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13.06.2009

Quand j'étais maîtresse, Michael



Michael a de grands yeux sombres et le regard fixe. Il redouble le cours préparatoire. Il ne sait pas lire. Il ne connaît que quelques lettres. Il a toujours le sourire.
Il est beau.
Par je ne sais quel odieux miracle Michael est arrivé jusqu’au C. P. sans que son cas n’émeuve qui que ce soit.
La première à réagir a été la maîtresse de l’année dernière.

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07.06.2009

Quand j'étais maîtresse: Alexandre

Quelque part en France, il y a longtemps.

Elle vit avec ses trois enfants, leur père, chômeur-alcoolo-violent l’a partiellement abandonnée (c'est-à-dire qu’il lui tombe dessus une fois de temps en temps pour lui voler le peu d’argent qu’elle a, la frapper et la sauter ce qui fait qu’elle est à nouveau enceinte). Elle a 25 ans. Elle passe ses journées à nettoyer le sol du centre commercial voisin (technicienne de surface comme le précise son badge, au cas où quelqu’un se demanderait pourquoi elle a une serpillière à la main du matin au soir). Elle est Capverdienne. Elle maîtrise mal le français. Elle sait à peine lire.

 

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12.12.2008

Quand j'étais maîtresse: Clara (3)



Et puis les semaines se sont écoulées. J’ai veillé sur Clara. Sa mère est revenue plusieurs fois pour parler avec moi, la démarche titubante et la parole embarrassée mais plus détendue. Il me semblait que, peu à peu, je gagnais sa confiance. Elle m’a expliqué les difficultés financières qui faisaient que les séances d’orthophonie étaient toujours repoussées.

Parfois Clara va mieux, parfois elle va encore plus mal.
Couchée sous sa  table, roulée en boule dans un coin de la cour...
Enfant objet elle est la victime naturelle et consentante des autres. C’est toujours  elle que l’on porte, que l’on traîne, que l’on pousse, que l’on rudoie, c’est d’elle dont  on rit, c’est elle que l’on accuse de toutes les exactions : voler, abîmer, salir...lire la suite

Quand j'étais maîtresse: Clara (2)


Deux jours plus tard, la maman de Clara, que je n’avais jamais vue, est venue la  chercher à l’école...
C’était une femme entre deux âges à la beauté fanée, l’haleine lourde de relents d’alcool.
Elle en était imprégnée.
Elle butait sur les mots.

J’ai pensé aux monstres tapis dans la chambre, aux morsures, aux taches d’encre, à la diarrhée verbale, aux vêtements déchirés, Clara poupée de chiffon...

Elle a raconté, d’une voix mal assurée : ...lire la suite

11.12.2008

Quand j'étais maîtresse: Clara (1)

Jeudi 9h30, dans une classe de CP, il y a longtemps.

Absorbée par l’écriture d’une phrase, Laura a provisoirement laissé son chagrin de côté et les larmes de Naïma ont séché.

Mais pendant que je tentais de les consoler, Clara a consciencieusement gribouillé  sa page d’écriture. Elle a caché les mots, traçant maladroitement des monstres, des  mains griffues et des formes ressemblant à s'y méprendre à des testicules hérissées de piquants surmontant des phallus géants.
Elle pépie :
« - La maman ce matin il a modu le petit chien hihihihi !... Eh, elle m’interpelle, eh! Tu sais le petit chien la maman il l’a modu le petit chien niak ! Modu le petit chien, tu sais Douce il a modu le petit chien maman y s’est  fâchée il a tapé Douce hihihi ! »

Tenant toujours la petite main brune de Naïma, je tape doucement  sur la table de Clara, elle a un petit sursaut, puis elle rit ...hihihihi !

Clara va très mal.
Pénélope désespérée elle salit, détruit sans fin le travail qu’elle a accompli...lire la suite

04.02.2007

Quand j’étais maîtresse (2)


Naïma


Ce ne sont pas des larmes mais des flots déchaînés, des fleuves en crue qui se déversent sans fin, sans mesure, dévastant son visage de madone. Elle suffoque et se répand, par le haut, par le bas, par la bouche, le nez, le ventre.
Et telle est l’ampleur de ce chagrin que nul n’ose bouger, que nul n’ose parler et que tous la regardent, figés.
Elle est la douleur.
Elle pleure, intarissable source de désespoir.
Elle pleure et j’en frissonne…
C’est malheureusement habituel et je ne sais pas le pourquoi de cette incommensurable peine.
J’ai parlé avec Naïma, avec le père de Naïma : «Elle est très sensible ma fille, à la maison aussi ... ».
J’ai questionné.
« Non y a pas de problèmes, tout va bien, elle est heureuse ma fille, elle est sensible, elle aime pas la cantine... Sa mère aussi elle est sensible... les femmes quoi...»
J’ai parlé avec la mère de Naïma : « Elle aime pas la cantine. Elle est sensible. Et pis y a les petits, j’ai pas beaucoup de temps pour m’occuper d’elle... »
Et oui, Naïma a trois petits frères...
    
J’ai parlé avec la maîtresse de l’année dernière: « Ça m’étonne, elle était tellement joyeuse dans ma  classe ! »
Le travail en équipe est un art extrêmement délicat et je n’ai pu obtenir de ma collègue autre chose que de lourds sous-entendus indiquant que j’étais vraisemblablement la seule et unique cause de ce désastre.
Bon d’accord, je ne suis pas parfaite, il peut m’arriver de parler fort, de vitupérer, voire même de crier mais de là à provoquer un tel cataclysme !
J’ai pris note, après tout il n’est jamais vain de s’interroger sur soi-même.
J’ai parlé avec la responsable de la cantine : «Oui, Naïma pleure, à la cantine, et au centre aéré du mercredi, oui l’année dernière aussi... non on ne sait pas pourquoi, et puis ce n’est pas tout le temps. On s’est renseignés, apparemment il n’y a pas de problème, c’est difficile d’en savoir  plus... »
Et puis quand Naïma pleure, au centre aéré, un animateur vient s’en occuper, on la dorlote, on lui parle, on a le temps…
    
Pas  moi.
Je suis seule, ils sont vingt-cinq.
Et Naïma pleure.
Naïma vomit son désespoir.
    
Je ne sais pas pourquoi. Mais je sais que Naïma, ses parents et les trois petits frères vivent dans deux pièces. Je sais qu’elle est l’aînée, la seule fille, qu’elle doit aider. Je sais la tristesse de sa mère, sa jeunesse si vite éteinte. Je sais la nervosité du père, ses colères, ses cris, trop d’heures de travail, pas assez d’argent, trop de responsabilités, pas assez de temps, et cette belle femme qui pleure et cette enfant qui pleure aussi…
    
C’est vrai, elle ne pleure pas tout le temps, elle pleure parfois.
La première fois j’ai tout essayé, ou presque tout.
Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai serrée contre moi, elle a arrêté de pleurer, j’étais  contente.
Je l’ai lâchée.
Elle a recommencé.
Moi aussi.
Elle a arrêté.
Je l’ai lâchée.
Elle a recommencé.
J’ai pensé : «On ne va pas passer la matinée comme ça ! »
Je l’ai laissée pleurer.
Elle a pleuré si fort que la classe était remplie par ses sanglots, si fort que je ne pouvais plus parler.
Je l’ai accompagnée aux toilettes, je lui ai donné à boire, je l’ai débarbouillée, je lui ai fait un bisou, je l’ai ramenée à sa place.
Elle a recommencé.
Les autres s’impatientaient, on s’habitue à tout, même à tant de souffrance.
J’ai tenté de la raisonner: «Enfin  Naïma, tu es une grande fille, plus un bébé, il faut me dire pourquoi tu pleures, quelqu’un t’a embêtée ? Tu as mal quelque part ?  Non ? Alors arrête de pleurer comme ça, Naïma, tu m’entends ? Tu peux avoir confiance en moi, parle moi !»  Peine perdue.
J’ai essayé de la faire rire.
Je lui ai proposé, gentiment, d’aller voir le directeur, le cher homme, porteur d’un don divin ou supposé tel, magnétise les bobos, (l’éducation nationale est un vaste  fourre-tout, on y trouve un petit peu de tout, y compris des guérisseurs) bref, le magnétisme étant aussi une marque d’intérêt bienveillante, pourquoi pas ?                                    
Elle a fait non avec la tête.
    
Je lui ai proposé, à contre cœur, d’aller voir la maîtresse de l’année passée (cette garce est aussi la directrice de l’école maternelle et la femme du directeur magnétiseur).
Elle a dit non avec sa bouche et moi j’ai pensé « Tant mieux ! ».
Alors j’ai proposé en vrac: les petits frères, le cuisinier, les  femmes de ménage… et toutes les personnes de l’école qui me sont naturellement sympathiques...
Elle disait toujours non.
Je me suis fâchée :
«Bon, maintenant ça suffit, on ne vient pas à l’école pour pleurer, tu es une grande fille. Alors tu arrêtes, tu te calmes et tu travailles, comme tout le monde, sinon tu vas pleurer dans l’atelier toute seule parce qu’on a plus envie de t’entendre... »
Elle s’est levée, titubante, elle est sortie de la classe, elle s’est assise dans l’atelier,  elle a pleuré, pleuré, pleuré...
Et moi j’ai craqué.
Je suis allée la chercher, j’ai pris sa main brune et je l’ai gardée, et puis j’ai expliqué la leçon, sa petite main moite recroquevillée dans la mienne.
Elle ne pleurait plus.
J’avais peur de la lâcher, elle aussi avait peur, parfois ses doigts se crispaient contre ma paume. Elle me suivait, docile, anesthésiée.

Et puis, comme un rayon de soleil après la bourrasque, elle m’a souri. Elle a lâché ma main, elle est retournée s’asseoir à sa place et elle a ouvert son cahier.     

Alors maintenant, quand Naïma pleure, je ne passe plus par toutes ces étapes, je compte une minute, on ne sait jamais, puis je lui tends la main.

Donc, ce matin, je ferai classe avec Naïma.

Parfois la ballade est de courte durée, dix ou quinze minutes, parfois elle dure une heure, aujourd'hui, compte tenu de l’incident Laura, je ne suis pas optimiste...

01.02.2007

Quand j’étais maîtresse (1)

 

Laura 

8h30, mardi classe de C.P.

Laura pleure, sans bruit. De grosses larmes ruissellent sur ses joues. Son nez coule.  Elle renifle. Laura a mal, mal au ventre ou au genou. Elle se lève, titube jusqu’à moi, enfouit son visage mouillé dans ma robe, s’arrime à mon ventre, crispant ses petits doigts sur le tissu.
Je la berce.
« - Laura, Lolo, qu’est ce qu’il a ? Tu as mal quelque part ?
-Mmf... mmf ... au… au… au… mmf ventre ... »

Je m’en doutais bien.
« - Tu as mangé ce matin ? Tu as fais caca ?
- J’ai pas... mmf... mmf... mmf... man-mmf-gé...
- Tu as dit à maman que tu avais mal au ventre ?
- Nooon... maman ce matin elle a pleuré... »

Silence de la part de Laura, le reste de la classe aurait plutôt tendance à s’échauffer, puis la petite voix, hoquetant :
« - Hier papa il a cassé l’armoire de Ben à coups de pied et pis... mmf... mmf... et pis, il l’a frappé… et pis Ben il a pleuré mmf... mmf... et maman aussi elle a dormi sur le canapé... et pis ce matin elle a dit qu’elle voulait divorcer... »
Encore !
Je tente de l’apaiser.
« - Et toi tu t’es fait du souci pour maman, et pour Ben, tu as eu peur, c’est normal d’avoir peur, mais peut-être c’est ça qui te fait mal au ventre, la peur. »

Je frotte son ventre avec ma main, doucement, en cercle… peu à peu sa respiration se calme, je continue mon discours:

« - Je sais que toutes ces choses sont très difficiles à vivre. Les histoires des grandes personnes sont parfois très compliquées, mais toi, Laura, tu es une petite fille adorable, et je suis sûre que ton papa et ta maman t’aiment beaucoup, et ce n’est pas à cause de toi qu’ils se disputent. Maintenant, il faut que tu sois grande et courageuse, il faut arrêter de pleurer, aller t’asseoir à ta place, et travailler. Je ne peux pas passer la matinée à m’occuper seulement de toi, tu vois les autres ne sont pas sages, et puis si tu restes agrippée à moi je ne peux même pas marcher, tu te rends compte de quoi ça a l’air une maîtresse qui ne peut pas marcher ? »
Elle m’adresse un misérable petit sourire.

OUF !
    
Enfin, presque parce que les autres sont en effet loin d’être sages !
Pierre et Arnaud, debout, s’affrontent la règle à la main. Olivia et Marina se disputent à grands cris un feutre fluo qui vient-de-ma-maison-c’est-ma-maman-qui-me-l’a-donné-tu-peux-lui-demander, argument irréfutable, employé simultanément par les deux protagonistes. Clara, dressée sur sa chaise adresse à la foule un interminable et incompréhensible discours que de toute façon personne ne cherche à comprendre. Malik, profitant de l’ambiance chaude du moment, tente de s’emparer du paquet de chips d’Ycham, celui-ci, s’apercevant subitement du larcin, se jette désespérément sur son bien et tire, de toutes ses forces, le sachet se déchire, les chips se répandent sur le sol. Alexandre, renversant sa chaise, se précipite pour les manger.
Il est 8h45.
Ca suffit.
Je soulève Laura et je la pose à sa place. Je dis, fort :
« Bon maintenant c’est terminé, Marina assise, le feutre je le garde, je vous le rendrai quand vous serez d’accord, Arnaud et Pierre, vous posez les règles sur mon bureau, ce ne sont pas des armes, et puis de toute manière ici on a pas le droit de se battre, Malek je suis très fâchée, j’ai très bien vu ce que tu as fait, et c’est très vilain, alors tu vas aider Ycham à ramasser ses chips ensuite tu sortiras ton cahier rouge pour que j’écrive une punition. Alexandre tu vas  t’asseoir… »
    
Petite pause.
« Silence, tout le monde ! Bras croisés, tête sur les mains ! Une minute de repos sur la table ! Non Rémi je n’ai pas dit les mains sur la tête, j’ai dit la tête sur les mains, pour se reposer ! Voilà, comme ça, parfait ! ».
Je continue à parler en baissant la voix, je leur explique que puisque maintenant ils sont très sages on va pouvoir travailler.
Le calme...
Presque le silence...
Manu distribue les cahiers, esquivant habilement les pieds tendus et les doigts crochus. Il se trompe de Kevin (y en a deux, merci le cinéma américain) rectifie, commente sa méprise à voix haute. Chacun sort son matériel : feutres et crayons mâchonnés, dévorés, les traces des dents gravées dans le bois et le plastique,  stylos aux pointes écrasées, tordues, avachies, stylos vides et stylos fuyants « Maîtresse y coule partout y en a plein mon cahier ». J’opère une rapide vérification des outils de travail, il faut avoir l’œil à tout.
Les cahiers sont ouverts, les bras sont croisés, 40 yeux me regardent, les propriétaires des 10 autres ont d’autres soucis, je ne me plains pas, 20 auditeurs de 7 ans attentifs et disponibles en même temps c’est presque un record.

Comme chaque matin je vais écrire au tableau une phrase, leur phrase, collective ou individuelle, selon l’humeur, la phrase du jour. Ce matin, influencée par le chagrin de Laura, la discussion s’engage sur le douloureux terrain des rapports familiaux. Chacun y va de sa complainte. Malheureusement, excepté les vantards désireux d’apporter une fausse contribution au désarroi , les autres n’expriment que la triste vérité : parents violents, alcooliques, tristes, démunis, excédés, les coups et les injures qui paralysent les enfants, les larmes des mères.

Je compte 5 minutes, pas une de plus, 5 minutes de leurs vies quotidiennes,  l’école c’est aussi fait pour oublier.

Je tranche. La phrase sera simple : « Ce matin, Laura est très triste ».

Les enfants épellent les mots, on en profite pour réviser les sons, l’ambiance est décontractée, mais néanmoins studieuse, tout baigne, petit moment d’autosatisfaction...
Ils copient.
Ils copient.
Le silence...
Le silence...
J’arpente la classe.

Ils aiment écrire, sécurisés par les grosses lignes, absorbés par le geste de la calligraphie, pour la plupart consciencieux, pour la plupart indifférents au sens des mots, ils copieraient tout aussi bien de l’anglais ou de l’italien, très peu font le lien entre l’écrit et l’oral. Le sens leur échappe ou plutôt, ils ne se posent pas la question du sens. Ils écrivent, entièrement voués à cette tâche qui efface tout le reste...
Ils écrivent, penchés, tordus, le nez sur le cahier, la main sous la table…
Je les redresse, les encourage, tout travail doit être reconnu, les plus maladroits recommenceront, les cochons et les trop-rapides aussi, il faudra attendre les lambins... Mais tous ont, malgré tout, le souci de bien faire, l’envie de réussir, d’être félicités. En début d’année, le critère rapidité prévalant sur tous les autres, ils faisaient la course, maintenant ils savent que maîtresse « œil-de-lynx » n’aime pas les excités de l’écriture.
Le calme.
Le silence.
Bien être.
    
Puis un sanglot, énorme, incongru, gigantesque : Naïma pleure…

 

à suivre 

 
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