Spectacle

Un ex président, celui que nos votes ont éloigné du pouvoir, a annoncé son retour, sur un réseau social et ce n’est pas un hasard. Sur Facebook, on clique : « j’aime », je t’aime, je t’adore, je veux ton retour ô ex président bien aimé. Et les « j’aime » s’accumulent. Spectacle !

Sur les collines de Sderot, ils avaient apporté des chaises et des glacières emplies de boissons fraîches, des jumelles aussi, pour mieux voir l’impact des bombes, l’explosion des maisons de Gaza, la fumée, les ruines où erraient hagards les survivants. Ils plaisantaient. Applaudissaient parfois. Spectacle !

Leurs vidéos font le tour du monde, à toute vitesse. Des hommes otages que l’on décapite. En d’autres temps, les foules se pressaient sur les places pour assister aux exécutions capitales. Quand giclait le sang, des frissons d’effroi parcouraient le public, fasciné, hébété. Les barbares sanguinaires qui sèment la terreur au Moyen Orient connaissent bien la force des images. Spectacle !

La misère, ce vieux fléau de l’humanité que l’on pourrait désormais éradiquer si une réelle volonté de justice sociale animait les dirigeants politiques et économiques de ce monde, règne toujours dans diverses parties du monde, progresse sur de nouveaux territoires soumis à la guerre, aux changements climatiques, aux dictatures. La famine et la maladie l’accompagnent fidèlement et les objectifs des photographes immortalisent les larmes sur les joues creuses et sales des enfants affamés. Internet regorge de photos de bambins souffreteux, malheureux, perdus. Alors on clique « j’aime » on commente : « Quelle belle photo !!! » « C’est toi qui l’a prise ? » Quel talent ! » et on ajoute parfois « Quand même ça fait de la peine ces enfants tellement malheureux ». Mais on a fait quelque chose pour eux, on a cliqué « j’aime ». Spectacle !

Le sort que la Forteresse Europe, cette garce égoïste et cruelle, réserve aux migrants m’indigne particulièrement et l’acharnement de la France contre celles et ceux qui tentent de changer leur destin en fuyant des conflits, des dictatures ou la pauvreté, me mortifie. C’est une des causes qui me tient à cœur. Ce refus, ce mépris de l’autre, sa déshumanisation – est-ce encore un humain, cet être qui se cache dans les fourrés, qui parle une langue incompréhensible, qui mendie sa pitance ?- sont indignes de contrées se prétendant hautement civilisées. Alors bien sûr, nombreux sont celles et ceux qui se mobilisent pour aider les exilés, individuellement, anonymement, ou par le biais d’associations. Mais là encore, la mise en scène de la souffrance devient système. Loin de moi l’idée de critiquer l’association Médecins du monde qui accomplit un remarquable travail et dont par ailleurs je ne sais pas grand-chose mais à la vue de son site Internet, extrêmement élaboré, mon ami Gaspard Nocturne m’a fait remarquer : « Merci pour l’info, si importante. Mais ce traitement voyeuriste, cette esthétique publicitaire, est à la limite obscène, en tous cas contribue à faire qu’on va continuer à s’en foutre, tout est spectacle ! » Spectacle !

Je pourrais continuer longtemps, parler de ce président normal dont la vie privée fait le bonheur des gazettes, de ces medias qui se repaissent des faits divers crapuleux ou des sempiternelles apparitions télévisées de pseudos intellectuels qui ne reculent devant aucune provocation pour faire grimper l’audimat, « j’aime », « j’aime », « j’aime ».
Mais à quoi bon. Il me suffit de conclure mon texte en citant Guy Debord :
« Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. »
« À mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil. » (La société du spectacle)

merdephoto prise à Marseille en février 2013

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