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Petite histoire d’un abus de pouvoir ordinaire

C’était samedi soir vers 23 heures, Cléo, ma fille, 19 ans et cheveux au vent, a pris un bus de l’ATC (la compagnie de transport bolognaise) pour se rendre chez une amie.
Elle n’habite pas loin sa copine, seulement deux arrêts de bus, 3 minutes de trajet, mais Bologne a beau être une ville plutôt sûre, mieux vaut quand on est une jeune fille ne pas être seule dans la rue à une heure tardive.
Pas de chance, la machine à composter les billets a refusé catégoriquement d’accomplir la tâche pour laquelle elle a été conçue.
Décidément quand la guigne commence elle s’acharne, une minute plus tard, casquettes en arrière et bedaines rebondissant au-dessus des ceintures, deux contrôleurs ont investi le véhicule.
Cléo s’est donc dirigée vers eux pour leur expliquer son infortune.
Sceptiques, ils l’ont toisée sans aménité. Puis l’un d’eux a testé la machine avec un billet extrait de sa musette : clac clac, la garce a fonctionné du premier coup.
Regard triomphant du contrôleur qui annonça alors à Cléo qu’elle devrait s’acquitter d’une amende de 40 euros.
40 euros ce n’est pas rien, surtout lorsque l’on a le pénible sentiment d’être victime d’une injustice.
Cléo a donc demandé aux deux hommes de procéder à une nouvelle tentative avec son billet.
Refus catégorique.
Nouvelle demande de plus en plus suppliante, à tel point qu’un passager est intervenu pour témoigner qu’elle avait bel et bien essayé de composter, qu’elle n’y était pas parvenue, et que donc elle était de bonne foi.
Finalement les contrôleurs ont cédé et introduit le billet dans la machine qui est restée impassible.
Nouvel essai, nouvel échec.
Nouvel essai, nouvel échec.
Mais, les desseins des machines étant parfois parfaitement incompréhensibles voilà qu’à la cinquième tentative, clac clac, le billet s’est enfin trouvé composté.
Ricanement des deux hommes. L’un, badin, a alors précisé: « Bene, signorina, on vous fait une amende de seulement 39 euros ! » Ce qui est bien sûr impossible.

Pendant ce temps là, le bus était arrivé à la station de Cléo. Elle l’a signalé aux contrôleurs en leur demandant d’arrêter le véhicule et de lui rédiger son amende sur le trottoir.
Refus
Elle a supplié, les lames aux yeux.
Refus.
Elle a pleuré.
Refus.

Aucun passager ne souhaitant descendre le bus a continué sa route vers la banlieue de Bologne.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six arrêts plus loin les deux crétins sadiques qui étaient ni plus ni moins en train de la séquestrer, ont fini par renoncer et ont demandé au chauffeur de stopper son engin maléfique.
Ils se sont donc retrouvés tous les trois sur le bord de la route, à plusieurs kilomètres de la destination de Cléo, dans un endroit très fréquenté par les automobiles mais vide de toute présence humaine.
Découvrant la nationalité française de Cléo, l’un des deux, décidément très inspiré s’est exclamé « Au moins vous n’êtes pas extracommunautaire ! »
L’autre a rempli et signé son petit papier, puis ils ont monté dans la voiture qui les avait suivis et qui les attendait.
« Vous me laissez toute seule, ici ? a dit Cléo à la fois inquiète et stupéfaite. J’ai peur ! »
« Mais qu’est-ce que vous voulez qu’il vous arrive ? » ont rétorqué les deux enflures avant de claquer la porte et de s’éloigner.

Voila comment un samedi soir en Emilie Romagne deux salopards, abusant du minuscule pouvoir que leur confère leur charge se sont vengés sur une jeune fille de la médiocrité de leur existence.

Incident banal, car la chose est régulièrement pratiquée par des employés indignes qui se permettent de punir eux-mêmes et à leur façon, les resquilleurs ou supposés tels.

Incident qui, cette fois, ne s’arrêtera pas là car nous avons fait appel à un ami avocat pour attaquer ces deux malfrats.

Lorsque les sociétés se délitent, que les dirigeants abusent de leurs pouvoirs, que la corruption ronge un pays, trop d’êtres humains sont ainsi capables, quotidiennement, d’une infinité de petites vilenies, méchancetés, lâchetés.
Et il faut alors bien peu, un mauvais vent, une brise empestée de relents fascisants, pour qu’ils se transforment en bourreaux, tortionnaires, mouchards, exécutants serviles des basses œuvres.

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