Dans la cabane sur la colline

Dimanche après-midi, comme prévu nous nous rendons chez Sunitha, Valéria nous accompagne, ainsi que Michela, à peine débarquée de l’avion, Tadeus, notre chauffeur traducteur préféré et Achu qui vient de terminer la deuxième leçon de flûte.
Le temps est au gris plombé, les nuages sont franchement menaçants et nous avons oublié les parapluies. Au bord de la route, bien avant l’embranchement du chemin qui mène à la maison sur la colline, Vivek et Vineeth nous attendent.
Un large sourire illumine le visage de Vineeth quand il voit le vélo, ligoté sur le toit du Maruti.

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Les enfants nous escortent sur le chemin, interminable et escarpé, qui grimpe à flanc de colline. Le ciel lâche mollement quelques gouttes, les voisins nous regardent passer, un chien pelé nous emboîte le pas.

Sunitha nous accueille devant la cabane, puis arrive sa belle-mère. Elle est aussi belle que dans mon souvenir, droite, mince – elle n’a probablement jamais eu la possibilité de grossir-  la démarche souple. Parfois un sourire lumineux éclaire son visage grave. Elle me serre dans ses bras, semblant contente de notre visite.
Puis, au moment où le mari de Sunitha, haute carcasse efflanquée, apparaît sur le pas de la porte, les nuages qui nous ont défiés tout au long du sentier décident de passer à l’acte en déversant des trombes d’eau qui claquent sur les feuilles des palmiers. Nous nous engouffrons dans la cabane.
L’intérieur est sombre, il n’y a pas d’électricité, pas non plus de possibilité de l’avoir, la cabane est trop loin sur la colline, et puis quand bien même ce serait faisable, la famille n’a pas d’argent pour payer l’installation. Sunitha et son mari nous tendent des chaises en plastique. Eux restent debout, les petits réfugiés dans la deuxième pièce, minuscule et encore plus obscure que la première. La cabane est propre mais envahie par une lourde odeur d’humidité, de moisi, de feuilles mouillées.

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Le mari de Sunitha nous sourit, maintenant que je le vois mieux je me rends qu’il est beau. J’avais imaginé un homme à l’apparence sombre, dure, il n’en est rien. Il est chaleureux. Son sourire est presque enfantin et malgré sa haute taille il semble fragile, fébrile aussi. Ses mouvements sont rapides et son regard papillonne.
Par l’intermédiaire de Tadeus, nous expliquons que nous sommes d’accord pour payer la caution et le loyer de la nouvelle maison. Puis nous déplorons le fait que Sunitha ne travaille plus. Il dodeline de la tête en souriant. Nous insistons en précisant que c’est important pour elle d’avoir un travail et qu’à l’atelier de couture tout le monde l’apprécie et regrette son départ.
L’homme semble acquiescer, puis il dit qu’il a trouvé un travail. Le matin, il passe dans les fermes pour prendre le lait et le porter à une coopérative (je crois).
Je le devine affaibli, marqué par ces années de prison injustes, par sa condition d’homme pauvre, aucun espoir de changer réellement sa vie et celle de sa famille ne lui a jamais vraiment été accordé, condamné aux petits boulots précaires, le golfe, ce n’est pas pour lui, trop humble, ne parlant pas anglais, sans argent pour payer l’agence de recrutement, le passeport, le visa. Ici, être un homme signifie trop souvent boire jusqu’à plus soif, jusqu’à en perdre la raison et devenir une brute qui frappe aveuglément la seule créature qui lui soit soumise, dévouée : sa femme.
Nous lui posons franchement la question : est-il d’accord pour que Sunitha travaille ?
Il répond oui en souriant.
Nous échangeons des regards complices, partageant la sensation d’avoir remporté une petite victoire.
« Ok, dit Tadeus, alors, nous attendons Sunitha demain matin à l’atelier »
L’homme grimace, semble réfléchir, puis répond que demain, ce ne sera pas possible, après-demain non plus, elle viendra seulement mercredi.
Tadeus demande pourquoi mais sa question reste sans réponse.
Alors il leur dit de contacter le propriétaire de la nouvelle maison afin que nous puissions lui payer la caution.
Sunitha rayonne, les enfants se mettent à rire, l’homme joint les mains à hauteur de son visage pour nous remercier.

Dehors la pluie a cessé. Le soir déploie son ombre, bientôt il fera nuit. Impossible pour nous d’affronter le chemin escarpé dans l’obscurité, nous devons partir.
Dernières salutations, remerciements, sourires.

Vineeth et Vivek nous accompagnent jusque la route, Sunitha et sa belle-mère aussi, nous tenant fermement par le bras pour nous empêcher de glisser dans la boue du chemin.

« Je crois qu’elle ne viendra pas » dit Tadeus, à peine sommes-nous assis dans la voiture.

A suivre…

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