les luttes interreligieuses.
medium_4.2.jpg

Nous flânons dans les rues où les boutiques africaines côtoient les magasins de perruques multicolores et les restaurants turcs ou maghrébins.
Rue d’Enghien le siège du candidat Sarkozy arbore une immense banderole : « Ensemble, tout est possible »
Ensemble ?
En attendant les CRS patrouillent, matraque à la hanche. Curieux que le champion de la lutte anti sans papiers, le chantre de la discrimination positive, le nouveau héraut de la France aux Français ait choisi un quartier tellement coloré pour y poser sa base de campagne.
medium_5.2.jpg


19 heures 30

Dans le passage Brady, les restaurants indiens et pakistanais se succèdent, collés les uns aux autres, proposant tous le poulet tandoori, les nans et les plats aux curry. Traverser le passage  est une épreuve sympathique, certes, mais éprouvante. Devant chaque restaurant un serveur, à l’affut, veille. Il fond sur le passant pour lui déverser un éloquent boniment destiné à le convaincre que l’établissement dont il vante les mérites est de loin supérieur à tous les autres du Passage, et ils sont nombreux.
medium_6.2.jpg
Après avoir habilement esquivé le premier, nous succombons au discours du deuxième, et prenons place sur la terrasse des Rajpoutes.
La nourriture y est correcte, sans plus, mais observer le manège des serveurs, qui s’interpellent joyeusement en hindi chaque fois que l’un d’entre eux parvient à attirer un client est un régal.
Nous les suivons des yeux en nous amusant à imaginer divers camouflages permettant de leur échapper.


22 heures

Dans le métro qui nous ramène vers le XIII ème, j’entends sans écouter tout en écoutant, la discussion entre deux jeunes gens d’environ 18 ans assis dernière nous. Je ne vois pas leurs visages, mais elle a la peau noire et des cheveux crépus retenus par un bandeau, lui le teint rose et une tignasse blonde un peu ébouriffée. Elle parle sans arrêt, d’une voix joyeuse. Cet après-midi elle a eu une excellente note a un contrôle de maths, elle en est très contente. Puis elle parle de sa famille, d’un appartement trop petit où ils ont longtemps vécu, de là elle enchaine sur sa petite nièce a qui il faut mettre de la pommade sur les fesses car elle a des irritations.
« Moi aussi, quand j’étais petit, dit le garçon, j’étais très fragile, on me mettait des couches en soie ».
Et ils se mettent à rire.
Un garçon et une fille, gais et insouciants.
Peut-être sont-ils dans la même classe.
Peut-être sortent-ils ensemble.
medium_7.3.jpg


23 heures

Dans la station de métro, un homme allongé à même le sol, les vêtements noirs de crasse.
Il dort.

C’est aussi ça Paris, une ville où les très pauvres errent sans fin dans les rues indifférentes, fantômes ignorés, plaies douloureuses d’une ville, d’un pays ingrat, qui bien que se targuant d’être la cinquième puissance du monde renâcle à secourir les plus miséreux.


à suivre...

25.04.2007

Céleste à Paris (1)

 
medium_1.2.jpg
14.30
Long glissement silencieux du RER, le long des murs tagués, des tristes immeubles gris et des pavillons de banlieues cernés de jardinets où le printemps, soudainement surgi, a déposé lilas et glycines mauves.
medium_3.jpg
De Roissy au Châtelet, la population qui se succède sur les banquettes jaunes et rouges, varie au fil des stations.
Cadres voyageurs et touristes étrangers au départ de Roissy.
Africaines en boubous à la Courneuve.
Employés de bureau.
medium_4.jpg
Rappeurs et aguichantes beautés, blacks, comme le jeune couple qui s’assied face à moi. Il a le crâne rasé et un jean large qui dégouline sur son corps musclé, biscottos surdéveloppés, tatoués et lisses. Elle est ravissante, les seins pigeonnant dans un corsage, le jean moulant surmontant des sandales à hauts talons, rouges, comme le corsage, comme ses lèvres qui m’adressent un petit sourire quand nos regards se croisent. Lui ne sourit pas, il est l’homme.
Deux femmes africaines, cheveux cachés et longues robes, se laissent tomber sur une banquette. L’une des deux se tourne vers une jeune fille qui est entrée dans le wagon en même temps, elle l’apostrophe : « Oh, tu viens t’asseoir ? »
Mais la jeune fille, jean à taille basse, top moulant et bouclettes noires coupées court, fait mine de ne pas entendre, s’assied plus loin, et rajuste les écouteurs de son MP3 sur ses oreilles.
medium_2.jpg
Une femme capte mon attention, mes yeux restent rivés à elle, ravis par sa beauté et sa dignité.
Son boubou coloré, glissant sur ses bras, dévoile ses épaules nues d’un acajou satiné. Quelques éclairs blancs se sont faufilés dans ses cheveux  très courts, les longues boucles d’oreilles de grosses perles colorées sont assorties à un collier. Pierres et argent, comme les lourds anneaux qui enserrent son poignet. Elle met ses lunettes, lit, majestueuse, superbe.

medium_5.jpg

17 heures.
Dans le salon de thé de la grande mosquée de Paris, face au Jardin d’Acclimatation, les carreaux bleus et blancs apportent un peu de fraicheur à cette journée dont la chaleur soudaine et précoce surprend et enchante les parisiens qui ont déboutonnés leur cols et enlevé leurs vestes.
Les parisiennes, quant à elles, ont enlevé bas et collants pour exposer leur gambettes aux rayons du soleil. Elles trottent sur les trottoirs, jupes dansantes surplombant des jambes fines chaussés de petits escarpins.
Et tout en observant un moineau picorer les miettes de ma pâtisserie au miel et aux amandes je pense que mes amis italiens diraient : « Ce sont vraiment des françaises, comme Ségolène ! »
C’est vrai, des Ségolène, j’en ai vu plein aujourd’hui, marchant d’un pas pressé, un peu raides sur leurs talons, la tête fièrement levée, un peu pimbêches. Et je me rappelle d’une caricature parue dimanche soir dans un quotidien belge et que j’ai trouvée particulièrement pertinente. On y voyait un petit Sarkozy grimaçant face à une Royal glacée, la légende disait : « Le petit hargneux ou la grande pimbêche ? »
medium_6.jpg


21 heures
Dans un petit restaurant basque de la butte aux cailles, andouillette poêlée et patates fondantes.
Je découvre le treizième arrondissement, il faut dire que je connais peu Paris, n’y ayant jamais vécu.
La rue des Peupliers m’a enchantée, comme la rue de l’Espérance ou la rue des Cinq Diamants, qui fleurent plus la province que la capitale. J’ai pensé à Argenton sur Creuse et la maison de mes grands parents.
Dans le treizième arrondissement les Africains sont rares, la population est plutôt blanche, ou asiatique.

J’aime cette mosaïque vivante et colorée, d’autant que parfois les couleurs se mélangent, comme en témoigne mon jeune voisin du restaurant, les yeux en amandes, la peau d’une chaude couleur café au lait, les cheveux bouclés. Mélange d’Asie, d’Afrique, d’Europe, être humain universel.
medium_7.2.jpg


Alors je forme le vœu - c’est le moment ou jamais- que qui voudrait bouter hors de France les enfants venus d’ailleurs n’accède jamais, jamais, aux fonctions suprêmes.

Le métissage est une richesse, dont aujourd’hui, dans ce Paris que j’aime, j’ai pu contempler les facettes, les visages, si différents de ceux, unicolores, que l’on croise dans la bourgeoise et frileuse Bologne.

medium_8.jpg



A suivre…














18.04.2007

Du côté des "ragazzi"



Ce matin, j’ai fait faire à mes élèves italiens le test suivant : monvoteamoi


Je vous ai déjà parlé d’une partie d’entre eux et des textes sur le futur qu’ils avaient écrits. Aujourd’hui ils étaient plus nombreux, la classe était complète.

Après leur avoir présenté les différents candidats (sans émettre de commentaires) et les avoir situés sur l’échelle politique, je leur ai demandé de répondre aux questions du test, à leur rythme.

Lorsqu’ils ne comprenaient pas une proposition, je la leur expliquais.

 

Résultat :

Tout d’abord, ils ont adoré.

Ensuite leur réponses ont été réfléchies car pour tous, ou presque, les résultats ont été cohérents (c'est-à-dire que qui a manifesté une sensibilité de gauche a obtenu un résultat correspondant sur l’ensemble des candidats.)

 

Alors ?

Sur 22 élèves :
-    11 José Bové
-    5 Dominique Voynet
-    1 Bayrou (qui avant même de commencer s’était inquiété de savoir si il y avait bien un candidat du centre)
-    3 De Villiers
-    1 Nicolas Sarkozy
-    1 furax qui s’est retrouvé avec Sarkozy légèrement devant Ségolène Royal, alors que c’était elle sa candidate préférée.

Tous les autres m’ont affirmé, qu’autant qu’ils pouvaient en juger, le nom tiré du chapeau correspondait à leurs convictions, même si ils ne savaient pas qui était José Bové, le grand gagnant du jour.


Remarques :

Le nombre de candidats les a beaucoup amusés, ils pensaient qu'il n'y en avait que quatre.

Des résultats très tranchés, ou franchement à droite, ou franchement à gauche, propres à la jeunesse et à ses emportements.

Ils ont été très étonnés par la carte scolaire (qui n'existe pas en Italie) et intéressés par la réduction du temps de travail et les 35 heures.

Par contre les problèmes de caisse de retraite les ont laissés totalement indifférents, normal, à 17ans la condition de retraité est très très très lointaine.



Conclusion, sous forme d’interrogations :

Ces jeunes, ces "ragazzi" qui sont l’avenir de l’Italie, ont-ils compris que l’heure était grave et qu’il fallait immédiatement changer les systèmes en place ?

Combien d’entre eux auront complètement changé d’opinion dans  30 ans ?

Quels sont les choix des Français du même âge ?



12.04.2007

La reine du canapé

medium_06.jpg

A Santeramo, tout tourne. Les délicieux tarallis friables et parfumés, les blanches « mozzarelle » en forme de boule ou de nœuds (nodini), à la délicate saveur de lait frais, les « Santermani » en voiture dans la ville et à pied autour de la « Villa », la place de la bourgade, son cœur, son âme.
Longue, plantée d’arbres, semée de bancs, et entourée par une promenade, la Villa est la fierté de Santeramo, pas tant pour son esthétique, somme toute banale, que par l’extraordinaire animation qui la caractérise.
Le matin elle accueille les jeunes mères de famille dont la progéniture exécute ses premiers pas titubants sous le regard des anciens, exclusivement mâles, qui, fièrement campés sur leurs jambes, si leur vigueur le permet, ou posés sur les bancs, palabrent, observent ou somnolent dans la tiédeur des premiers rayons de soleil.
A l’heure du déjeuner la place se vide, les « nonni » (pépés) regagnent à pas lents et mesurés la « casa » où les « nonne » (mémés) leur ont concocté l’indispensable « pasta », les typiques « orecchiette », agrémentée de tomates, de haricots verts ou de « cime de rapa » (pousses de navets).
medium_02.jpg
Vers quatre heures, après la sieste, frais et dispos, ils investissent à nouveau les allées de la Villa et se répartissent sur les bancs, l’œil aux aguets, et quand moi, l’étrangère, la « francese », compagne d’un de ces nombreux émigrés qui ont quitté le sud pour étudier dans le nord, attirés comme des abeilles par la docte Bologna, la laborieuse Torino ou l’entreprenante Milano, et qui y sont restés, souvent contraints par des exigences professionnelles et leurs racines chevillées au cœur, bref, quand je passe avec Fabio, tous les regards se braquent sur moi, sans la moindre gêne ni discrétion, et j’y lis quelque chose comme « Ma da dove viene questa qua ? » (Mais d’où elle sort celle-là ?).
Plus tard arrivent les « ragazzi » (les jeunes) et tourne vire, les garçons derrière les filles et les filles derrière les garçons. Les couples se bécotent sur les bancs, mus par des pulsions amoureuses, qu’ici, on ne tolère point dans les maisons.
medium_03.jpg
Bientôt, les hommes, ayant fini leur journée de travail, se joignent à la foule. Ils se regroupent pour discuter, arpentent les allées, lorgnent les jouvencelles qui pépient et s’esclaffent pour un rien. Quelques familles en goguette, Monsieur, Madame et les enfants, tournent elles aussi dans soir désormais tombé.
Et la promenade collective se prolonge ainsi dans la nuit. Ils dîneront après, vers 10 heures, ici, on a le temps de flâner, on a gardé de l’occupation espagnole le goût de la promenade nocturne et des repas tardifs.
medium_05.jpg
En cette matinée du jour de Pâques, à la Villa, tous les Santermani se pavanent. Les hommes ont sorti de l’armoire les costumes sombres et les cravates bariolées, les femmes les robes à froufrou et les escarpins à talons.
Quant aux jeunes, ils sont habillés comme leurs congénères du nord les soirs de discothèque, pantalons en tissu brillant et paillettes.
medium_08.jpg
Je note au passage que le jean dégoulinant sur la pente descendante des fesses, tant prisé par les petits Bolognais n’est pas encore arrivé à Santeramo. Dans le sud, ce sont les femmes, les mères, qui veillent à l’habillement des hommes et leurs critères sont plutôt stricts.
medium_04.2.jpg
La foule bruisse et se meut, comme une rivière paisible. Les cloches de l’église égrènent quelques notes. Les enfants se poursuivent en riant.
On vit bien à Santeramo in Colle.
L’air y est sain.
Mais surtout, il y a du travail, ce qui dans le sud de l’Italie est assez rare.
medium_07.jpg
En 1959, Pasquale Natuzzi, un petit malin, natif de Matera, une ville voisine, a monté à Santeramo une petite fabrique artisanale de canapés. Portée par le sens naturel des affaires de son créateur et des conjonctions économiques favorables, l’entreprise, nommée Divani & Divani, a rapidement connu une expansion fulgurante et internationale. Elle s’enorgueillit d’être cotée à Wall Street et est considérée comme le numéro 1 mondial du canapé.
Les divans, fabriqués dans 11 usines italiennes, une brésilienne, une roumaine et deux chinoises sont exportés dans le monde entier, mais le siège principal est resté à Santeramo, assurant à ses habitants une richesse inusitée dans cette zone des Pouilles, car tous et toutes travaillent, directement ou indirectement, pour Natuzzi.
Alors Santeramo fait la belle et qu’importe que les « mozzarelle » de la toute proche Gioa del Colle soient plus réputées, ici, on a un emploi, une voiture neuve et lorsqu’arrive la saison des mariages, de Pâques à Septembre, on ne lésine pas sur les dépenses.
Mais les esprits chagrins et pessimistes s’inquiètent, des rumeurs de délocalisations circulent entre les arbres de la Villa, dans les ruelles bordées de maisons blanches, sur les terrasses des boucheries où l’on se régale de viande grillée.
Si Natuzzi part, le chômage sera au rendez-vous, et la ville, meurtrie et abandonnée devra tourner au ralenti.
medium_01.3.jpg

Et vous, connaissez-vous la région des Pouilles ?
Avez-vous des souvenirs ou des anecdotes ?

07.04.2007

Vendredi Saint : Via Crucis

medium_crucis01.jpg

19 heures, devant l’église principale de Santeramo in Colle, petite ville des Pouilles, indifférente aux circuits touristiques, sise, comme l’indique son nom, sur les collines, à une quarantaine de kilomètres de Bari, les villageois se sont rassemblés dans l’attente de la procession.
Bientôt, les hommes des confréries formeront le cortège du chemin de croix, et ce n’est pas une mince affaire.
Dans ce sud très dévot, la semaine de Pâques a gardé toute sa dimension divine et les fidèles préparent depuis des semaines les diverses célébrations.

medium_crucis07.2.jpg


Les voilà ! Descendant la via Anunziata, les premiers « Confratelli » arrivent. Vêtus d’une longue robe blanche recouverte jusqu’à la taille par une mini cape rouge bordée de fourrure blanche, le crâne recouvert d’un mouchoir blanc sur lequel est posée une couronne d’épines (car si l’on est pieux on n’est pas inconscient au point de se meurtrir le crâne) ils avancent d’un pas lent et digne. Le premier porte une croix surmontée d’un coq à laquelle sont suspendus des symboles de la crucifixion : l’échelle, la corde, le marteau, la flèche, et autres objets que je ne parviens pas à identifier, en queue de peloton quatre hommes portent sur leurs épaules un Christ sanguinolent lié à un poteau, dressé parmi des lys blancs.

medium_crucis02.jpg


A peine ont-ils atteint la grande place Garibaldi que, du Corso Roma, arrivent les jaunes de l’église San Giuseppe, leur Christ, drapé de rouge, se balançant au rythme des pas des porteurs, puis, leur emboîtant le pas, les verts, les quatre derniers d’entre eux ployant sous le poids d’une composition élaborée : Veronica épongeant le front du fils de Dieu, sous l’œil curieux d’un comparse à demi nu.
La longue file des violets, ordonnée suivant le même principe, à l’avant la croix, à l’arrière la statue, rejoint elle aussi la place devenue multicolore.
La voix du prêtre, relayée par des enfants de chœur portant des hauts parleurs sans fil, s’élève alors que les bleus, sortent majestueusement de la « Chiesa Madre ». Il leur revient la noble tâche de promener dans les rues de la ville le Christ allongé dans un cercueil entouré d’arums blancs et recouvert d’un fin voile de tulle brodé d’or ainsi que la madone vêtue de noir.
Tous les pénitents sont maintenant réunis et la procession peut commencer.
Au micro le prêtre précise, d’une voix digne où perce la fierté, que, pour la première fois depuis 54 ans, le chemin de croix se déroule le soir du vendredi saint et non le matin. L’événement doit être d’importance car la foule opine du chef en silence et les héros du jour se rengorgent de contentement.

medium_crucis03.jpg


Puis il indique l’ordre du défilé, en tête les violets, puis les jaunes, les verts, et ainsi de suite jusqu’aux schtroumpfs (l’homme des Pouilles, qui en aucun cas ne porte le nom de pouilleux, est de petite stature, de courtes jambes musclées soutenant un torse large, lui-même dominé par une trogne ronde, burinée par le soleil et ainsi, tout de blanc et bleu vêtu, le chiffon  immaculé sur la tête, la ressemblance avec les petits personnages de Peyo est irrésistible).
Le cortège s’ébranle alors que le prêtre, intarissable, commente les statues, assortissant ses propos religieux de quelques considérations personnelles savoureuses, dont celle-ci, au passage de la Madone agenouillée aux pieds de son fils : « La sainte mère, à genoux devant le Christ, dans cette belle position tellement féminine… ».
Il faut dire que la fête est essentiellement masculine, tout a été préparé et est exécuté par des hommes, les femmes étant reléguées au rang de spectatrices, groupies muettes et dociles qui se signent dévotement toutes les cinq minutes et dont le mouvement continu des lèvres indique la constante répétition de silencieuses prières. Puis, lentement, têtes humblement baissées, tenant par la main les enfants endimanchés, elles prennent la suite des hommes.

medium_crucis04.jpg


Le silence est et la ferveur sont tels qu’il me vient la peur que mon téléphone portable ne se mette à sonner, et emportée par le mysticisme ambiant je conjure le dieu des télécommunications de différer un éventuel appel.
Autant je peux être critique par rapport à l’institution catholique (comme à toute autre institution religieuse), par rapport à cette insupportable façon qu’ont les prêtres de manipuler les esprits en quête d’espérances et de certitudes, si absurdes et contraignantes soient-elles, par rapport aux dernières stupides allégations du pape et du chef de l’épiscopat italien (une bande de vieux puceaux en jupons qui entendent imposer leur point de vue rétrograde sur des choses qu’ils ne connaissent pas et n’ont pas vocation à connaître : la sexualité et l’éducation des enfants) qui affirment sans retenue que l’homosexualité est comparable à la pédophilie et à l’inceste et que reconnaître les droits des couples non mariés revient à détruire la famille et à condamner la société à des maux atroces, autant il me semble indigne de railler les fidèles dans leur foi.
Et puis qui donc est la vierge, sinon une femme qui, comme tant d’autres, a eu la douleur de voir son fils mourir sous la torture, tué par des fanatiques pour d’obscurs motifs religieux ?
Cette souffrance là me parle et me touche, comme m’émeut cette douce et triste Madone au manteau noir, la chevelure cachée par un repli du tissu, dont la silhouette, qui pourrait être celle d’une femme musulmane enveloppée dans une burqua, danse dans le soir tombant, au dessus des têtes sagement alignées.

medium_crucis05.jpg


Le chemin de croix suit son cours, marquant toutes les indispensables haltes du calvaire.
Une jeune fille chante, d’une voix claire et mélodieuse, d’interminables cantiques dont les pénitents et la foule qui grossit à chaque instant, reprennent les refrains.
Dans la nuit désormais tombée, la procession avance à la lueur tremblotante des cierges électriques et des bougies.
Pour nous c’est assez, nous n’accomplirons pas le long parcours, tout au long des ruelles sinueuses, qui ramènera dans deux bonnes heures, la procession à la place où les statues seront exposées.

medium_crucis06.jpg


Cette Italie du sud, fervente, naïve, pauvre, faite de paysans et de personnes âgées est bien différente de la riche et prétentieuse Italie du Nord qui surnomme avec mépris les enfants du sud « i marocchini ». Et ce clivage, qui perdure indéfiniment, contraint les jeunes à s’exiler dans les grandes villes du Nord, où, malgré leurs doctorats acquis grâce à des sacrifices financiers consentis par les familles, ils végètent dans des sous emplois mal payés en vivant jusqu’à 40 ans dans des appartements communs.
Et les gouvernements se succèdent, impavides et impuissants, car la politique, comme la religion, a des raisons que les peuples sont priés d’ignorer.

medium_crucis09.jpg
 

02.04.2007

Rapa, from Sierra Leone

medium_CIMG6301.jpg

Samedi après-midi, Rapa a sonné à notre porte. Comme d’habitude, il s’est assis dans la cuisine, il a mangé des fruits et nous avons bavardé.

Rapa est clandestin, sans papiers, il survit en vendant, porte à porte, des objets ménagers et des chaussettes à rayures qu’il trimballe dans un grand sac.
Je l’ai rencontré en bas de chez nous, un peu avant Noël. Nous avons discuté. Depuis, de temps en temps, il passe nous voir. Il s’assied à la cuisine, je lui donne à manger et des vêtements qu’il plie consciencieusement, je lui achète des chaussettes à rayures et nous parlons.
Au fil de ses visites, sa vie se dessine.

Elle est dure sa vie. Très dure.
medium_CIMG6305.jpg

Il est né il y a 24 ans dans un petit village de Sierra Leone. Quand il avait 9 ans la guerre civile a éclaté.
Elle a duré 8 ans.
Le nombre de morts se situe entre 100 000 et 200 000 et plus de 2 millions de personnes (le tiers de la population) ont été déplacées.
Enrôlés de force par les rebelles du RUF (Front Révolutionnaire Uni) qui étaient soutenus par le sinistre Charles Taylor, des milliers d’enfants, dont Rapa, arrachés à leurs villages, ont combattu pour une cause dont la complexité leur échappait totalement.
Souvent ivres ou drogués, les jeunes combattants se sont montrés d’une cruauté inouïe, massacrant ou mutilant leurs parents et leurs voisins. Avant de leur trancher le bras à la machette, les rebelles demandaient à leurs victimes : « Manche longue ou manche courte ? »
Cette guerre atroce avait un enjeu, et par n’importe lequel, un enjeu qui faisait saliver d’envie les affairistes internationaux : les mines de diamants.
Pour financer le conflit le RUF échangeait les pierres extraites par des travailleurs forcés, véritables esclaves, contre des armes proposées par les innombrables avides trafiquants qui écument la planète. Quant aux « diamants de sang », destinés à servir d’ornement à des rombières flétries ou à de riches héritières, peu soucieuses de connaître leur provenance, ils scintillaient dans les vitrines des joaillers internationaux ou dormaient dans les coffres des banques.
medium_CIMG6309.jpg


Rapa parle peu de la guerre, il dit simplement qu’il n’est pas beaucoup allé à l’école car il était enfant soldat, mais qu’il a eu la chance de pouvoir s’enfuir. Comme il a aussi eu de la chance, dit-il, de ne pas mourir dans le bateau qui l’a déposé sur les rives de Lampedusa, après deux jours de cauchemar sur la mer hostile et noire, entre la Lybie et l’Italie.
Avant, il avait traversé l’Afrique, à pied, marchant vers ce qu’il croyait être la terre promise.
Et l’Italie s’est refermée sur lui, comme un énorme piège dans lequel il erre depuis deux longues années.
Sans argent, sans papiers, sans identité, sans domicile.
Comme des milliers de jeunes africains, éparpillés dans une Europe qui oscille entre indifférence et hostilité à leur égard.
Parfois il dort dans un appartement tenu par un  Sénégalais qui, moyennant 10 euros,  propose à ces hommes de l’ombre et du silence un matelas jeté sur le sol et l’accès à une salle de bain et à une cuisine.
Mais quand il n’a pas d’argent, il dort dans la rue, sous un pont, derrière un banc ou un buisson, grelottant dans le froid de la nuit. Et le lendemain ses yeux sont rouges et son sac encore plus lourd.

Il est tout petit Rapa, avec un sourire éclatant et de grands yeux rieurs, il adore les clémentines, samedi, tout en parlant, il en a mangé six. Il avait bien besoin d’un peu de chaleur, la nuit dernière, alors qu’il dormait sous un pont, deux hommes « des marocains », l’ont agressé.

« J’ai eu de la chance, ils ne m’ont pas donné de coups de couteau » a-t-il dit en soupirant « mais il m’ont pris mon portefeuille et tout ce que j’avais dans mon sac ».Rapa est vendeur ambulant, un intermédiaire, africain, lui confie de la marchandise et il gagne un pourcentage sur les ventes. Donc il a dû passer un accord pour rembourser, petit à petit, les objets qu’on lui a volés.

Le voyant tristounet, je lui ai proposé de téléphoner à sa famille, il a secoué la tête, le numéro était dans le portefeuille qu’on lui a dérobé.
Et moi, comme une gourde : « Et tu ne le sais pas par cœur ? ». Il a souri et m’a expliqué gentiment que ses parents n’ont pas le téléphone (j’aurais pu m’en douter) et qu’il doit appeler l’épicerie du village en espérant que quelqu’un pourra prévenir ses parents de son appel.
Il ne leur a pas parlé depuis des mois.

Puis il a refermé le grand sac et l’a hissé sur son épaule. Je l’ai serré dans mes bras pour lui souhaiter bonne chance et en le regardant descendre l’escalier, petit Poucet perdu dans un monde qui l’ignore, j’avais le cœur serré.

Et comme après chacune de ses visites, la tristesse et la frustration m’ont envahie. Je ne peux rien faire pour lui et son sort, comme celui de pairs, me bouleverse.

Un jour ou l’autre des policiers l’arrêteront, le mettront dans un avion pour le renvoyer dans un pays qu’il a fui.
Ex enfant soldat, quel sort lui réserveront les autorités du Sierra Leone?
Mais s’il reste en Italie, quel sera son avenir ?
Et pourquoi Rapa ne pourrait-il pas avoir une vie moins dure?

Parce qu’il est pauvre ?

Parce qu’il est noir ?

Parce que des trafiquants de diamants occidentaux ont aidé des criminels à mettre son pays à feu et à sang ?

Parce que les mêmes criminels l’ont contraint à faire la guerre alors qu’il n’était qu’un enfant ?

Parce que dans ce monde imbécile les petits perdent toujours contre les grands ?

Ou parce que, ayant oublié le sens du mot solidarité, nous sommes en train de perdre notre humanité ?

medium_CIMG6311.2.jpg

Toutes les notes

 
Toute l'info avec 20minutes.fr, l'actualité en temps réel Toute l'info avec 20minutes.fr : l'actualité en temps réel | tout le sport : analyses, résultats et matchs en direct
high-tech | arts & stars : toute l'actu people | l'actu en images | La une des lecteurs : votre blog fait l'actu