Varanasi : les vivants et les morts (1)

Etalée au bord des eaux sacrées, la ville épouse la courbe du Gange. Tout au long de la rive, les ghats conduisent au fleuve. Ils se succèdent les uns aux autres, formant une longue promenade où déambulent les habitants de la ville, les innombrables pèlerins, les cortèges funéraires, les pauvres, les miséreux, les riches, les arnaqueurs, les vrais sâdhus et les faux, les touristes du monde entier.

La vie et la mort se côtoient, s’entremêlent. Sans l’une, l’autre n’existe pas.
Varanasi, fascinante, n’est pas une ville triste, elle accueille la mort et fourmille de vie.
Les cadavres brûlent, des heures durant, et les fumées des bûchers se répandent dans l’atmosphère. Des cendres volent. L’odeur de la chair carbonisée se diffuse dans l’air mêlée à celle de l’encens, au parfum des fleurs, aux relents de la ville où des centaines de vaches se délectent des ordures répandues en tas nauséabonds.

De hautes maisons aux façades colorées ornées de colonnades surplombent les ghats. Pour nous, la porte de l’une d’entre elle s’est ouverte.

C’est le premier soir, un violent orage éclate alors que nous marchons sur les ghats. Nous nous réfugions en haut d’un escalier, sous le rebord d’un mur, en compagnie de deux hommes en simple dhoti. Ils fument un shilom de belle taille et l’odeur de la marijuana nous chatouille les narines. Un troisième larron, en tenue de ville et petites lunettes d’employé de bureau, malaxe patiemment de la ganja dans sa paume.

Il pleut à verse, le temps passe, le soir tombe et nous sommes toujours là, avec les deux fumeurs qui dodelinent de la tête en souriant et l’homme qui façonne sa boulette.

Abrité sous le parapluie, Fabio prend quelques photos.
Des bateaux de pèlerins trempés, parcourent le fleuve.

Sur le ghât, de jeunes garçons sautent joyeusement dans le Gange, du haut d’un promontoire. Malgré la pluie battante un homme passe devant nous. Torse nu, un tissu blanc immaculé enroulé au tour de la taille et un petit seau en métal dans la main, il descend vers le Gange. Il échange quelques mots avec les plongeurs, pénètre dans le fleuve, prend de l’eau dans sa main, s’arrose la tête, porte la main à sa bouche et boit une gorgée. Puis, à plusieurs reprises, il s’immerge totalement.
En sortant de l’eau il remplit son petit seau et remonte l’escalier, au passage, il nous adresse un sourire furtif.
A ce moment, en face de nous, une porte s’ouvre. Un homme apparaît. Beau, grand et mince, les cheveux plaqués en arrière, sur sa poitrine nue un collier de grosses perles de verre transparentes, autour de ses hanches un tissu bleu, les pieds nus. Il nous fixe d’un regard qui me semble peu amène.
Nous tentons en chœur un timide « Namaste ! ». Il montre sa porte ouverte.
« Come ! »
Nous échangeons un rapide regard et, d’un accord tacite, décidons d’accepter son invitation. Nous entrons dans une galerie bordée de colonnes courant tout au long de la maison. Des hirondelles y volent, des geckos s’y prélassent, des fleurs y poussent et on y jouit d’une splendide vue sur le Gange.

« You want tea ? » demande l’homme au collier de verre et avant que nous ayons eu le temps de répondre il appelle : « Shikha ! Shikha ! »
Une femme arrive, petite et gracieuse dans un churidar rose. A la marque rouge dans ses cheveux, en haut du front, nous comprenons qu’elle est son épouse.
Il nous salue d’un geste et franchit la porte de la maison pour aller prendre son bain rituel dans le Gange.
Quand il revient, nous sommes installés dans une grande pièce, rafraichie par un antique climatiseur à eau et donnant sur la galerie. Nous sirotons un thé délicieux en discutant avec Shakthi. Professeur d’anglais, elle enseigne dans un College de Varanasi.
Il se nomme Sushil, il pratique le yoga, la méditation et le Pranic healing (pranatologie). A la première impression, il semble austère mais le sourire qui illumine son visage est doux, presque enfantin. Ses gestes sont calmes et mesurés. Il émane de lui une grande sérénité. Un sage, quoi!  Un swami érudit modeste.
« Nous sommes tous semblables et tous égaux, nos corps sont différents mais nos âmes sont les mêmes, ici, pas de castes, pas de religions ! »
Il se définit comme medium. Il capte l’énergie venue de l’univers et la transmet aux humains pour les aider à vivre mieux.
Dans un bureau aux rayonnages emplis de livres, il reçoit des patients en souffrance venus chercher du réconfort.
Sa démarche est typiquement hindoue et remonte à des millénaires. Les védas, écrits il y a 3000 ans, expliquent l’importance du yoga et de la méditation. Le concept d’énergie, disons cosmique pour faire bref, y est essentiel

Nous discutons longuement, Shikha traduisant car Sushil ne maîtrise pas bien l’anglais. Puis ils nous invitent à dîner pour le lendemain soir.

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