Le déluge

Aux Arcs, les soirs d’été, on flâne sur la place. Les jeunes, assis nonchalants sur les marches du kiosque et les chibanis, installés sur les bancs devant la mairie, goûtent la douceur des interminables crépuscules.
Sous les arbres, les bars disposent les tables et les chaises et on sirote un dernier verre pendant que les enfants tournent à vélo ou en patins à roulettes.
Rires et éclats de discussion. Cris joyeux des bambins.
Et chacun savoure ce moment de paix, quand la chaleur de l’été provençal devient tiédeur parfumée.

C’est ainsi que ne nous avons découvert le village, il y a juste un an, et que nous avons décidé, pour quelques temps,  d’y poser nos valises.

Mais soudain, le 15 juin, cette indolente sérénité a été  engloutie par des flots d’eau boueuse.

Le Réale est un ruisseau qui durant des années a gentiment traversé le village, entrant sous un pont avant de s’enterrer pour couler sous la place, le parking et l’amphithéâtre  et retrouver l’air libre dans un jardin, loin après toutes les constructions.

Le 15 juin, gonflé par une absurde quantité de pluie, le ruisseau est devenu un torrent déchaîné, emportant tout sur son passage, terre, pierres, branches, arbres. Et il a tout cassé. D’abord le pont, la rue et quatre maisons, éventrées, explosées. Entrainant les meubles et les objets dans un tourbillon dément.

Puis il a brisé l’asphalte de la place, creusant un énorme trou. Une plaie béante. Il a projeté les voitures dans les murs, les vitrines, les arbres ou les unes dans les autres. Elles se sont entassées, encastrées. D’autres ont été précipitées dans le vide.
Il a dévalé la rue principale, submergeant les commerces.
« J’étais assise là, explique Marie-France, devant mon ordinateur et puis j’ai vu l’eau rentrer dans mon agence. Je me suis levée, j’avais de l’eau aux chevilles, puis aux cuisses, à la taille. Je ne croyais pas ce que je voyais. Je suis sortie de l’agence à la nage. Je m’agrippais partout. Je suis montée au premier étage de la maison à côté. »
Elle raconte la peur, l’incompréhension. L’attente.

Puis l’eau est partie. Elle a laissé la boue. Partout.

Une catastrophe pour le village. Autant sociale qu’économique. Ici, on avait son boucher, son boulanger, sa coiffeuse. Et même la maison de la presse. Les gens se connaissent, se saluent, se parlent et ils en sont contents. Ça se voit.

Alors un énorme élan de solidarité a réuni les habitants. En deux semaines le village a été entièrement nettoyé, chacun aidant l’autre. Tous en sont heureux et fiers. Parfois même ils s’en étonnent.

Mais, aujourd’hui, malgré cet immense travail, seuls quelques commerces ont rouvert. Pour les autres il faudra, peut-être longtemps, attendre les décisions des assurances et les remboursements. Puis reconstruire. Boucher les fissures, parfois béantes, qui lacèrent les murs. Arracher les tentures moisies. Couvrir les murs de couleurs neuves et lisses.
Maintenant que l’urgence est passée, les Arcois, épuisés par les énormes efforts qu’ils ont accomplis, sont fatigués. Beaucoup sont inoccupés aussi. Plus de boutique, plus de maison, plus de travail, plus de voiture, plus rien.
Et la douleur d’avoir tout perdu, profitant de la fatigue et de la chaleur, ressurgit soudain, comme une vague de larmes.

Sur la place les bars ont rouvert mais à côté du kiosque, la béance, énorme, presque indécente, rappelle sans cesse ce terrible après-midi de juin, quand le déluge s’est abattu sur la ville.

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