Chacun chez soi

Je marche dans les rues le long des portes closes, des portails hermétiques, des murs et des grillages.
Pas un enfant ne joue dans les ruelles désertes. Et pourtant, dans ce chemin piéton recouvert de goudron, comme il serait amusant de courir, de pédaler, de jouer à cache-cache.
Soudain je suis fillette, je sautille d’une case à l’autre de la marelle (on disait passe-carreau qui nous menait au paradis, sur un pied, puis sur l’autre, essoufflées et ravies). Je jongle avec des balles, les lançant contre le mur rugueux, main droite, main gauche. La corde siffle à mes oreilles, je rebondis en rythme, de plus en plus vite, de plus en plus vite, les joues rougies par l’effort, décidée à battre un record établi hier par Maryline ou Nicole.
Et les garçons là-bas, nous épient en riant. Avec eux, nous jouerons au chat, à la cachette, aux gendarmes et aux voleurs et quand l’élu de mon cœur, au terme d’une course folle, me serrera contre lui, à plein bras, fier de sa conquête, un frisson me parcourra. A moins que ce ne soit le contraire et que, victorieuse et émue, je saisisse un instant sa main.

Plus la demeure est cossue, plus le mur est haut. Les museaux pointus des caméras, dardés sur les passants,  me donnent envie de pirouetter, de grimacer.
Chacun chez soi, enfermés.
Reclus dans les cages qu’ils ont eux-mêmes construites, les villageois s’ennuient, s’aigrissent.
A la fenêtre d’un pavillon, j’aperçois un enfant blond. Le front appuyé contre la vitre, immobile, il regarde au dehors. A-t-il un instant délaissé l’ordinateur, le jeu vidéo, la télévision, pour rêver à une autre vie ?
Pour imaginer un village où les enfants, libres et joyeux, empliraient l’espace de leurs jeux et leurs rires ?

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