La une des lecteursTous les blogsles top listes
Envoyer ce blog à un amiAvertir le modérateur

07.04.2007

Vendredi Saint : Via Crucis

medium_crucis01.jpg

19 heures, devant l’église principale de Santeramo in Colle, petite ville des Pouilles, indifférente aux circuits touristiques, sise, comme l’indique son nom, sur les collines, à une quarantaine de kilomètres de Bari, les villageois se sont rassemblés dans l’attente de la procession.
Bientôt, les hommes des confréries formeront le cortège du chemin de croix, et ce n’est pas une mince affaire.
Dans ce sud très dévot, la semaine de Pâques a gardé toute sa dimension divine et les fidèles préparent depuis des semaines les diverses célébrations.

medium_crucis07.2.jpg


Les voilà ! Descendant la via Anunziata, les premiers « Confratelli » arrivent. Vêtus d’une longue robe blanche recouverte jusqu’à la taille par une mini cape rouge bordée de fourrure blanche, le crâne recouvert d’un mouchoir blanc sur lequel est posée une couronne d’épines (car si l’on est pieux on n’est pas inconscient au point de se meurtrir le crâne) ils avancent d’un pas lent et digne. Le premier porte une croix surmontée d’un coq à laquelle sont suspendus des symboles de la crucifixion : l’échelle, la corde, le marteau, la flèche, et autres objets que je ne parviens pas à identifier, en queue de peloton quatre hommes portent sur leurs épaules un Christ sanguinolent lié à un poteau, dressé parmi des lys blancs.

medium_crucis02.jpg


A peine ont-ils atteint la grande place Garibaldi que, du Corso Roma, arrivent les jaunes de l’église San Giuseppe, leur Christ, drapé de rouge, se balançant au rythme des pas des porteurs, puis, leur emboîtant le pas, les verts, les quatre derniers d’entre eux ployant sous le poids d’une composition élaborée : Veronica épongeant le front du fils de Dieu, sous l’œil curieux d’un comparse à demi nu.
La longue file des violets, ordonnée suivant le même principe, à l’avant la croix, à l’arrière la statue, rejoint elle aussi la place devenue multicolore.
La voix du prêtre, relayée par des enfants de chœur portant des hauts parleurs sans fil, s’élève alors que les bleus, sortent majestueusement de la « Chiesa Madre ». Il leur revient la noble tâche de promener dans les rues de la ville le Christ allongé dans un cercueil entouré d’arums blancs et recouvert d’un fin voile de tulle brodé d’or ainsi que la madone vêtue de noir.
Tous les pénitents sont maintenant réunis et la procession peut commencer.
Au micro le prêtre précise, d’une voix digne où perce la fierté, que, pour la première fois depuis 54 ans, le chemin de croix se déroule le soir du vendredi saint et non le matin. L’événement doit être d’importance car la foule opine du chef en silence et les héros du jour se rengorgent de contentement.

medium_crucis03.jpg


Puis il indique l’ordre du défilé, en tête les violets, puis les jaunes, les verts, et ainsi de suite jusqu’aux schtroumpfs (l’homme des Pouilles, qui en aucun cas ne porte le nom de pouilleux, est de petite stature, de courtes jambes musclées soutenant un torse large, lui-même dominé par une trogne ronde, burinée par le soleil et ainsi, tout de blanc et bleu vêtu, le chiffon  immaculé sur la tête, la ressemblance avec les petits personnages de Peyo est irrésistible).
Le cortège s’ébranle alors que le prêtre, intarissable, commente les statues, assortissant ses propos religieux de quelques considérations personnelles savoureuses, dont celle-ci, au passage de la Madone agenouillée aux pieds de son fils : « La sainte mère, à genoux devant le Christ, dans cette belle position tellement féminine… ».
Il faut dire que la fête est essentiellement masculine, tout a été préparé et est exécuté par des hommes, les femmes étant reléguées au rang de spectatrices, groupies muettes et dociles qui se signent dévotement toutes les cinq minutes et dont le mouvement continu des lèvres indique la constante répétition de silencieuses prières. Puis, lentement, têtes humblement baissées, tenant par la main les enfants endimanchés, elles prennent la suite des hommes.

medium_crucis04.jpg


Le silence est et la ferveur sont tels qu’il me vient la peur que mon téléphone portable ne se mette à sonner, et emportée par le mysticisme ambiant je conjure le dieu des télécommunications de différer un éventuel appel.
Autant je peux être critique par rapport à l’institution catholique (comme à toute autre institution religieuse), par rapport à cette insupportable façon qu’ont les prêtres de manipuler les esprits en quête d’espérances et de certitudes, si absurdes et contraignantes soient-elles, par rapport aux dernières stupides allégations du pape et du chef de l’épiscopat italien (une bande de vieux puceaux en jupons qui entendent imposer leur point de vue rétrograde sur des choses qu’ils ne connaissent pas et n’ont pas vocation à connaître : la sexualité et l’éducation des enfants) qui affirment sans retenue que l’homosexualité est comparable à la pédophilie et à l’inceste et que reconnaître les droits des couples non mariés revient à détruire la famille et à condamner la société à des maux atroces, autant il me semble indigne de railler les fidèles dans leur foi.
Et puis qui donc est la vierge, sinon une femme qui, comme tant d’autres, a eu la douleur de voir son fils mourir sous la torture, tué par des fanatiques pour d’obscurs motifs religieux ?
Cette souffrance là me parle et me touche, comme m’émeut cette douce et triste Madone au manteau noir, la chevelure cachée par un repli du tissu, dont la silhouette, qui pourrait être celle d’une femme musulmane enveloppée dans une burqua, danse dans le soir tombant, au dessus des têtes sagement alignées.

medium_crucis05.jpg


Le chemin de croix suit son cours, marquant toutes les indispensables haltes du calvaire.
Une jeune fille chante, d’une voix claire et mélodieuse, d’interminables cantiques dont les pénitents et la foule qui grossit à chaque instant, reprennent les refrains.
Dans la nuit désormais tombée, la procession avance à la lueur tremblotante des cierges électriques et des bougies.
Pour nous c’est assez, nous n’accomplirons pas le long parcours, tout au long des ruelles sinueuses, qui ramènera dans deux bonnes heures, la procession à la place où les statues seront exposées.

medium_crucis06.jpg


Cette Italie du sud, fervente, naïve, pauvre, faite de paysans et de personnes âgées est bien différente de la riche et prétentieuse Italie du Nord qui surnomme avec mépris les enfants du sud « i marocchini ». Et ce clivage, qui perdure indéfiniment, contraint les jeunes à s’exiler dans les grandes villes du Nord, où, malgré leurs doctorats acquis grâce à des sacrifices financiers consentis par les familles, ils végètent dans des sous emplois mal payés en vivant jusqu’à 40 ans dans des appartements communs.
Et les gouvernements se succèdent, impavides et impuissants, car la politique, comme la religion, a des raisons que les peuples sont priés d’ignorer.

medium_crucis09.jpg
 

Commentaires

hum Céleste, en bonne méridionale, souvenir des pélerinages sous la cagna pieds nu, cela fait partie de ma culture. Mais contrairement à toi le catholicisme d'un dominicain cultivé et curieux me fout moins la trouille que ce genre de ferveur. Je l'aime bien, beaucoup, je m'en méfie excessivement.
Et quand tu veux que le clergé ait un rôle néfaste c'est justement une de ses armes cette ferveur, et les anciens lieux de culte sacralisés

Ecrit par : brigetoun ou brigitte celerier | 07.04.2007

Merci de nous partager tout cela, cela nous fait voyager avec d'autres cultures.

Joyeuses Pâques.

D'une p'tite cousine du Québec, Canada qui aime vous lire.

@ plus et belle journée.

Ecrit par : Rosie | 07.04.2007

Railler les fidèles dans leur foi? Non, bien sûr. Mais les plaindre.

Joyeuses Pâques, Céleste.

Ecrit par : Marc | 07.04.2007

Photos supers, article super. C'est Paques, et c'est cool.

Sinon, ni raillerie, ni plainte. Les traditions, quand elles sont jolies comme ça, et quand en plus elles rendent des gens heureux, c'est chouette. En tous cas perso, j'aime bien.

Bonne journée

Ecrit par : falconhill | 08.04.2007

Bon lundi de Pâque ensoleillé

Attention à l'over-dose de chocolat

Ecrit par : irene | 09.04.2007

Juste un p'tit coucou en passant en ce mardi.

Bisous et belle journée, d'une p'tite cousine du Québec, Canada.

Ecrit par : Rosie | 10.04.2007

merci à tous!

je viens de rentrer, pas trop le temps d'écrire....demain, avec un peu de chance je réagis sur vos coms et peut-être même que j'arrive à écrire un nouveau texte....

Ecrit par : céleste | 10.04.2007

Je n'aime pas, je n'ai jamais aimé, le vendredi saint, ou Paques, ou Pessah. Trop de sang, trop de bétises, de violence.

Non, ce n'est pas pour moi...

Par contre, vive le chocolat !

Ecrit par : Bruno Lamothe | 10.04.2007

moi je n'avais pas beaucoup de goût pour les processions (effet de ma phobie de la foule) mais il me reste de mon adolescence mystique un petit tremblement devant la spiritualité sombre du vendredi saint. Pas de quoi me rendre religieuse mais l'idée de ce sacrifice est assez belle non ?

Ecrit par : brigetoun | 11.04.2007

Juste un p'tit coucou en passant en ce mercredi et pour te remercier de ta gentille visite sur mon blogue, très appréciée.

Belle journée et bisous, de ta p'tite cousine du Québec.

Ecrit par : Rosie | 11.04.2007

Amen...

Ecrit par : corinne | 11.04.2007

grosse fatigue....

Ecrit par : céleste | 11.04.2007

Repos nécessaire,alors!
dommage,tes écrits sont toujours aussi jolis!

Ecrit par : Cat | 11.04.2007

merci Cat!

en principe demain je devrais être en état d'écrire un petit texte pour vous parler encore de Santeramo, de l'Italie du Sud, si lumineuse...

Ecrit par : céleste | 11.04.2007

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

 
Toute l'info avec 20minutes.fr, l'actualité en temps réel Toute l'info avec 20minutes.fr : l'actualité en temps réel | tout le sport : analyses, résultats et matchs en direct
high-tech | arts & stars : toute l'actu people | l'actu en images | La une des lecteurs : votre blog fait l'actu