Le sourire de Vandana Shiva

Parfois, lorsque j’étais enfant, ma mère m’emmenait avec elle faire les courses à Saint Benoît.
J’en étais ravie.
Le boucher avait les cheveux roux, il était grand, maigre et portait un long tablier blanc maculé de sang. Quand il ouvrait la porte en bois qui menait à la chambre froide je voyais, pendues à des crochets, les carcasses des bêtes qu’il achetait à l’abattoir.
J’avais un petit frisson de dégoût et de peur.
Il affutait ses grands couteaux et pendant que ma mère discutait avec la bouchère, une femme à la fadeur douce d’une fleur légèrement fanée, il découpait la viande et enveloppait les morceaux sanguinolents dans du papier marron.
Puis il disait : « Et avec ça Madame T. qu’est-ce que je vous mets ? ».
Nous repartions avec des steaks, des escalopes, une tranche de foie, ou, les jours de chance avec des ris de veau que ma mère faisait sauter dans du beurre jusqu’à ce que la chair en devienne fondante.
Nous allions ensuite à la COOP où l’épicier ôtait le crayon de son oreille pour faire le compte de nos achats : huile, vin, savon, allumettes, chicorée… Il additionnait les prix et ensuite déduisait celui les bouteilles vides que nous avions rapportées.
De temps en temps nous passions aussi dans une boulangerie acheter de la galette aux pommes de terre, un régal croustillant de pâte feuilletée mêlée de patates écrasées.
C’était tout car mon père avait un jardin potager et que les autres commerçants passaient dans notre village. Le pain arrivait quatre fois par semaine (ce qui faisait qu’un jour sur deux, ou presque, il fallait manger du pain dur que je n’aimais pas) et le poisson, directement de l’Atlantique, tous les vendredis.

Puis, à Châteauroux, à la fin des années soixante, un original audacieux, nommé Céron, a ouvert un supermarché.
Ce fut un bouleversement dans la vie des Castelroussins. Nous allâmes visiter ce lieu nouveau et y faire les premières emplettes. Je me souviens encore de l’abondance des marchandises proposées.

Peu à peu les supermarchés ont envahi les périphéries des villes et déployé leurs enseignes.
Il y eut des polémiques.
Certains olibrius dont la lucidité échappait au grand nombre s’insurgeaient contre cette nouvelle grande distribution. Ils dénonçaient pertinemment les risques encourus mais leurs mises en garde ne furent pas écoutées. Eblouis par une croissance que l’on pensait éternelle les clients se lancèrent à corps perdus dans la consommation de masse.
Qu’importait alors que la viande ne vienne plus de l’abattoir de la ville, que la bête n’ait pas été nourrie dans le champ du voisin mais que son cadavre ait traversé la France, voire même l’Europe pour arriver, débité en morceaux empaquetés de cellophane, jusqu’au chariot du supermarché.

Je pensais à tout cela hier, après avoir vu une émission d’Arte sur l’Inde.
Entre autres défis le sous-continent doit trouver un équilibre entre la diffusion des grandes surfaces et le maintien des petits commerces de proximité.
Favoriser la grande distribution signifierait priver de travail les paysannes qui vendent directement la production de leur ferme, les marchandes de poisson, les vendeurs de volailles, les petits artisans.

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Ce serait aussi développer la culture industrielle et condamner les innombrables petits producteurs indiens à la misère. Ce processus, déjà commencé et amplifié par l’utilisation quasi forcée d’OGM, a déjà conduit des milliers de petits paysans au suicide. Mais même si la pression du modèle économique dominant est forte les mouvements écologiques sont en pleine expansion.

Alors l’éclatant sourire de Vandana Shiva et son discours intelligent, vif, plein d’espoir me sont revenus en mémoire.

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Vandana Shiva est physicienne, épistémologue, écologiste, écrivain, docteur en philosophie des sciences, féministe et elle dirige la « Fondation de recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles »
Chef de file des écologistes de terrain et des altermondialistes, passionnée par la défense de l’agriculture paysanne et biologique, résolument opposée à la politique d’expansion sans limite des multinationales agro-alimentaires et aux effets nocifs des OGM, elle lutte contre le brevetage du vivant et la biopiraterie, c’est-à-dire l’appropriation par les firmes agro-chimiques transnationales des ressources universelles, notamment les semences.
Elle a fondé l’association « Navdanya », dédiée à la conservation de la biodiversité et la protection des droits des fermiers. La ferme de Navdanya, qu’elle a créée, est une véritable banque de semences modèles qui a permis à des milliers de fermiers d’Inde, du Pakistan, du Tibet, du Népal et du Bangladesh de redécouvrir l’agriculture « organique », entre l’agriculture paysanne et l’agriculture biologique.

Et j’ai pensé que l’Inde, la plus grande démocratie du monde, héritière parfois distraite de Gandhi, pouvait peut-être réussir à atteindre l’équilibre.

« Les peuples dits ” primitifs ” ont toujours possédé un sens de la cosmologie planétaire, comme si chacune de leurs actions impliquait la planète tout entière. Même les communautés les plus isolées ont toujours eu une vision cosmique de notre planète et d’un certain équilibre à préserver. En ce sens, le local a toujours englobé le planétaire » (Vandana Shiva).

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A’ lire le billet d’emcee

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