5. Birmanie : pierres de sang

C’est, dans une ruelle qui jouxte le Bogyoke Central Market de Yangon, probablement le plus important marché, non officiel, de pierres précieuses d’Asie.

Andréa, aventurier italien, spécialisé dans le commerce des pierres précieuses nous l’explique. Installé à une table de la tea house qui occupe une bonne partie de la ruelle, il négocie avec des vendeurs .

Nous avons découvert ce curieux marché par hasard, en flânant autour de Bogyoke Market, un peu lassés de l’accumulation d’objets, de bijoux et de vêtements.
Plus exactement, nous nous sommes assis, sur les petites chaises en plastique coloré typiques des tea house birmanes, pour boire un café. Toutes les tables étaient occupées, par des hommes de divers types asiatiques. Le garçon est venu nous voir, un jeune Indien à la peau sombre ( probable descendant d’une des nombreuses familles du sous-continent expédiées en terre birmane au XIX ème siècle par les britanniques). Il a posé sur la table une théière et deux bols, nous avons commandé des cafés et nous sommes restés là, paisibles, à regarder les allées et venues des serveurs, tous Indiens, les passants qui se faufilaient entre les tables, les hommes assis autour de nous.

A toutes les tables, on discutait ferme. Plus exactement, on négociait et l’objet de toutes les discussions était le même : des pierres précieuses, enveloppées dans du papier, enroulées dans des tissus, dévoilées aux acheteurs, observées, soupesées puis prestement rangées, disparues dans une pochette ou au fond d’une poche, sorties à nouveau, scrutées, caressées.
Saphir, pierres de lune, rubis, améthystes.
Parfois apparaissait un bijou, un bracelet de jade translucide, finement ciselé, un collier de saphirs et de rubis.
Des liasses de billets changeaient de mains. Hochements de têtes, assentiments muets.

C’est alors que nous avons vu Andréa, seul occidental  de toute la rue, assis en compagnie de vendeurs. Comme nous le regardions, il nous a salué d’un signe. Intrigués, nous sommes allés lui parler.

Il achète des pierres et les revend en Inde, en Thaïlande, en Europe, au gré de ses voyages. Il n’a aucun doute sur l’authenticité des gemmes qui circulent entre les tables de la tea house. D’abord, il s’y connaît et l’homme qui l’accompagne, un expert, observe attentivement chaque pierre avec une petite lampe, ensuite, dans le marché voisin, il y a plusieurs centres officiels d’expertise, pour l’équivalent de cinq euros on peut savoir en quelques instants si le saphir en est un ou pas. Par contre, dit-il, on peut se faire avoir sur les prix, il faut négocier très longtemps, il faut avoir l’habitude.

« Quand j’achète, précise Andréa, je demande le certificat d’authenticité, pour être sûr, ensuite je le détruis avant de sortir de Birmanie. Comme ça je ne paye pas de taxe, si on trouve les pierres dans mes bagages, sans certificat, ça peut être n’importe quoi !  Après, j’ai mes circuits pour les revendre. »

Je lui demande d’où viennent tous ces vendeurs.
« Ce ne sont pas eux qui ont trouvé les pierres, ils les ont déjà achetées, à la mine »
-A Mogok ?
– Oui, à Mogok »

« Il y avait, disaient-ils, dans la Birmanie du Nord, bien au-dessus de Mandalay, parmi les hautes collines recouvertes de jungle, il y avait une vallée qui portait le nom de Mogok. Là-bas, du fond des âges et le long des ruisseaux, dans les entrailles des roches, au flanc des monts, reposaient, enveloppées dans leur robe de minerai brut, les rubis précieux.
là- et là seulement.
Car, en vérité, à travers le monde immense, sur toute l’étendue de la croûte terrestre, nul n’a jamais trouvé, nul n’a jamais connu- depuis que l’humanité a de la mémoire- un autre lieu pour receler des pierres qui ont à la fois la couleur de la flamme pure et du sang léger.
Tous les rubis dont parlent les textes les plus anciens, le Coran, le Cantique des Cantiques, les annales de la Chine et les sagas des Indes, tous ceux dont se sont parés depuis des temps immémoriaux princes, rois et empereurs, tous ceux qui ont enorgueillis diadèmes, tiares et couronnes, tous ceux que dissimulent encore les trésors des rajahs, tous jusqu’au dernier, jusqu’au plus antique, ils sont venus de Mogok. » a écrit Joseph Kessel dans « La vallée des rubis » en 1955.

Mogok, d’où viennent 90% des rubis de la planète.
Mogok, extraordinaire source de revenus pour la junte birmane.
Mogok, où les conditions d’exploitation des mines, inchangées depuis des siècles, sont les pires du monde.

« Un trou, béant au milieu, s’enfonçait dans les entrailles de la terre et par ce chenal un bruit sourd et monotone arrivait jusqu’à nous . 

Mon guide, pour donner le plus de lumière possible, se coucha sur le dos et tendit au-dessus du puits son poignet mince et dur auquel il avait accroché la lampe. Je ne pus retenir une exclamation. Quoi ! Devrais-je vraiment me confier à cette frêle perche de bambou, traversée à longs intervalles par des bouts de roseau juste assez larges pour un pied nu et qui oscillait dangereusement au-dessus d’un noir précipice.

L’amour propre seul décida…
Au bout de l’horrible descente, s’étirait une succession de niches qui étaient reliées l’une à l’autre par des couloirs tellement étroits qu’il fallait s’y traîner à plat ventre ou par des tiges de bambou affreusement légères et vibrantes, jetées sur d’invisibles abîmes.
Dans chacun de ces alvéoles, à la lueur blême des lampes-tempête, tantôt debout, tantôt agenouillé, un homme grattait les parois et le plafond avec une griffe de fer pour en détacher la sombre argile qui tombait dans un panier d’osier à forme de seau. On eût dit des termites au fond de l’enfer. » Joseph Kessel « La vallée des rubis ».

En 2007, un appel international au boycott des rubis birmans a été lancé. « Ces rubis sont rouges du sang de jeunes gens. » a déclaré Debbie Stothard, de l‘Alternative Asean Network on Burma.

J’ai eu beau chercher je n’ai trouvé sur Internet aucune indication sur la situation actuelle du boycott, ni sur les conditions de travail des mineurs. Probablement rien n’a changé , qu’importent aux riches amateurs de bijoux, aux créatures décorées de pierreries, le sang des jeunes Birmans

Quoiqu’il en soit, autour de nous les transactions vont bon train. Un homme nous propose des pierres. Il nous montre une améthyste. Elle est superbe, de belle taille, d’une teinte délicate, lumineuse. Nous demandons son prix :

« 500 dollars » répond le vendeur, ouvrant la négociation.
Certainement, après de longues discussions, il serait possible d’acquérir cette pierre pour beaucoup moins, pour une sommes dérisoire par rapport au prix de revente en Europe mais nous ne sommes absolument pas intéressés.

Au bout de la rue, ce sont les femmes qui vendent, assises sur le trottoir, leur marchandise étalée devant elles. Ce n’est pas ici que les choses sérieuses se passent, les pierres qu’elles proposent sont plus petites, moins onéreuses, un « sous-marché » en quelque sorte.
Pour nous il est impossible de distinguer le vrai du faux, d’autant que, nous dit Andréa, certaines imitations sont si parfaites que les bijoutiers occidentaux se laissent parfois piéger.

la vidéo:


 

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 commentaires sur “5. Birmanie : pierres de sang”